Si vous tombez sur un sujet lié au thème des religions, la complexité est réelle tant les espaces entre les dogmes sont parfois plus ou moins francs. Quelles sont leurs définitions respectives ? Leurs principes ? Leurs points communs et différences ? Cet article tentera de vous donner un panorama complet de ce qu’il est impératif de connaître avant de raconter certaines inepties dans vos copies…

  1. Un effort de définition
Aux origines…

Aux temps préhistoriques, il y avait déjà des manifestations du sacré, en particulier liées au culte des morts (cf. les dessins retrouvés dans les grottes, en Afrique comme en Europe), au besoin de conserver la mémoire des choses pour exister mais aussi à la demande humaine de réassurance face à un monde hostile et imprévisible.

À lire les travaux et recherches des paléontologues, il semble que là soient les origines à la fois temporelles et logiques des religions. Mais ceci est une explication après-coup, et une explication rationnelle : il est question du besoin de foi, non d’une foi particulière.

À ce propos, on pourra lire , d’André Leroi-Gourhan qui fut un paléontologue réputé (ouvrage actuellement réédité chez Albin Michel).

  1. Comment définir une religion et les religions ? Caractéristiques, histoire et points de vue

On connaît le mot d’esprit, souvent repris, « une religion, c’est une secte qui a réussi ». Mais alors, qu’est-ce qu’une secte ? Étymologiquement l’une et l’autre ont des sens opposés : , tandis que la secte, c’est ce qui les sépare des autres, la masse. On pourra objecter que sont définies là les deux phases successives de l’établissement d’une religion, qui est d’abord le fait d’une minorité, distincte de la masse, puis du grand nombre ou d’un grand nombre de personnes. On remarquera également que le terme secte est plutôt rapporté au réel social, il est vu en tant que manifestation dans ce réel ; tandis que le terme religion croise le social et le sacré, ce qui est une autre façon de dire que la religion a davantage de à se manifester que la secte.

À partir delà, on peut aussi compléter cette définition d’un autre élément : une religion c’est d’eux-mêmes. Mais alors, et les athées, alors, ceux qui ne croient à aucun dieu ? On rétorquera que ne croire à aucun dieu c’est aussi faire acte de foi, une foi selon laquelle aucun dieu n’existe ni n’a jamais existé ; c’est relier son existence propre, sa pensée, ses besoins et le monde extérieur, visible et invisible.

Pendant longtemps, le a été le plus souvent employé : pour chaque locuteur il y avait la religion, la seule, l’unique, celle (la sienne propre, ou celle qui domine dans son univers de vie), les autres religions n’étant que des croyances impies. On le remarque au Moyen-Age dans les récits de voyage de Marco Polo (1295), il y a les Chrétiens et les autres, non-Chrétiens, donc hors du monde (connu), à peine humains ; et il en était de même chez les Chinois ou les Arabes.

Ce temps qui est aussi le temps des Croisades est celui d’un monde clos, où les voisins se connaissent peu s’ils sont différents et ne cherchent pas à en savoir plus : ainsi, à Jérusalem au temps des Croisades, vivent ensemble des juifs et des musulmans, mais chacun vit selon ses règles et n’accorde guère d’importance ni de signification aux différences, comme si n’était qu’comme les ancêtres, la langue,

les idées fondatrices. Et le fondateur de l’islam, le prophète Mohamed (VIIe siècle), est d’abord le représentant d’une peuple, d’une certaine vision du monde et des hommes.

L’irruption des croisés chrétiens, massacrant tout le monde, pillant et dévastant, fait cesser cette vie commune (lire par exemple : , Amin Maalouf, éditions de poche J’ai Lu).

La religion vient d’entrer dans l’Histoire officielle comme facteur à part expliquant les conquêtes et batailles. La religion des uns et des autres, donc les religions.

Les guerres de religions, au siècle classique en France, officialisent, hélas, cette autonomie des religions dans les événements politiques et sociaux. À partir du XXe siècle, sous l’influence de la sociologie, de l’ethnologie et des sciences religieuses, on parle couramment des religions.

En ce domaine, il faut cependant distinguer : celui de , et celui de en notant que les deux peuvent interagir.

Étudier les religions, ou une religion (mais on ne peut jamais exclure la perspective comparatiste), c’est considérer le fait religieux – dogme, manifestations historique et actuelles, interactions entre les deux – comme un objet soumis à la sagacité critique du chercheur, donc à son intelligence, à sa capacité de compréhension.

Si on est croyant, de quelque religion que ce soit, il faut alors savoir suspendre ses appartenances et croyances en les plaçant à distance, en les désactivant. Mais ce n’est pas toujours possible, ni effectué.

On remarquera que la théologie n’est pas exempte d’implications liées à la foi : les théologiens peuvent aussi se déclarer comme théologiens de telle foi (exemple : les théologiens placés auprès du pape, ou ceux chargés de continuer l’interprétation du Coran).

Au Moyen-Age, la Sorbonne était d’abord une faculté de théologie, et le Livre, le seul, était la Bible, source d’étude et base de la foi. Il en va de même pour les écoles coraniques et les facultés religieuses en pays d’islam.

Avoir une foi religieuse (et on dira plutôt avoir foi), c’est lâcher prise, croire sans chercher à vérifier, c’est-à-dire suspendre son intelligence et l’intégrer dans un cadre a priori de pensée et de senti jusqu’à ce qu’il ne nous paraisse plus extérieur, donné, contingent, mais intérieur, évident, sacré, absolu, unique. Alors, il est bien difficile de composer avec la foi des autres, et il faut beaucoup d’humanité pour nouer ensemble religion et tolérance : on voit bien combien la foi peut exclure de facto, si elle est forte voire rigide, la présence légitime d’autrui et de sa foi à lui, autre ;d’où la nécessité d’un travail spirituel, que toutes les religions ont mené, afin d’éviter les dérives violentes comme le monde en a connu et comme il en connaît encore.

C’est dire combien les aspects de foi de la religion sont non seulement individuels, voire familiaux mais aussi collectifs(politiques, sociaux, économiques).

  1. Le statut de la religion dans les sociétés : important mais variable

On note d’abord que la religion peut être religion , liée au pouvoir temporel : ce fut le cas pour le catholicisme en France, et, durant tout l’Ancien régime français, le pouvoir du roi était de droit divin ; aujourd’hui, la France est une République « laïque, démocratique, sociale. Elle respecte toutes les croyances et toutes les religions » (article 1de la Constitution de 1958), mais – effet de culture et d’histoire – les présidents se montrent plus facilement à l’office religieux catholique, du moins jusqu’à présent. Chaque fois que la Constitution d’un pays mentionne la religion officielle on peut considérer que celle-ci est partie prenante du pouvoir politique, de la culture et de l’identité collective(exemple : l’Algérie et l’islam).

Dans ce cadre d’une religion officielle liée au pouvoir temporel, la religion imprègne tous les aspects de la vie individuelle,sociale, économique : ainsi l’historien Fernand Braudel remarque-t-il que le commerce international autour de la Méditerranée, florissant depuis l’Antiquité, s’est développé sous la forme capitalistique à partir du 15e siècle avec la banque, les effets de commerce, la monnaie fiduciaire… mais seulement entre commerçants de la même religion.

On pouvait traiter en confiance et faire crédit (à tous les sens de ce terme) avec un habitant de la Tunisie, à condition qu’il fût chrétien ! (Voir F. Braudel, éditions Armand Colin, Paris, 1979).

Lorsque la religion n’est pas religion officielle, liée au pouvoir politique, elle peut avoir , compte tenu du nombre de ses fidèles, compte tenu de l’activité qu’ils déploient pour être entendus et pris en considération (cas des lobbies aux Etats-Unis), compte tenu de leur « poids » économique et financier (islam et pétrole,protestantisme et industrie en Europe du nord, etc.), ou encore en fonction de la religion des hommes au pouvoir.

Enfin, lorsque se déclare , c’est-à-dire séparant la politique et la religion en faisant de celle-ci une affaire privée, laissée en principe au libre choix de chaque personne, on remarque que la religion investit davantage d’autres espaces que ceux du pouvoir, tels ceux de . Avoir une religion, la dire, la montrer, c’est être plus et mieux, c’est affirmer sa singularité parce qu’elle n’est pas ou pas assez reconnue ; on le voit avec le cas du port (libre ou dit libre) du voile islamique chez les jeunes filles, comme avec le port de la kippa qui réfère au judaïsme, et en arrière-plan une certaine identité liée à la tradition.

On peut, pour finir, remarquer que, quel que soit son statut, officiel ou seulement culturel, , aux règles qui doivent gouverner la vie humaine et lui donner sens. Ce sens est à la fois social, moral et métaphysique : la religion organise la vie dans la cité, les relations avec les autres, elle ordonne une certaine vision du monde et se dresse face à la mort. On le remarque, encore en France, avec la nécessité prouvée par les révolutionnaires de 1789 qui voulaient éradiquer le christianisme, de créer la religion de l’Etre suprême (sur une inspiration voltairienne), avec ses rites, ses objets sacrés, ses textes fondateurs.

Sigmund Freud (dans notamment) a cherché à expliquer la religion par la nécessité de dépasser l’angoisse née du meurtre primordial du père. Mais ceci est-il valable, et valable au-delà du monothéisme ?

On peut se le demander ; en tout cas, les opinions, souvent passionnées, divergent.

  1. Les religions et leur (s) dieu(x) : polythéisme et monothéisme

L’Antiquité grecque et romaine était polythéiste, de même que les religions plus anciennes recensées en Asie Mineure.

De la sorte, au fil de l’histoire et des conquêtes, les dieux des autres étaient intégrés dans le panthéon de chaque société sans exclusive, en un syncrétisme pragmatique. Dans le polythéisme, chaque dieu est relié à une fonction, une activité, ou un élément naturel. Il vit dans un univers distinct du monde social et sensible, il est souvent organisé sur le mode de la famille (cas de la Grèce avec le dieu-père Zeus) et on fait appel à lui en tant que de besoin : expliquer

un phénomène, rassurer, éviter les coups du sort. On veille également à ne pas le mécontenter pour que la vie se déroule harmonieusement, car on le présume détenteur de forces obscures, de celles qu’on devine et qu’on cherche à maîtriser d’une façon ou d’une autre.

Avantage: les aspects d’obligation liés aux religions monothéistes y sont moins prégnants, du fait de la multiplicité des dieux et du choix possible.

Qui ne se souvient de l’Artémis grecque, ex-Oupis, grande déesse féminine d’Asie mineure, devenue Diane chasseresse chez les Romains ? Son temple à Ephèse (Grèce… et lieu de vie de l’apôtre chrétien Paul) a été opportunément transformé en sanctuaire dédié à la Vierge à l’époque chrétienne ! On voit par là que le syncrétisme (ou doit-on parler d’opportunisme ?) n’est pas l’apanage des religions polythéistes. Et, si on continue l’histoire d’Artémis d’Ephèse, on la retrouve au XXe siècle dans les textes freudiens (dans PUF, Paris), contemporains des fouilles archéologiques dans la région d’Ephèse, lesquelles nourrissent moult rêves à interpréter, et ainsi l’ancienne déesse contribue à construire la théorie psychanalytique…

Les dieux de ces polythéismes survivent aussi dans l’astrologie, née en Asie mineure, le tarot (où chaque figure correspond à un élément, un dieu, un nombre), le culte des nombres, ou celui des anges – à tel point que le pape, désireux de limiter ces excès, vient de rappeler que dans le dogme catholique, les anges n’ont ni nom (à l’exception de 3d’entre eux, les archanges Raphaël, Gabriel, Uriel), ni sexe, ni visage. Car le monothéisme doit se défendre contre la tentation polythéiste : on le voit ici, on le remarque aussi dans la chahada (profession de foi musulmane) qui affirme« il n’y a de dieu que dieu et Mohamed est son prophète ».

Au sens strict, sont monothéistes les trois grandes religions du Livre (christianisme, judaïsme, islam) et la religion mazdéenne(du nom de son dieu, Mazda). Son prophète est Zarathoustra, appelé parfois Zoroastre, il serait né au Nord de l’Iran et aurait vécu au 7e siècle avant Jésus-Christ, mais bien des auteurs envisagent une plus grande ancienneté pour cette religion, notamment à cause des parentés relevées avec les Védas indiens, textes sacrés datant de moins

2000 ans (cf. ci-dessous) ; cette religion s’est déployée dans les régions de l’ancienne Perse (actuel Iran) et est encore pratiquée en Iran et par les parsis en Inde.

Les ethnologues ont d’abord avancé que le monothéisme était l’élaboration plus civilisée des cultes polythéistes anciens, mais cette hypothèse n’est plus du tout retenue aujourd’hui : la réalité semble avoir été plus complexe ; et peut-être les sociétés polythéistes sont-elles plus sages, car plus tolérantes à autrui ?

En tout cas, on remarque que toute religion monothéiste est inséparable de son prophète qui fait lien avec le dieu :Zarathoustra, Moïse, Jésus, Mohamed (par ordre d’apparition historique). Un peu comme si la transcendance du dieu unique, par-delà le pragmatisme du polythéisme, nécessitait cette opération de communication, de lien – c’est-à-dire de religion.

Ces religions croient donc en un dieu unique ; mais doivent-elles pour autant rejeter les autres religions et autres dieux sous peine d’impiété ? La réponse est variable selon les religions… et les fois ; une double tendance se manifeste aujourd’hui, d’une part l’effort vers le dialogue entre religions, d’autre part le repli parfois agressif et extrémiste sur une seule religion, niant toutes les autres.

Parfois sont confondues de fait sous le terme monothéisme deux notions voisines : la du dieu et son ce qui n’est pas pareil, même si les monothéismes actuels professent que la première découle de la seconde. Par ailleurs, les religions évoluent, et le dieu peut être au départ le plus puissant de tous ; la Bible nous montre les croyants retomber parfois dans les anciens cultes polythéistes, décrits (bien sûr) comme des sources de désordre.

On a dit plus haut que les religions étaient devenues aujourd’hui un déterminant autonome dans l’Histoire et l’actualité. Cela ne les empêche pas d’être également liées à un territoire, un ou des peuples, des besoins (et/ou des volontés) politiques et sociaux.

C’est pourquoi dans un prochain article nous définirons spécifiquement : le nous approcherons les différentes religions du monde à partir de leurs origines géographiques.

A bientôt