Dans un sujet lié au grands problèmes de notre société, le thème des inégalités sera forcément abordé…Sont-elles les causes profondes du malaise de nos sociétés, ont elles été toujours néfastes où encore sont-elles un danger pour nos sociétés futures. Parfois, on prétend paradoxalement qu’il ne faudrait pas se précipiter à lutter contre les inégalités..! En effet, certaines d’entre elles ne méritent pas forcément qu’on les réduise, alors que certaines formes d’égalité peuvent être considérées comme néfastes. C’est ce que nous allons voir tout d’abord. Nous envisagerons ensuite les moyens que l’État peut mobiliser pour agir dans le sens le plus « juste ».

 

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Traditionnellement, nous considérons que ce qui est égal est juste. Mais c’est là  un préjugé trompeur, parce que la relation entre égalité et justice sociale est bien plus complexe, comme nous allons le voir dans un premier temps.

  • Traiter également tout le monde, c’est traiter tout le monde de la même manière, mais cela ne veut pas dire amener tout le monde à  la même situation. En effet, du fait des différences entre les individus, il y a une inégalité de départ, une inégalité de conditions. Et un même traitement appliqué à  des situations différentes ne donnent pas les mêmes effets. Exemple : apprendre à  lire de la même manière à  tous les enfants, à  égalité de traitement, sans prendre en compte les inégalités initiales, par exemple sur la maîtrise de la langue française (vocabulaire, structures de la langue), débouche sur une encore plus grande inégalité. Pourtant, dans ce cas, il y aurait égalité de traitement, mais c’est cette égalité de traitement qui est inégalitaire. Remarquons que pour l’exemple choisi, il y a longtemps que l’on sait qu’il faut tenter de réduire ces inégalités et que l’école maternelle agit dans ce sens.
  • D’où l’idée de traiter différemment les gens différents de manière à  compenser les inégalités de positions initiales. La justice sociale s’obtient là  paradoxalement en traitant les individus de façon inégale. C’est ce que l’on nomme la discrimination positive, traduction française qui contracte d’un un oxymore la (discrimination « à l’envers ») et la (action positive en faveurs des victimes d’inégalités. Par exemple, quand l’Institut d’Études Politiques de Paris, éminente grande école française, décide de recruter une petite partie de ses élèves de première année parmi des élèves de lycées de banlieues défavorisées à  partir d’un dossier et d’entretiens individuels, donc sans qu’ils passent le concours commun d’entrée, très sélectif, on est bien dans cette logique d’obtenir une certaine égalité d’accès à  une grande école quelle que soit l’origine sociale, mais en renonçant à  l’égalité des chances puisque les élèves de zones défavorisées ont un concours moins sélectif, et même à  l’égalité des droits puisque ce concours alternatif est réservé à  certains lycées.
  • On est là  dans le domaine de l’équité. Ce qui est équitable est juste, mais peut passer par des inégalités de traitement. C’est cette même logique qui est à  l’œuvre quand le ministère de l’Éducation nationale décide que dans certaines zones, les écoles, collèges et lycées pourront bénéficier de moyens matériels et humains supplémentaires du fait des difficultés particulières des élèves qu’ils scolarisent. Substituer la notion d’équité à  celle d’égalité amène donc à  une redéfinition des politiques publiques qui visent à  promouvoir l’idéal égalitaire.

En fait, il ne faut pas s’étonner de ce que l’égalité ne soit pas toujours juste, puisque nous avons vu précédemment qu’il y a plusieurs sortes d’égalité, et qu’elles ne sont pas toujours compatibles entre elles. Ainsi, quand on essaie d’atteindre une forme d’égalité, on est souvent obligé de renoncer à  une autre forme. Par exemple, rechercher l’égalité des chances amène souvent à  renoncer à  l’égalité des résultats puisque les individus sont différents. Ce n’est donc pas tant que l’égalité est injuste et l’inégalité juste, mais plutôt que pour juger de la justice sociale il faut se demander d’abord quel type d’égalité on poursuit, et pour qui. C’est cette complexité de la relation entre égalité et justice sociale qui a amené l’État à  redéfinir parfois les modalités de sa politique sociale.

                                              

Les économistes montrent que certaines inégalités semblent bien être favorables à  la croissance, voire même selon certains, indispensables. Cependant, elles deviennent, à un certain degré, un frein à la croissance économique.

a) Aspects favorables des inégalités sur la croissance

Il y a là  trois arguments différents soutenant l’idée que les inégalités sont économiquement efficaces. Nous allons les voir successivement.

  • Les inégalités de revenu encouragent le travail en récompensant l’effort individuel. On a déjà  vu le principe  » à  travail égal, salaire égal « , et on a déjà  noté qu’il impliquait une inégalité entre des niveaux de travail différents. Bien évidemment, on peut penser que si le salaire était le même quel que soit le niveau de travail, tout le monde se contenterait du minimum d’effort. Les économistes libéraux s’appuient sur ce principe pour dénoncer l’insuffisance des inégalités dans certains domaines de la vie économique. Ainsi, ils soutiennent que si les minima sociaux (RMI, indemnités chômage, …) sont trop proches du SMIC, les individus touchant les bas salaires ne seront pas enclins à  travailler mais plutôt à  vivre aux dépens de l’État providence. De même, si le SMIC est trop élevé et que l’échelle des salaires est trop restreinte, les travailleurs n’auront pas intérêt à  faire un effort de formation, puisqu’une progression dans la hiérarchie de l’entreprise leur rapporterait peu.
  • Les inégalités sont nécessaires pour favoriser l’épargne et l’investissement. On sait que la propension à  épargner (voir lexique) est plus élevée pour les détenteurs de revenus élevés, ce qui est assez logique (il est plus facile d’épargner quand on dispose de 5 fois le SMIC que quand on est payé au SMIC). Or l’épargne est la base de l’investissement. Donc la capacité d’épargne, et donc de financement des investissements, est plus élevée quand l’inégalité des revenus est forte que dans le cas contraire. Et la croissance est fortement corrélée avec le taux d’investissement comme nous l’avons vu dans le chapitre 1. Mais c’est aussi en récompensant le bon investissement par de supers profits, et donc par de fortes inégalités, que l’on incite les épargnants à  chercher l’investissement le plus pertinent, c’est-à -dire correspondant à  une forte demande et économiquement rentable.
  • Enfin, les inégalités permettent de récompenser ceux qui innovent et donc de stimuler le progrès technique et organisationnel qui entraînera la croissance. Les inégalités donnent des informations indispensables aux acteurs économiques, en même temps qu’elles leur donnent des guides de comportement. Que veut-on dire par là  ? Si par exemple, les salaires versés sont plus élevés dans une branche nouvelle et en croissance, et plus faibles dans une branche en déclin, normalement les salariés rationnels vont tenter de quitter la branche en déclin et d’aller se faire embaucher dans la branche en croissance, même s’il faut pour cela un complément de formation. On peut faire le même raisonnement pour les profits : les détenteurs de capitaux vont tenter d’investir dans les branches ou les entreprises où les profits sont élevés (on rappelle que les profits sont des revenus …). Le libre jeu du marché, grâce aux inégalités qui en résultent, permet donc une allocation optimale des ressources (cette expression, couramment utilisée par les économistes, en particulier néo-classiques, signifie que les ressources, c’est-à -dire le capital et le travail, sont utilisées le plus efficacement possible). Et les inégalités agissent alors comme un aiguillon sur les comportements : elles sont des incitations à  accepter le changement de métier ou le changement de région, par exemple, ou à  prendre des risques, par exemple en créant sa propre entreprise.

Au total, on voit donc que les inégalités, certaines inégalités, peuvent être favorables à  la croissance économique en incitant les acteurs économiques à  adopter des comportements favorables à  la croissance. Mais est-ce toujours le cas ?

b) Aspects défavorables des inégalités sur la croissance

Il peut paraître paradoxal, au vu de ce qu’on a dit précédemment, de soutenir que l’inégalité décourage l’effort individuel. Il y a pourtant des arguments forts qui peuvent être avancés à l’appui de cette thèse :

  • L’inégalité, quand elle est injuste, décourage l’effort bien plus qu’elle ne le favorise. Ainsi, soutenir que les inégalités de revenus sont la récompense de l’efficacité du travail, c’est supposer que toutes ces inégalités sont justifiées par des écarts de productivité entre travailleurs. Or, c’est bien loin d’être le cas en réalité. D’abord parce qu’il est très difficile de mesurer la productivité individuelle d’un travailleur : l’efficacité d’un individu dépend du travail des autres et il n’est pas toujours possible de distinguer la part de chacun. Ainsi, la vitesse de travail d’un ouvrier sur une chaîne de montage dépend de celle de ses collègues, par définition. Ensuite, et c’est d’ailleurs la conséquence de cette difficulté d’apprécier la productivité individuelle, les rémunérations sont pour une bonne part arbitraires, et dépendent de l’histoire, des habitudes, des rapports de force. Il est donc plus que probable que des inégalités n’ont aucune justification économique. Par exemple, l’écart de traitement entre un professeur certifié et un professeur agrégé n’est sans doute pas fondé sur une différence d’efficacité pédagogique. Dans ce cas, les inégalités sont donc injustifiées et ceux qu’elles défavorisent peuvent se sentir floués et découragés.
  • L’inégalité n’a aucune vertu économique s’il n’y a pas égalité des chances. C’est une condition trop souvent oubliée de l’efficacité économique des inégalités. En effet, si on veut, par les inégalités de revenus, susciter une émulation entre les individus pour sélectionner les plus capables et les plus méritants, encore faut-il s’assurer que la compétition est réellement ouverte et équitable. Autrement dit, la première condition de l’efficacité économique est … l’égalité des chances, la mobilité sociale. Or, on a vu que celle-ci est assez limitée dans nos sociétés modernes, ce qui peut faire douter de l’efficacité des inégalités
  • L’inégalité décourage l’effort individuel si les rémunérations les plus basses sont trop faibles. L’inégalité permet de récompenser l’excellence, c’est entendu, mais ce n’est pas parce qu’un travailleur n’est pas parmi les meilleurs de sa catégorie qu’il a forcément démérité. Par exemple, les smicards qui sont au bas de l’échelle des salaires en raison de leur faible qualification ou de leur peu d’expérience ne sont pas pour autant de mauvais travailleurs. Si le SMIC est trop faible, il peut là encore en résulter un sentiment d’injustice très démobilisateur.
  • Une certaine égalité de revenu est nécessaire pour assurer la qualité de la main d’œuvre et donc sa productivité. Par exemple, une distribution relativement égale des revenus permet à chaque famille de disposer d’un logement décent et avec un minimum de confort, ce qui favorise la qualité des études des enfants et donc le niveau de qualification des travailleurs. De même, garantir un revenu minimum suffisant à chacun peut permettre un accès plus général au système de soin, et donc améliorer la santé de la population et, indirectement, la productivité du travail (en réduisant l’absentéisme, en limitant les maladies professionnelles, …).

Que conclure de cette présentation de l’efficacité éventuelle des inégalités pour la croissance ? Au fond, le débat est sans doute d’abord politique : quelle croissance veut-on ? Une croissance rapide quelles que soient les inégalités qui l’accompagnent, une diminution des inégalités au risque d’un ralentissement de la croissance ? Les alternatives sont nombreuses et le choix ne devrait relever que d’un débat collectif, un débat politique au vrai sens du terme. C’est pourquoi nous allons évoquer maintenant le rôle de l’Etat dans la lutte contre les inégalités.

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On a vu que promouvoir l’égalité a parfois des conséquences inégales du fait de l’inégalité des conditions initiales et de l’inégalité des chances. D’autre part, la croissance ralentie que connaissent les pays développés depuis le début des années 80 limite les moyens financiers de l’État et l’oblige à  se poser la question de l’efficacité, du point de vue de l’idéal égalitaire, des mesures qu’il met en œuvre. Résultat : l’intervention de l’État a été assez nettement infléchie et l’on peut penser que d’autres inflexions viendront, en particulier dans le domaine des services publics.

  • Les prestations sociales sont de plus en plus sous conditions de ressources, c’est-à -dire qu’elles sont réservées à  ceux qui gagnent moins qu’un certain niveau de revenu (comme par exemple le RMI). On est bien là  dans une logique d’équité : donner la même chose à  tout le monde quel que soit le revenu reviendrait à  augmenter de la même façon les revenus des plus riches et des plus pauvres, ce qui ne réduirait pas les inégalités.
  • Les politiques d’aide sociale sont de plus en plus individualisées. Quand on sait que les inégalités sont plus souvent dues qu’avant aux aléas de l’histoire personnelle des individus, il est logique de prendre moins de mesures générales dont on a du mal à  assurer l’efficacité. Ainsi, le RMI est-il attribué non seulement sous condition de ressources mais aussi à  la condition que le bénéficiaire signe un contrat personnalisé de réinsertion, dont le contenu peut être très varié d’un individu à  l’autre, pour s’adapter aux besoins et aux possibilités de chacun. De même, le PARE (plan d’aide au retour à  l’emploi), qui permet aux chômeurs de continuer à  bénéficier de certaines allocations, a un contenu individualisé.
  • L’État mène aussi des politiques de  » discrimination positive « , c’est-à -dire des politiques qui, explicitement, accordent plus à  certains individus qu’à  d’autres, du fait de leur inégalité de situation initiale. L’exemple le plus fréquemment cité en France est celui des ZEP (zones d’éducation prioritaire), dans lesquelles les établissements scolaires bénéficient de moyens particuliers parce qu’ils scolarisent des élèves  » en difficulté « . Ainsi une école primaire en ZEP peut-elle disposer de 6 instituteurs alors qu’il n’y a que 5 classes, ce qui permet d’assurer des activités individualisées en fonction des difficultés rencontrées, en dehors du groupe classe. Mais on peut citer d’autres exemples de politiques de discrimination positive : quand la loi impose l’embauche d’un certain quota de travailleurs handicapés dans les entreprises, il s’agit bien d’une discrimination positive (on sait que, dans la réalité, ce quota n’est pas respecté car la loi permet aux entreprises de se dispenser de cette embauche en versant une certaine somme à  un fonds pour l’emploi des handicapés).
  • De plus, on est amené à  repenser la gratuité des services publics. En effet, on sait que ceux-ci sont en général gratuits du fait qu’ils sont utiles à  tous. Mais si les services publics sont gratuits, cela ne signifie évidemment pas qu’ils ne coûtent rien. Quand un consommateur utilise un service public, l’Etat paie pour lui le prix de ce service. Si tout le monde utilise également ce service, cela peut se comprendre. Cela se comprend encore mieux si ce sont ceux qui sont le plus victimes des inégalités qui l’utilisent le plus. Mais quand ce sont ceux qui disposent déjà  de revenus élevés qui utilisent le plus ce service, cela pose un problème du point de vue de l’équité. On peut donner un exemple : les étudiants peuvent bénéficier, s’ils ne logent pas chez leurs parents, d’une allocation logement sans condition de ressources (sauf personnelles : les étudiants qui travaillent, donc qui ont un salaire, ne peuvent en bénéficier si ce salaire dépasse un certain montant), donc quelles que soient les ressources de leurs parents. Or, on sait que les enfants de catégories aisées sont sur-représentés dans la population étudiante. On peut donc se poser la question de la pertinence de cette allocation du point de vue de l’équité, l’aspect positif de cette allocation étant bien sûr qu’elle rend possible une certaine indépendance des jeunes vis-à -vis de leur famille. On reviendra sur la question des services publics plus loin.
  • Enfin, on peut réfléchir aux systèmes d’incitations que l’État peut mettre en place pour guider les comportements des agents économiques. Il faudrait arriver à mettre sur pied un système fiscal qui permette à la fois de ne pas trop perturber les mécanismes du marché et les incitations qu’il offre aux individus et de dégager des ressources publiques suffisantes pour lutter contre les inégalités considérées comme injustes par la société.

Conclusion : La complexité de la notion d’égalité rend donc difficile la définition et la mise en œuvre de l’idéal égalitaire. La lutte contre les inégalités ne peut qu’être le fruit d’un débat démocratique

En guise de conclusion :

Une société plus mobile n’est pas forcément plus égalitaire, et la mobilité peut servir d’alibi à  l’inégalité.

La mobilité sociale n’existe que dans une société qui connaît une inégalité des positions sociales. Il y a là  un constat d’évidence, mais qu’il faut bien rappeler parce que, dans nos sociétés démocratiques, on a tendance à  confondre les deux – ce sont en fait deux formes d’égalité, égalité des chances et égalité des positions. On peut aller jusqu’à se demander si la mobilité sociale permet de justifier les inégalités.

  • Une société plus mobile n’est pas forcément plus égalitaire : Comme on l’a vu plus haut, la mobilité sociale désigne les déplacements d’individus entre des positions sociales hiérarchisées, donc inégales. Un accroissement de la mobilité sociale ne signifie pas que ces inégalités se réduisent. Inversement, une société peut être très égalitaire mais n’avoir aucune mobilité sociale : les individus restent fixés dans des positions sociales très voisines.
  • La mobilité sociale peut-elle justifier l’inégalité ? C’est une question très controversée. Les penseurs les plus libéraux soutiennent généralement que, dès lors que les positions sociales sont également accessibles pour tous, peu importe qu’elles soient inégales. Les meilleures places seront occupées par les plus méritants, et l’inégalité ne fait que récompenser les efforts. Inversement, d’autres soutiennent qu’il importe peu que les positions sociales soient ouvertes si elles restent inégales. On peut même dénoncer dans la mobilité sociale un moyen de faire oublier l’inégalité : les individus se démèneront pour atteindre les meilleures places plutôt que de lutter collectivement contre les inégalités.