Les égalités et les inégalités sont des thèmes complexes à aborder dans des sujets de dissertation car ils demeurent très vastes et on ne sait jamais sous quels angles les aborder. Or, depuis plusieurs années, et singulièrement après la crise financière de 2008, les inégalités sont redevenues un thème d’actualité. Voici donc des pistes de réflexions qui vous permettront de traiter la majorité des problématiques afférentes…
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Qu’est-ce que le paradoxe égalitaire
Dans un article sur « L’égalité des chances et ses limites » issu du Cahiers français, n°386, François Dubet explique que l’égalité des chances s’oppose fondamentalement aux sociétés de castes et d’ordres où les dominants ne se donnent que « la peine de naître »(…).
Dès lors, la justice sociale exige que tous les individus tenus pour fondamentalement égaux aient les mêmes chances d’accéder à toutes les positions sociales et à toutes les fonctions selon leur mérite, c’est-à-dire selon leur manière dont ils usent de leur égale liberté. Ainsi, les inégalités sociales qui découleront de l’égalité des chances offertes à tous pourront être tenues pour justes car elles seront fondées sur le mérite de chacun et, parfois, sur la distribution aléatoire des talents et des dons. Ces inégalités, résultant de l’exercice de la liberté de chacun et de la loterie naturelle, seront peu contestables tant que les diverses épreuves qui mesurent le mérite des individus pourront être tenues pour équitables.
Un des promoteurs de la loi sur les droits civiques de 1964, Robert Kennedy, alors ministre de la Justice déclare que l ’égalité des chances n’a de sens que si les individus sont considérés comme des sujets libres et responsables, car ce n’est qu’au nom de leur liberté et de leur responsabilité qu’ils peuvent se lancer dans une compétition équitable pour mettre leur valeur à l’épreuve» et permettre « aux sociétés de construire un ordre juste et économiquement efficace.
Pour ce faire, « l’égalité des chances exige des conditions institutionnelles précises, des règles et des arbitres ; elle est une construction. Ensuite et surtout, elle déploie un vaste éventail de critiques contre une vie sociale incapable d’en réaliser les principes. Si l’égalité des chances ne dénonce pas les inégalités sociales comme telles, elle conduit à dénoncer obstinément le caractère inéquitable des compétitions où se jouent la définition et la hiérarchie des mérites.
Si l’égalité des chances s’impose avec autant de force et avec une force accrue, c’est parce que cette conception de la justice « colle » aux aspirations d’individus qui veulent être les maîtres de leur vie et ne supportent pas que les traditions et les discriminations les assignent à des positions sociales et à des identités sexuelles et culturelles auxquelles ils ne pourraient pas échapper. L’égalité des chances est donc la morale et la justice des sociétés composées d’individus libres et égaux.
Le règne de l’égalité des chances, en tout cas l’adhésion exclusive à l’égalité des chances, ne préserve nullement de la création de grandes inégalités sociales. En effet, l’égalité des chances est avant tout une théorie des inégalités justes parce qu’issues du mérite, mais elle ne dit rien de l’ampleur des inégalités engendrées par cette compétition équitable.
Ce paradoxe est au cœur de la théorie de Rawls quand il explique que l’égalité des chances méritocratique n’est juste que si les inégalités sociales qui en découlent sont limitées par ce qu’il nomme le « principe de différence » : c’est-à-dire la limitation des inégalités sociales en faveur des moins favorisés ou des moins méritants. Les inégalités issues de l’égalité des chances ne sont acceptables et justes que si elles améliorent ou, pour le moins, si elles ne dégradent pas la condition des moins favorisés. Ceci revient à opposer le principe de l’égalité des positions sociales à celui de l’égalité des chances afin d’en limiter les effets inégalitaires et « darwiniens » ; quand l’égalité des chances est moins un modèle de justice qu’une forme de légitimation des inégalités sociales dans une société où les individus en compétition sont tenus pour égaux en principe. « Grâce » à l’égalité des chances méritocratique, les inégalités de naissance et de conditions se transforment en inégalités interindividuelles puisque personne ne pourrait contester que les meilleurs élèves, les meilleurs entrepreneurs et les meilleurs sportifs doivent tout à eux-mêmes ou aux hasards de la nature contre lesquels on ne peut rien. Il n’y aurait rien à redire à ces petites vanités, si ce n’est qu’elles impliquent que ceux qui ont échoué soient aussi responsables de leur sort, ce qui n’est pas sans cruauté quand les victimes sont invitées à se blâmer elles-mêmes puisqu’elles n’ont pas eu assez de mérite pour réussir.
L’égalité méritocratique des chances est le modèle de justice cardinal des sociétés démocratiques et il n’est pas possible de s’en défaire tant il renvoie aux aspirations les plus profondes de ces sociétés. Cependant, ce modèle est difficile, voire impossible, à réaliser pleinement tout en étant potentiellement pervers parce qu’il engendre et légitime de nouvelles inégalités. À l’égalité des chances, il convient d’opposer ou, pour le moins, de juxtaposer une autre conception de la justice sociale issue, elle aussi, des révolutions démocratiques.
L’autre manière de concevoir la justice sociale consiste moins à favoriser l’égalité des chances qu’à réduire l’ampleur des inégalités entre les diverses positions sociales afin d’établir une relative égalité sociale « en amont » de l’égalité des chances. Cette philosophie sociale valorisant l’égalité sociale raisonne moins en termes d’opportunités individuelles qu’en termes de resserrement des positions sociales grâce aux transferts sociaux, à la protection sociale, aux droits sociaux, à la sécurité sociale contre les aléas de la vie. Ce fut là l’objectif central des mouvements ouvriers et des syndicats qui visaient moins la mobilité sociale fondée sur le mérite individuel que la redistribution plus équitable des richesses. »
La possibilité pour un individu de circuler dans la hiérarchie sociale, soit au cours de sa propre vie soit par rapport à la position qu’occupaient ses parents, est au cœur du contrat social de la démocratie. En France, la crainte du sentiment de déclassement concerne une partie croissante de la société.
2. L’ascenseur social en panne
Les hommes âgés de 30 à 49 ans représentent près de 50 % des personnes sans domicile fixe, bien qu’ils ne constituent qu’un tiers environ de la population française.
Pour résumer l’évolution récente de la mobilité sociale en France, Stéphane Beaud et Paul Pascali reprennent les propos de Camille Peugny : « Il ensemble bien que l’essentiel des progrès en matière de mobilité sociale ait eu lieu entre le début des années 1950 et la fin des années 1970.
En effet, « alors que l’assombrissement des perspectives d’avenir ne fait pas de doute pour la plupart des ménages, et que le chômage (son taux dépasse les 10 %) frappe durement les nouveaux entrants sur le marché du travail, un spectre hante la société française : le déclassement. Multiforme, il conjugue d’une part un déclassement national lié au net décrochage de l’économie française dans la mondialisation et à l’abaissement du rang de la France dans le concert des nations et d’autre part, un déclassement spécifique dans ses effets comme dans ces proportions à chaque classe sociale. Ce déclassement, ou cette peur du déclassement, prend des formes différentes selon l’histoire des groupes sociaux et leur place dans la hiérarchie sociale : peur de tomber de « haut » pour les enfants de classes supérieures, crainte de ne pouvoir maintenir un statut chèrement acquis par leurs parents pour ceux des classes moyennes., hantise de devenir des sans-emploi, des inutiles au monde », voire des « cas sociaux », pour ceux des classes populaires stables. La mobilité sociale a d’ailleurs été érigée en enjeu majeur par la plupart des pays occidentaux et des institutions supranationales.
Les discours sur la mobilité sociale ayant, en France, une forte portée politique il en va de la promesse républicaine et de la croyance méritocratique, le sociologue doit être soucieux de prendre pour objet ces multiples discours, au lieu de reprendre à son compte les constats, volontiers catastrophistes, qui font le miel des essayistes et la une des magazines.
La mesure précise du phénomène de mobilité sociale est une question complexe qui a fait l’objet, depuis près d’un siècle, d’une longue tradition de recherche empirique en sociologie. La mobilité la plus pertinente pour notre propos est intergénérationnelle. Les enquêtes statistiques mesurent l’évolution, d’une génération à l’autre d’individus de même âge, des passages entre les différentes catégories socio-professionnelles.
En 1986, 36 % des individus pris en compte par les enquêtes hommes et femmes, appartenaient à la même catégorie socioprofessionnelle que leur père, contre 34 % en 2009. Cette immobilité est plus forte pour les hommes (de 44 % à 42 % sur la période) que pour les femmes (constante à 27 %). Si la majorité des individus enquêtés peut être considérée comme « mobile », il faut cependant bien voir de quoi est faite cette mobilité : seulement 13 % d’enfants de salariés ont connu en 1983 un déplacement social de forte amplitude, que leur mobilité soit ascendante ou descendante.
L’analyse du destin des enfants de classes populaires est un passage obligé car, lors des trente dernières années, ce groupe social est resté démographiquement majoritaire. L’étude de la destinée sociale des enfants d’ouvriers est souvent considérée comme une sorte de test pour cerner le degré de fluidité d’une société. » Entre 1983 et 2009, « plus de sept enfants d’ouvriers sur dix et six enfants d’employés sur dix sont assignés au même type d’emplois d’exécution que leurs pères. Ce qui veut dire que si l’on se situe au bas de la structure sociale, la reproduction demeure bel et bien un destin probable. On pourrait d’ailleurs raffiner l’analyse et étudier de plus près de quoi sont faits en 2009 ces emplois d’exécution, notamment leur statut, de manière à mieux prendre en compte la précarisation des emplois qui s’est accrue dans les années 2000.
La reproduction tendancielle des positions concerne aussi le haut de la structure sociale, certes de manière moins parquée (du fait de la modification de la structure d’emploi) : 40 % des enfants de cadres supérieurs ou de professions intellectuelles occupent en 2009 le même type de profession que leur père. Ce qui est frappant sur la période, c’est, d’une part, la hausse de cette proportion globale (de 33 % à 40 %) et, d’autre part, la forte différenciation de cette évolution selon le sexe + 2 points pour les hommes (de 42 % à 40 %) et + 14 points pour les femmes (de 22 à 36 %). L’intensité de la reproduction sociale augmente dans les catégories supérieures, du fait d’un usage de plus en plus intense et stratégique du système éducatif au sein des familles les plus dotées, d’une part, et du rattrapage fulgurant des scolarités féminines par rapport à celles des garçons depuis quarante ans d’autre part.
3. La progression des inégalités
Selon les chiffres de l’Insee de 2017, deux personnes sans domicile fixe sur cinq sont des femmes.
Dans une contribution intitulée « Le système socio-fiscal français : quelle efficacité pour la réduction des inégalités économiques », Laurent Simula souligne que « les inégalités constituent un phénomène multidimensionnel. On peut les définir, de façon générale, comme des différences dans l’accès aux ressources sociales rares et valorisées, ces ressources étant, au sens le plus large, politiques, économiques, culturelles, sociales, etc. Le champ des inégalités économiques est lui-même très large, puisqu’au-delà des inégalités de revenu et de patrimoine, il faut également prendre en compte les inégalités de consommation et d’accès au soin, à la culture ou à l’éducation, l’inégalité des chances en raison de laquelle tous les agents ne disposent pas des mêmes opportunités, ou encore les inégalités entre sexes, âges et territoires… Une société inégalitaire se caractérise donc par une distribution des ressources considérée comme injuste au regard des principes de justice sociale qu’elle retient. ».
« Les fortes inégalités de revenus et de patrimoine qui prédominaient au début du XXe siècle ont fortement diminué, tant en Europe qu’aux États-Unis, pour se creuser à nouveau depuis les années 1970 aux États-Unis et, depuis le milieu des années 1980, en Europe », explique
Emmanuelle Taugourdeau dans une contribution intitulée « Pourquoi les inégalités de revenus et de patrimoine s’accroissent-elles à nouveau ? » explique que la question des inégalités a reçu un écho tout particulier depuis quelques années, suite à la crise, qui a exacerbé les tendances déjà existantes, et à la prise de conscience qu’un trop grand accroissement des inégalités peut entraîner des tensions sociales importantes et avoir des conséquences économiques nuisibles pour notre société.
Notons néanmoins que si le niveau de vie des agents les plus défavorisés a diminué, ce n’est pas dû à une baisse du salaire horaire qui a légalement continué à augmenter sur la période. Au contraire, entre 1967 et 2009, les disparités de salaires des hommes travaillant dans le secteur privé à temps complet ont reculé en France. La baisse du niveau de vie s’explique plutôt par une augmentation des emplois précaires (temps partiel), une hausse du chômage et une évolution de la composition des ménages. ». Le nombre de travailleurs pauvres varie entre 1,5 million (…) à plus de 2,3 millions en 2007.
Au niveau européen, « une étude récente de la banque Crédit Suisse a montré que la France comptait plus de millionnaires que n’importe quel autre pays européen. » Dans un article intitulé « Richesses et patrimoine en Europe, approche comparative », Markus Gabel cite une étude (2016) élaborée et présentée par un groupe d’experts européens sous l’égide de la Banque centrale européenne et constate que « les niveaux de patrimoines diffèrent très fortement entre les pays membres de la zone euro, les ménages les plus riches possédant jusqu’à huit fois plus que les ménages les plus pauvres. Il apparaît également que les ménages des pays du sud de l’Europe, pays qui enregistrent les difficultés économiques les plus profondes présentent des niveaux de richesses privés souvent élevés, voire supérieurs à la moyenne européenne et fait étonnant, plus importants que ceux des États, comme l’Allemagne, la France, l’Autriche ou les Pays-Bas. Par ailleurs, au sein des quatre grands pays de la zone euro, Allemagne, France, Italie, Espagne (AFIE) les ménages allemands apparaissent « les plus pauvres », très loin derrière les « riches » Espagnols et Italiens.
Il explique cependant que « le patrimoine des ménages n’est pas le seul indicateur de richesse à prendre en compte. Une partie significative est en effet détenue par le secteur public et les entreprises. Le produit intérieur brut (PIB), ainsi que le stock de capital constituent des indicateurs exhaustifs. Si le premier traduit la valeur de la production annuelle d’un pays donné, le second indique le montant du capital détenu par le secteur public ainsi que par les résidents et non-résidents ; ainsi, il capitalise le passé. Corrigé de la position extérieure nette (donc du capital ou des dettes détenus par des résidents à l’étranger), on obtient un indicateur global du patrimoine. Ces deux indicateurs révèlent qu’un clivage assez net s’établit entre le nord (plus prospère) et le sud de l’Europe. Parmi les pays en difficulté, seule l’Italie dispose d’un niveau de richesse proche de la moyenne de la zone euro. Par contre, la Grèce et le Portugal, avec des balances courantes chroniquement négatives, sont dans une situation préoccupante, notamment en ce qui concerne le stock de capital par habitant. L’Espagne s’en sort un peu mieux, mais son faible niveau de stock de capital la fragilise également. Au sein du groupe AFIE, l’Allemagne se révèle le pays le plus riche, tout en demeurant derrière plusieurs petits pays européens.
On constate ainsi que la mesure du seul niveau de richesse des ménages ou des habitants ne renseigne que très partiellement sur celui d’un pays dans son ensemble. A fortiori lorsque la richesse globale est détenue dans des proportions importantes par le secteur public et les entreprises.
4. Quelles réponses les pouvoirs publics donnent-ils ?
Pour mieux comprendre les inégalités et essayer d’y remédier de façon structurelle, il faut saisir les logiques sociales qui orientent les trajectoires individuelles vers des destins inégaux. Elles trouvent leurs origines dans l’état du système éducatif, dans l’organisation du travail et dans la structure sociale.
Connu pour son activité au sein du mouvement ouvrier, Karl Marx (1818-1883), est historien, économiste, philosophe et sociologue dont les travaux ont profondément influencé le XXe siècle.
Dans un article « Le système socio-fiscal français : quelle efficacité pour la réduction des inégalités économiques » Laurent Simula rappelle que « dans les démocraties modernes, la lutte contre les inégalités constitue l’un des objectifs de l’intervention publique, c’est-à-dire des politiques conduites par la puissance publique, qu’il s’agisse de l’État, des collectivités locales, ou du système de protection sociale. L’ampleur des mesures mises en œuvre à cette fin dépend de la conception de la justice sociale et de l’expression de la volonté générale à travers le vote. Des inégalités jugées inacceptables dans certaines sociétés, ou à un moment donné, peuvent être considérées comme justes ou tolérées dans d’autres circonstances. D’une manière plus générale, la condamnation de certaines inégalités s’accompagne du consentement à d’autres inégalités, comme l’a souligné Amartya Sen, prix Nobel d’économie 1998. Le champ et la nature des inégalités constituent ainsi un des enjeux du débat démocratique.
5. L’effet du système socio-fiscal sur la distribution des revenus
Si une forte inégalité des revenus primaires, proche de celle des pays anglo-saxons, caractérise la société française, Laurent Simula précise que son système socio-fiscal « réduit les inégalités verticales qui naissent de différences dans les revenus primaires des ménages et qui sont mesurées par le coefficient de Gini de près d’un tiers (32,5 %), certes davantage par les transferts que par les prélèvements. Son efficacité ainsi mesurée est comparable à celle des pays scandinaves et l’écart avec le modèle rhénan n’est plus significatif. Toutefois, on peut se demander s’il ne serait pas plus efficace de réduire les inégalités primaires, notamment en réduisant le chômage d’exclusion et le travail à temps partiel contraint.
6. Inégalités scolaires et origine socio-économique des élèves
Dans un texte sur « L’école face aux déterminismes sociaux : quels résultats ? » Barbara Fouquet-Chauprade constate que la France est aujourd’hui l’un des pays de l’OCDE où les inégalités sociales à l’école sont les plus marquées. Le lien entre origine sociale et performance des élèves est l’un des plus forts parmi l’ensemble des pays dans lesquels s’est déroulée l’enquête : au sein des pays membres de l’OCDE, seuls la République slovaque, la Hongrie et le Chili présentent des situations d’iniquité plus importantes.
Les politiques d’éducation prioritaire n’ont pu réduire ces inégalités d’offre scolaire, voire même les ont accentuées par l’effet d’une stigmatisation et d’une catégorisation des publics scolarisés dans ces établissements.
La question est alors de savoir comment les politiques scolaires peuvent lutter contre ces déterminismes. L’une des pistes est d’agir sur la discontinuité culturelle entre l’école et les familles populaires. Il s’agit de mettre en place des politiques qui visent à « impliquer » les parents, à les informer sur les différentes orientations possibles, etc. Si ces mesures sont en partie efficaces, elles ont pour limite non seulement de renvoyer la responsabilité des inégalités aux familles, mais aussi d’oublier le rôle et la place de l’organisation scolaire et de la pratique des acteurs de l’école dans ces processus d’orientation.
C’est surtout, nous semble-t-il contre les effets du système lui-même qu’il importe d’agir. Cela suppose de mettre en place des politiques volontaristes et pragmatiques. Ce qui signifie à la fois de prendre acte de l’ampleur de la ségrégation ethnique et sociale (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, rappelons par exemple que la France est le seul pays à refuser la publication de l’enquête Pisa au niveau établissement, ce qui permettrait de rendre compte de l’importance du phénomène ségrégatif en France).
7. Pauvreté : quelle prévention contre le non-recours
Les difficultés d’accès aux prestations et services sont analysées depuis longtemps comme une cause possible de la pauvreté, « écrit Philippe Warin dans un article sur « Le non-recours aux droits sociaux, entre vulnérabilité sociale et citoyenneté active.
Pour les plus démunis, toute entrave de ce type a des conséquences économiques et sociales lourdes. En France, le tout premier texte qui a parlé de non-recours (Catrice-Lorey, 1976) établissait une relation entre pauvreté culturelle et difficultés d’accès aux droits creusant la pauvreté socioéconomique. Diverses actions menées par la Caisse nationale d’allocation familiale (CNAF) ou la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole ont montré un décalage important entre les droits potentiels et ceux réellement ouverts. Elles ont permis des versements conséquents au titre des rappels de droits (soit des prestations en retard de versement). Ce non-recours « temporaire », ainsi corrigé, est donc loin d’être résiduel.
Ce non-recours temporaire reste d’autant plus préoccupant que les caisses ont des difficultés pour maîtriser les délais de traitement des demandes d’ouverture ou de renouvellement de droits. Ces délais étant par ailleurs à l’origine de demandes d’aides sociales facultatives adressées aux collectivités locales, le non-recours auprès des organismes sociaux peut produire des transferts de charge sur l’action sociale locale. Aujourd’hui en France, c’est le cas également en Europe et à l’étranger parfois depuis plus longtemps, les actions de prévention contre le non-recours s’inscrivent systématiquement dans la lutte contre la pauvreté.
Les inégalités, la pauvreté et la vulnérabilité sociale minent la cohésion sociale de la France. Philippe Raynaud cite Marcel Gauchet qui formule le problème français de la manière suivante : « Notre héritage fait de nous des inadaptés par rapport à un monde qui dévalorise ce que nous sommes spontanément à valoriser et qui porte au premier plan ce que nous regardions de haut. » Cela est vrai d’abord, pour l’économie, où le « colbertisme High tech », qui a fait les beaux jours de la politique industrielle française, a été progressivement démantelé par la logique libre-échangiste qui s’est imposée dans le système européen depuis l’Acte unique européen (1986-1987). Cela est vrai aussi des grandes tendances « sociétales » qui accompagnent la mondialisation : le modèle assimilationniste sur lequel reposa longtemps la gestion française de l’immigration est mis en cause par les tendances « multiculturalistes » contemporaines, qui proposent également des formes de sécularisation très différentes de la laïcité française. C’est vrai, enfin, des revendications écologiques, dont le succès contemporain dans la sphère médiatico-politique ne doit pas faire méconnaître la rupture qu’elles introduisent par rapport à l’idéologie saint-simonienne et industrialiste qui a régné de de Gaulle à Giscard d’Estaing. Plus généralement, on peut dire que la France était facilement « en phase » avec les exigences de l’après-guerre, elle est assez largement démunie devant les transformations engendrées par la mondialisation.
Les raisons de la crise française ne sont pas, ou plus, à chercher dans un prétendu refus de la France d’accepter son destin de puissance moyenne mais dans ses difficultés à repenser son modèle, comme elle avait pourtant su le faire dans la période des « Trente Glorieuses. »
Sources : François Dubet