Dans une première partie (à lire ICI) nous avions vu comment, depuis 1945, la Chine s’est construite et comment a évolué cette puissance chinoise depuis 1949 ? Comment la Chine est-elle devenue un État moderne et une puissance majeure? Dans quelle mesure la Chine est-elle devenue une grande puissance ? Quels sont les aspects et les limites de la puissance chinoise aujourd’hui ?
II. Depuis 1976: la spectaculaire ascension d’une puissance émergente
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La Chine donne la priorité à l’essor économique
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Le tournant de 1976-1978.
Mao Zedong et Zhou Enlai meurent en 1976. La Chine est alors un pays du tiers-monde, rural et sous-industrialisé. Un tiers des habitants vit dans une extrême pauvreté. Deng Xiaoping, chef de file des réformateurs, s’impose contre les tenants de l’orthodoxie maoïste et prend le pouvoir fin 1978. Il lance alors une politique de rupture: les Quatre modernisations (Programme de réformes économiques marquant l’entrée de la Chine dans la voie du libéralisme en agriculture, industrie, recherche, et défense) doivent combler le retard de développement et faire de la Chine une véritable puissance. De nombreux Chinois victimes des excès de la Révolution culturelle sont réhabilités, mais toute démocratisation est écartée.
Focus Deng Xiaoping (1904-1997): Fils d’un paysan chinois, Deng Xiaoping étudie en France où il est séduit par le marxisme. Membre du PCC en 1923, compagnon de route de Mao depuis les années 1930, il occupe de hauts postes dans les années 1950. Écarté du pouvoir pendant la Révolution culturelle, il revient sur le devant de la scène dans le sillage de Zhou Enlai. Pragmatique, modernisateur, il devient progressivement le véritable dirigeant de la Chine à la mort de Mao en 1976, jusqu’à sa disparition en 1997. Il est à |’origine des réformes qui libéralisent l’économie chinoise. Mais il refuse de démocratiser le régime et autorise l’usage de la force contre les manifestants de la place Tiananmen en juin 1989.
- La Chine adopte un nouveau modèle économique: le «socialisme de marché››.
Libéralisation: Deng Xiaoping donne la priorité à la libéralisation économique, à l’industrie légère et à l’agriculture. Les terres sont décollectivisées (le paysan reçoit le libre usage de la terre, mais n’en obtient pas la propriété). Les sociétés d’État deviennent autonomes et les entreprises privées sont autorisées.
Ouverture: En 1980, la politique d’ouverture du territoire par la création des ZES (Zones économiques spéciales) sur son littoral relance la croissance en favorisant l’arrivée de capitaux étrangers, pour l’essentiel en provenance de la diaspora chinoise. Au cours des années 1980, cette politique d’ouverture économique s’étend à de nombreuses villes et régions du littoral chinois. La Chine devient alors un pays-atelier et connaît un taux de croissance du PIB d’environ 10 % par an depuis les années 1980.
Qu’est-ce que le Socialisme de marché ? Expression désignant le nouveau modèle économique chinois issu des réformes de Deng Xiaoping. Le socialisme de marché associe la libéralisation et l’ouverture de l’économie au maintien d’un régime politique communiste autoritaire à parti unique.
Focus ZES: Zones économiques spéciales, zones franches bénéficiant d’avantages spéciaux (faibles droits de douane, libre rapatriement des investissements et des bénéfices, impôts réduits pour les entreprises étrangères qui s’y installent) qui les rendent attractives pour les investisseurs étrangers. Leur objectif est d’attirer l’installation d’industries à vocation exportatrice. En 1980, s’ouvrent les quatre premières ZES: Shenzhen, Zhuhai, Shantou, Xiamen.
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L’évolution de la diplomatie chinoise durant les années 1980.
Désormais, la Chine privilégie l’économie aux dépens de l’idéologie et n’aide plus les révolutionnaires étrangers. Elle ne cherche plus à propager la révolution communiste à travers le monde mais plutôt à attirer les investisseurs étrangers. Elle intègre la Banque mondiale et le FMI en 1980, multiplie les accords commerciaux avec les pays occidentaux. La coopération scientifique et culturelle se développe ; de jeunes Chinois étudient a l’étranger. Le non-respect par la Chine des droits de l’homme et sa répression du nationalisme tibétain entraînent parfois des tensions, mais sans remettre en cause les relations avec l’Occident.
2. La crise des années 1989-1992
- La modernisation et l’ouverture économique creusent les inégalités sociales et régionales.
Grâce aux réformes voulues par Deng Xiaoping, le niveau de vie s’élève. Mais les inégalités se creusent: la Chine urbaine et littorale s’enrichit alors que, dans les campagnes de l’intérieur, la misère persiste. Des millions de paysans migrent vers les villes côtières pour chercher du travail. Par ailleurs, de nombreux Chinois sont mécontents de l’inflation, de la corruption qui s’aggrave et du manque de liberté.
Le massacre du 4 juin 1989. Encouragés par la glasnost («transparence» en russe, nom donné à la politique appliquée à partir de 1985 par Mikaïl Gorbatchev en URSS visant à rétablir la liberté d’expressio), les étudiants réclament une libéralisation du régime. L’agitation s’intensifie en 1989, qui marque les 70 ans du mouvement du 4 mai 1919 et du bicentenaire de la Révolution française. Mais le 4 juin, à Pékin, l’armée disperse les manifestants et tue plus de 2000 personnes, malgré les appels à la modération des pays occidentaux. La chute du Mur de Berlin, quelques mois plus tard, en novembre, 1989 demeurera sans conséquence politique en Chine.
Focus mouvement du 4-Mai: nom donné à un mouvement nationaliste chinois, principalement dirigé contre les prétentions de l’Empire du Japon sur la Chine, qui débute le 4 mai 1919.
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Des sanctions de courte durée.
Les pays occidentaux gèlent leurs contacts avec la Chine, qui est condamnée par l’ONU. Pékin renforce alors ses liens avec Moscou et les pays en développement. Mais les multinationales restent attirées par le faible niveau des salaires en Chine et par le vaste marché que constitue ce pays très peuplé et en essor rapide. C’est pourquoi les Occidentaux renouent avec Pékin dès 1992.
3. Forces et faiblesses d’une puissance émergent
- La Chine acquiert une influence économique majeure dans les années 2000
La Chine occupe le deuxième rang économique mondial pour le PIB depuis 2010. Son taux de croissance tourne autour de 10% par an dans les années 1990 et 2000 grâce à sa capacité à imiter les inventions des entreprises partenaires dans les ZES. Elle est devenue l’atelier du monde (ex: 75 % de la production de montres de la planète). Mais aujourd’hui, elle ne se contente plus de produire des objets bas de gamme et d’accueillir les multinationales étrangères. Elle mise sur l’innovation et ses entreprises investissent hors du pays. Sa part dans le commerce mondial est devenue prépondérante: en 2011, elle est le premier exportateur mondial et le deuxième importateur, ce qui lui permet de devenir le créancier du monde.
La croissance économique donne à la Chine une nouvelle place sur la scène mondiale. Elle remplace le Japon en crise depuis les années 1990 comme moteur de la croissance en Asie. En 2001, elle fait son entrée à l’Organisation mondiale du commerce et elle intègre le G20 en 2008. Elle obtient également en 2008 l’organisation des Jeux olympiques (Pékin) et en 2010 celle de l’Exposition universelle (Shanghai). Sa capacité à investir, par le biais des entreprises de sa diaspora, en Afrique et en Amérique latine, lui permet d’y faire reculer l’influence américaine et européenne.
- La Chine, une puissance géopolitique en devenir
La Chine cultive le patriotisme pour renforcer son régime; elle n’accepte pas les ingérences des démocraties en faveur du Tibet, des droits de l’homme ou de Taiwan. Elle a éliminé les vestiges des traités inégaux du XIXème siècle en récupérant Hong Kong (1997) et Macao (1999). Après la rétrocession de Hong Kong par le Royaume-Uni, Deng Xiaoping y a justifié le maintien d’une démocratie libérale par l’expression « un État, deux systèmes ». Des soldats chinois participent à des missions de paix de l’ONU. Mais, malgré ses efforts de modernisation militaire, la Chine ne peut rivaliser avec les États-Unis.
Focus traités inégaux: nom donné par les Chinois aux traités imposés à partir de 1842 par les grandes puissances européennes, les Etats-Unis ou le Japon. La Chine devait, en vertu de ces traités, limiter ses droits de douane, céder des concessions ou des territoires, laisser les étrangers se soustraire à l’autorité des tribunaux chinois, etc…
La Chine est encore en retrait sur la scène mondiale. Hors sa place au Conseil de sécurité de l’ONU, elle n’a pas la capacité de s’impliquer dans les crises géopolitiques internationales. Bien qu’elle dispose du 2ème budget militaire du monde, et malgré le succès des lancements spatiaux des taïkonautes (nom donné aux astronautes chinois depuis le lancement d’une première fusée dans l’espace en 2003), elle accuse encore un retard technologique important.
La Chine est vue en Asie comme une puissance menaçante. Les conflits frontaliers avec le Vietnam et l’Inde, la revendication d’îles (ex: les îles Senkaku) en mer de Chine, le soutien à la Corée du Nord communiste et la méfiance réciproque avec le Japon, entretiennent cette situation. Cette image négative vise à être combattue par le nouveau plan quinquennal adopté par le PCC en octobre 2010, avec comme outil le doublement mondial du nombre d’ambassades culturelles (instituts Confucius).
La principale limite de la puissance chinoise est l’absence de démocratie politique. La Chine reste une dictature communiste, avec le PCC comme parti unique. La croissance chinoise profite d’abord aux dirigeants politiques et économiques du régime. La libéralisation politique du régime, «cinquième modernisation» demandée en 1989 par les étudiants de la place Tien an-men est inexistante. Les pressions exercées par Pékin sur les États qui reçoivent la visite du dalaï-lama, chef des Tibétains en exil depuis l’annexion de 1959, le maintien en prison du dissident politique Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix 2010, la censure d’Internet et l’emprisonnement d’internautes chinois militants, montrent l’absence de libertés politiques dans ce pays devenu en partie capitaliste.
CONCLUSION
En 1949, les communistes diriges par Mao Zedong prennent le pouvoir dans une Chine encore rurale et pauvre. Ils fondent un régime qui tente de moderniser le pays à marche forcée et d’en faire une grande puissance, mais les progrès sont insuffisants. Après la mort de Mao, ses successeurs décident donc d’ouvrir la Chine aux investissements étrangers. La croissance s’accélère et le pays devient en 2010 la deuxième économie mondiale ainsi qu’un acteur majeur des relations internationales.
Toutefois, la Chine est encore une puissance incomplète, en devenir, qui doit faire face à de nombreux défis internes et ne dispose pas encore de tous les attributs de la puissance. Le respect des libertés individuelles et des droits de l’homme restent des problématiques qui freinent les relations diplomatiques avec bon nombres de nations.