Tant la question est sensible dans la fonction publique, les jurys adorent questionner les candidats sur leurs connaissances concernant le droit de grève… Comment se passe concrètement, une grève aujourd’hui en France ? Difficile de répondre à cette interrogation courante, car il n’existe pas une grève qui ressemble à une autre. Histoire, cadre légal et connaissances générales…ne vous laissez pas surprendre !

La petite histoire du mot « grève »

« Tric », « cessatio », « cabale », « coalition » : la grève a été désignée de différentes façons au fil des siècles. Le terme « grève » lui-même a une étymologie surprenante. En effet, il renvoie tout d’abord à la place de la Grève à Paris.

Une grève est une plage ou un banc plus ou moins sablonneux, le long d’une mer ou d’un cours d’eau. À Paris, une telle plage se trouvait jadis à la hauteur de l’actuelle place de l’Hôtel-de-Ville. On pouvait y charger et décharger des bateaux. Des gens sans emploi s’y retrouvaient dans l’espoir de trouver un travail, même temporaire, de débardeur. Au fil des années, cette place de la Grève devint la place de Grève, et par extension, les ouvriers sans emploi devinrent les « grévistes ».

Qu’est-ce que la grève ?

La grève est une cessation de travail concertée et volontaire de la part de salariés, très souvent mais pas obligatoirement, avec l’appui ou à l’initiative d’un ou de plusieurs syndicats. Rompant la relation de travail (mais non le contrat) entre l’employeur et le salarié, elle a pour but d’empêcher la réalisation de bénéfices par l’employeur. Les salariés, par la grève, interrompent le circuit économique et entendent contraindre l’employeur à la satisfaction de leurs revendications. Ces dernières sont au cœur de la grève. Elles font souvent l’objet de négociations qui sont un des corollaires de la grève. Parfois, cependant, la grève exclut toute négociation ; c’est le cas de grèves générales visant à chasser un gouvernement ou à demander une revendication précise qui exclut toute négociation (libération de prisonniers, retrait d’une décision, etc.).

De plus, on appelle aussi « grève » la cessation d’activités par d’autres catégories sociales (lycéens, étudiants, avocats, médecins, commerçants…). Dans un certain nombre de pays comme à certains moments de l’histoire de France, la grève a été interdite, ou fortement limitée. D’ailleurs, en France, le droit de grève n’est pas reconnu à certains fonctionnaires comme les magistrats, les militaires et les fonctionnaires d’autorité.

Enfin, la grève cristallise une opposition frontale entre deux groupes sociaux, les employeurs et les salariés. Elle est, d’un certain point de vue, la matérialisation de l’échec du dialogue social. En effet, il ne s’agit plus de déterminer un compromis visant l’intérêt commun des parties (salariés et employeurs) : la grève est la défense des intérêts des seuls salariés. Il s’agit d’un rapport de force. On ne négocie pas l’existence d’une grève. Marc Blondel aimait à rappeler que « la grève est un fait ».

Le cadre légal du droit de grève

L’exercice du droit de grève est garanti par l’alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris dans la Constitution de 1958. Sa pratique est précisée par le code du travail. Le Conseil d’État, le 7 juillet 1950, estime que le droit de grève a le statut de principe fondamental et il n’exclut que des catégories précises d’agents publics, comme les directeurs de préfecture, militaires, magistrats. Par une décision du 25 juillet 1979, le Conseil constitutionnel reconnaît que le droit de grève présente une valeur constitutionnelle et la loi ne peut contraindre les agents à assurer un service normal. En revanche, la continuité du service public, même dégradée, est exigée.

Sauf faute lourde, tout licenciement prononcé à l’égard d’un salarié en raison de faits de grève est interdit. De même, le code du travail interdit à l’employeur de recourir au travail temporaire dans le but de remplacer des salariés en grève. Le paiement des jours de grève est un sujet de permanentes discussions. Il ne peut y avoir de loi sur cette question. Le principe est que le travail non effectué est non payé mais ce principe fait toujours partie des négociations de fin de grève.

La question du préavis

À défaut de dispositions législatives le prévoyant, le droit de grève n’est en principe soumis à aucun préavis. À la suite de la grève des mineurs de 1963, le législateur a rendu obligatoire le préavis pour les agents publics et introduit la règle du trentième indivisible (à partir d’une heure de grève, la journée n’est pas payée). Pour les enseignants et les personnels des compagnies de transport public s’est ajoutée l’obligation de se déclarer gréviste 48 heures avant la date de déclenchement du préavis.

Dans la majorité des cas, le préavis nécessite seulement l’existence de revendications dont l’employeur doit avoir connaissance au moment de l’arrêt de travail. Les modalités de cette information importent peu. Dans un article sur la restriction du droit de grève dans les transports, il est indiqué que, « obéissants » aux textes en vigueur, les syndicalistes ont déposé un préavis illimité (ce qui est possible dans le cadre de ces textes). Résultat : « Les syndicalistes, en adaptant la forme donnée à leur préavis, ont créé les conditions juridiques – même sans l’avoir anticipé eux-mêmes – pour que la mise en action des salariés, bien loin d’être ralentie par le nouveau cadre juridique, s’opère au contraire de façon plus rapide et réactive. Puisque, en s’inscrivant dans le cadre du préavis de grève illimité déposé depuis plusieurs mois, les salariés peuvent entrer en grève 48 heures seulement après l’avoir décidé, le temps nécessaire de se déclarer gréviste auprès de leur employeur1. » Impossible de faire passer en conseil de discipline plusieurs centaines de salariés…

Les limites des modalités d’action

Envahir un conseil de discipline tenu par la direction contre des grévistes (exemple de la CAFRP, 1989) n’est pas à proprement parler un acte strictement défini dans les relations habituelles entre salariés et employeurs. Mais le propre de la grève est de les bouleverser…

On peut ainsi évoquer l’ex-délégué syndical CGT d’Air France qui a été licencié « pour avoir arraché la chemise d’un des cadres dirigeants de la compagnie », à la tête d’un plan de suppression d’emplois. Alors que l’inspection du travail l’avait refusée, la ministre socialiste du Travail Myriam El Khomri avait validé la procédure de licenciement en 2016. Une intervention très mal perçue.

Contrairement à une légende, l’employeur ne peut en aucun cas réquisitionner des salariés grévistes sauf dispositions législatives expresses. Et celles-ci sont strictement réglementées. Il en est autrement de l’occupation des locaux qui constitue un trouble manifestement illicite et un exercice abusif du droit de grève. Cela peut, dans certains cas, être constitutif d’une faute lourde. En réalité, le fait est supérieur au droit. Mais une occupation symbolique des locaux alors qu’aucune entrave n’a été apportée par les grévistes à la liberté du travail n’est pas un abus.

Quand il s’agit d’enseignants, on parle de « grève des notes » ou de « grève administrative », comme c’est le cas dans l’administration : on fait le travail mais on ne le transmet pas ; il peut aussi s’agir de grève perlée, c’est-à-dire de baisse sensible de production. On parle aussi de « grève à la japonaise », c’est-à-dire continuer à travailler avec un brassard de protestation. Une pratique légale mais inefficace.

La préparation de la grève

Un militant syndical veillera à réunir les syndiqués ou à entrer en contact avec eux. Dans le langage militant, on parle de « maillage », de « réseau », de tel service, de tel atelier, de telle succursale qui n’aurait pas été « couvert » ; chacun se voit investi d’un « secteur » plus ou moins bien défini. Une cartographie se dessine, un état-major se constitue ; le syndicat ouvre ses permanences, ses locaux silencieux deviennent bruyants. Pendant la réunion ou après, les « réseaux sociaux » s’activent. C’est le bouillonnement, annonciateur de la grève.

Le début de la grève

Le début d’une grève est qualifié parfois de « déclenchement ». L’image est belle mais elle est fausse : il n’y a pas le militant qui « déclenche » et les salariés, en quelque sorte, « déclenchés », la grève est un processus.

La grève de masse de décembre 2019-début 2020 a été précédée d’une grève massive, unanime, à l’étonnement de beaucoup, le 13 septembre à la RATP. Ici ou là, dans l’Éducation nationale, en 2003, il fallut quinze jours d’assemblées générales pour se décider. Non pas par hésitation, au contraire mais, paradoxalement, par détermination. Comment faire pour gagner ?

La grève qui commence à un moment précis, fixé par le ou les syndicats, correspond en général à la prise de service du matin. Le bureau de poste n’ouvre pas, les élèves attendent devant les grilles. On a tendu des rubans devant les bouches du métro. Les aéroports sont silencieux. À l’inverse, il peut s’agir d’une explosion. On débraye, on « monte » à la direction, chez l’employeur, chez le patron, même si le bureau est au rez-de-chaussée…