Dans la première partie de cet article, nous avions défini les différentes religions en nous consacrant à leurs statuts, leurs origines ou encore leurs différences…Voyons maintenant les convergences et histoire du judaïsme, christianisme et islam sous le prisme géographique en particulier, c’est-à-dire pour les religions nées entre Bassin méditerranéen et Golfe persique…

  1. Convergences et points communs

 On les appelle aussi les , parce qu’elles sont toutes les trois fondées sur un Livre saint. Ce lien très fort avec ne leur est cependant pas spécifique et il a existé bien avant, c’est donc méditerranéenne et du Golfe ; dès la civilisation de Sumer (- 6000 ans avant J.C., sur les bords de la Méditerranée orientale, entre les fleuves Tigre et Euphrate, tandis que le judaïsme n’apparaît qu’en – 600), les noms des dieux sont couchés par écrit sur des tablettes et, ce faisant est inventée la première écriture connue,

l’écriture cunéiforme. La parole est déjà ce qui dit le monde, l’organise, donne forme au réel. Il en était de même, à la même époque, dans la religion des anciens Egyptiens, avec leurs hiéroglyphes.

Outre leur socle culturel commun, ce qui unit ces trois religions du Livre est le fait qu’elles sont : un prophète a reçu la parole divine et doit la transmettre, d’où l’importance nouvelle de , avec ses répétitions et ses écrits. Ceci, en contraste avec les dieux de l’Antiquité grecque et latine, chez lesquels nulle part n’apparaît l’écrit. Marcel Détienne, spécialiste des religions, parle même à leur propos d’« analphabétisme» ! Plus largement, c’est l’idée d’enseignement, de transmission de la religion qui est hors le champ de ces religions ; l’écrit et la transmission des savoirs y sont assumés par les hommes, plutôt oralement (cf. Socrate), au plan socio-politique et non religieux, et la loi est le fait des hommes, non d’un dieu. Est-ce une coïncidence que là justement soit née la démocratie?

Les trois religions du Livre ont aussi d’autres points communs : elles sont toutes les trois nées sur ; elles sont toutes les trois ; enfin, elles s’inscrivent dans une même durée et ont des , tels que les prophètes (par exemple : Abraham, Moïse).

  1. Le judaïsme

Le judaïsme désigne le fait de se sentir appartenir à la religion des juifs, ou, plus largement à une culture d’origine juive ; en revanche, être israélien, c’est être citoyen de l’État d’Israël, pas forcément juif de religion: on peut être à la fois israélien (nationalité) et palestinien chrétien (origine + religion), et palestinien musulman(origine + religion),et athée, ou non-pratiquant. Entre ces deux dernières catégories, la distinction est difficile car, souvent, désigner quelqu’un ou se désigner soi-même comme « juif » c’est dire une origine, mais pas forcément une religion suivie et pratiquée.

Historiquement, la religion juive apparaît au 6e siècle avant notre ère, à l’occasion d’événements dramatiques attestés :

  • la destruction du premier temple, puis celle de Jérusalem par le roi de Babylone Nabuchodonosor II, entraînant la chute du royaume de Juda (du nom de la tribu hébraïque de Palestine qui dura le plus longtemps sur ces lieux, nom repris pour créer les termes « juif » et « judaïsme ») et la fuite en Égypte ; la Bible a raconté ces épisodes en forçant vraisemblablement le trait (à entendre les historiens) sur les personnages ennemis. Enfin, les autres événements historiques sont la destruction du second temple, en 70 après J.C. et la destruction de Jérusalem par l’empereur romain Hadrien en 135. Après ces dates, le peuple juif fut dispersé dans le bassin méditerranéen, on nomme cela la« diaspora ».
  • Mais selon la tradition, l’histoire du peuple juif et de la religion est plus ancienne. Aux origines, il y aurait une série de révélations et d’expériences spirituelles vécues par et dans le peuple des Hébreux, appelés aussi Israélites, du nom du père de la tribu sémite d’origine qui, vers – 1200 s’est fixée sur la terre de Palestine, tandis que les Arabes, eux aussi sémites, et, pour certains d’entre eux, de longue date sur cette même terre de Palestine, seraient les fils d’Ismaël.
  • Dieu – Yahveh au nom indicible et imprononçable car le secret est gardé sur ses voyelles – se serait révélé à Moïse deux millénaires avant Jésus-Christ en lui transmettant les Tables de la Loi porteuses des dix commandements (elles sont appelées parfois le Décalogue). Tout d’abord, la religion de Moïse (qu’on n’appelait pas encore judaïsme et pour cause) fut celle de diverses tribus sémites nomades avant de devenir la religion des Hébreux sédentarisés en Palestine et pas toujours unis (époque des deux royautés de Juda et d’Israël). Dès cette époque, les juifs se définissent par leur langue, l’hébreu, leur dieu unique et leur foi de peuple élu à qui est due la terre promise qu’ils retrouveront un jour.

Les textes sacrés du judaïsme sont la Bible, en particulier les quatre premiers livres appelés la Torah (= la Loi) et le Talmud, recueil de commentaires rabbiniques. Le judaïsme est en effet une religion qui s’est constituée très progressivement, et dans une multiplicité de commentaires et d’exégèses. Notons dès l’origine le poids important des rabbins, détenteurs du savoir biblique acquis après de longues études et faisant autorité, d’où l’importance de la tradition orale dans le judaïsme.

La première caractéristique du judaïsme est, outre le monothéisme, le choix du peuple juif comme peuple responsable.

C’est une élection à double face, qui donne des droits (en finir avec l’exil et la destruction), mais aussi crée des devoirs : croire en un seul dieu, respecter la loi, respecter les rites religieux (prière du matin et de l’après-midi, repos du sabbat, interdictions alimentaires, interdiction des mariages mixtes).

Une autre caractéristique très forte est le lien indissoluble entre le politique et le religieux. De là l’exigence de retrouver la terre d’origine et l’aspect insupportable de l’exil.

Enfin, il est dit dans le dogme, et c’est en relation avec ce qui précède, que les juifs attendent le Messie, et l’installation d’une ère de perfection réalisée : alors, le religieux et le politique se confondront dans une étape de réalisation terrestre des attentes messianiques. De même, il y a la croyance en la résurrection des morts et le jugement dernier où chacun sera évalué par Dieu pour ce qu’il a fait et pas fait.

De tout cela provient, pour le juif, l’exigence d’un perfectionnement continu qui, joint à son appartenance au peuple élu, le place à part des autres, en même temps que la nécessité continue de s’adapter à des situations nouvelles.

Le judaïsme se répandit autour de la Méditerranée. Il fut confronté à la civilisation grecque, au christianisme, selon lequel Jésus-Christ est le Messie attendu, puis à l’islam. La conquête arabe des rives méditerranéennes du sud, au VIIe siècle, ne fut pas si négative que beaucoup le croient : en tant que fidèles d’une religion du Livre, comme entant qu’habitants anciens de la région, les juifs eurent une influence certaine dans le nouvel État islamique. Il y eut des interactions fécondes entre la réflexion menée par les prêtres et intellectuels des deux religions, ainsi qu’avec la philosophie de la Grèce antique. Plus difficile fut la cohabitation avec les chrétiens : en particulier, ceux-ci accusaient les juifs, à travers leur gouverneur (nommé par les Romains) d’avoir mis à mort Jésus.

Le XIIe siècle vit apparaître à l’intérieur du judaïsme un mouvement mystique ésotérique (avec la « kabbale »), il se répandit jusque dans le sud de la France et les autres pays méditerranéens, jusqu’à l’expulsion des juifs d’Espagne (1492). On voit là un des courants qui compte encore dans les actuelles tendances du judaïsme, les autres étant plutôt à qualifier de traditionalistes voire d’extrémistes, ou de modérés.

A partir du XVIIIe siècle, se produisit un événement considérable, l’émancipation des juifs dans les principaux pays du monde : désormais ils n’étaient plus un groupe à part, mais des citoyens comme les autres. Cela n’était pas pour plaire à tous…

Au XIXe siècle, se répandit un judaïsme plus libéral, notamment aux Etats-Unis, cependant que l’Europe centrale et la Méditerranée restaient fermes sur leurs convictions.

Au XXe siècle, dans la ligne des mouvements sionistes en faveur de la création d’un État d’Israël en Palestine, sur le fondement de la déclaration de lord Balfour de 1917, comme sur la culpabilité liée à la Shoah nazie, il se produit un événement capital : la création de l’État d’Israël (1948). C’est un événement capital pour toute la diaspora juive,mais aussi toute la région de Palestine (cf. sur ces points, la partie consacrée aux enjeux du Moyen-Orient, ainsi que les parties suivantes, consacrées aux autres religions monothéistes).

  1. Le christianisme

Le christianisme, du nom de Jésus-Christ, est la foi de ceux qu’on appela très vite les chrétiens, qui devaient progressivement se répandre en Europe à partir du Ier siècle et être associés au pouvoir et à la culture européens, puis mondiaux.

De nos jours, elle compte 1,5 milliard de fidèles à travers le monde (Encyclopédie Universalis – Atlas des religions).Jésus est né aux débuts de notre ère (puisque notre calendrier débute à sa naissance présumée en l’an 0 et est émaillé des événements chrétiens) en Palestine, entre Bethléem, le lac de Tibériade et Jérusalem, parmi les juifs et non-juifs présents sur cette terre. Il y a prêché la bonne parole, entraînant avec lui des disciples, dont quatre seront les auteurs des Évangiles (= Le nouveau Testament avec les Épîtres, 2e partie de la Bible pour les chrétiens).

Il y aurait fait des miracles, rapportés dans ces textes, lesdits miracles, ajoutés à sa parole prêchant l’amour, la fraternité, l’égalité, ont suscité à ses côtés un nombre de plus en plus grand de fidèles. D’où la naissance de ce qui ressemble à une secte, de plus en plus puissante, qui va inquiéter les autorités romaines gouvernant le pays à l’époque, ainsi que le grand prêtre du temple des juifs. Jésus sera donc condamné à mort et crucifié à l’âge de trente trois ans.

Les textes sacrés du christianisme sont la Bible comprenant à la fois les livres anciens des juifs et les Évangiles des quatre apôtres, d’abord en araméen (langue du Christ), puis traduits ; plus tard viendront s’ajouter les Epîtres de Paul. Être chrétien, c’est suivre les préceptes de Jésus-Christ et d’abord croire qu’il est bien le Messie attendu par les juifs (cf. ci-dessus), lesquels évidemment récusent cette croyance ; tout comme les Romains la récusent, comme mettant en danger non seulement leurs cultes mais aussi l’équilibre de leurs pouvoirs : Jésus prêche en effet l’amour et

l’égalité, ce qui suscite nombre d’espoirs chez les esclaves, les faibles et les opprimés ! À partir de ces deux données, on comprend pourquoi la foule attendait de sa part, lors de son procès à Jérusalem, une manifestation de puissance destinée à montrer son caractère divin et le début de l’établissement du royaume final de la justice sur terre, comme il était dit dans le dogme juif. Mais Jésus, jusqu’à la fin est resté dans l’humilité et s’est laissé crucifié puis mourir.

Une fois Jésus-Christ mort, le merveilleux s’installe et ne peut être accepté que par la foi : la résurrection de Jésus trois jours après sa crucifixion et son enfouissement dans un tombeau (résurrection célébrée le jour de Pâques), sa montée au ciel auprès de Dieu, et la promesse de la résurrection des corps après le jugement dernier (cf. dogme juif).

Le dogme chrétien est nouveau par rapport au dogme juif sur plusieurs points même s’il intègre les textes anciens et leurs croyances : d’abord, il prévoit un dieu unique mais en trois entités (le père, le fils Jésus-Christ et le saint-esprit),ce qui choque aussi bien les polythéistes que les monothéistes stricts ; ensuite, il fait du fils de dieu un messager, un lien avec l’humanité à travers sa naissance (célébrée à Noël) et sa vie terrestres – mais sa conception est céleste ;

Jésus serait en effet né d’une mère, Marie, fécondée par un ange, tandis que son père, Joseph, ne serait que son père nourricier ; enfin, la communauté des croyants est appelée à témoigner de la « bonne nouvelle » (= les Évangiles)qu’est la promesse du salut pour ceux qui suivent les préceptes chrétiens d’amour et de charité envers autrui ;ils affirment leur foi à travers la prière, le baptême et les sacrements liés aux événements de la vie, ils s’efforcent aussi à un perfectionnement moral et spirituel à travers des maîtres, une mystique et le monachisme ; car l’homme est marqué par le péché originel et il doit espérer en une rédemption ; les chrétiens sont regroupés en une Église, le premier dirigeant en fut l’apôtre Pierre, église aujourd’hui divisée depuis plusieurs siècles.

Le christianisme est d’abord lié à l’empire romain avec les persécutions contre les chrétiens puis la conversion des dirigeants ; il s’étend lors du partage de l’empire en deux entités, empire d’Orient, empire d’Occident (Constantinople, Rome) en particulier grâce à son respect des cultures locales et à sa langue de base, l’araméen, ancêtre du syriaque.

Pour l’unité de l’Église créée, les premiers grands conciles des IIIe et IVe siècles, affirment le dogme qui restera parla suite la base des différentes églises. Outre le pape à Rome, il y a déjà au Ve siècle quatre patriarcats (patriarche= archevêque) selon les régions du monde : Jérusalem, Constantinople, Antioche, Alexandrie ; ils déploieront une grande activité missionnaire, en particulier vers l’Asie et donneront naissance aux églises chrétiennes catholiques d’Orient (cf. les coptes en Égypte, les chrétiens d’Éthiopie, d’Arménie, de Syrie…).

Au XIe siècle, se produit le premier schisme, à cause d’un désaccord dogmatique sur La Trinité (dieu un en trois) et désormais on distinguera parmi les chrétiens les catholiques et les orthodoxes, les uns plutôt héritiers de l’église d’Occident, les autres de l’église d’Orient. Les orthodoxes sont implantés d’abord en Grèce, sur les territoires russes et d’Europe centrale.

Au début du XVIe siècle, c’est, en Europe occidentale, la Réforme donnant lieu à un nouveau schisme avec la papauté :

  • les réformateurs Luther et Calvin, désireux de revenir aux sources des Évangiles et d’éviter les excès de la papauté, créent ainsi le protestantisme. Celui-ci ne reconnaît pas l’autorité du pape, ni la divinité de Marie, mère de Jésus (la Sainte Vierge popularisée par les peintres et les statues), ni la validité de la confession devant un prêtre. Victimes de persécutions (cf. les guerres de religion en France, puis la révocation de l’édit de Nantes), souvent contraints à l’exil, ils vont diffuser leur foi dans les pays anglo-saxons et l’Amérique du nord. Peu après, l’Angleterre crée sur cette base l’église anglicane, une église nationale qui ne reconnaît pas l’autorité du pape.
  • Mais depuis cette époque, et à la suite des grandes découvertes, l’expansion chrétienne (surtout catholique et protestante)se fait par les missions, associées de façon ambiguë à des colonisations, qu’elles humanisent par l’enseignement, le soin aux malades, en même temps qu’elles contribuent à l’installer. C’est le cas en Afrique, en Amérique du sud, en Asie.

Aujourd’hui, le christianisme reste puissant, même si cette puissance n’est pas exempte de contestation : par exemple sur le rôle du pape Pie XII durant le nazisme. Il y aussi différents courants, parfois intégristes et sectaires, ou à l’inverse,progressistes. Mais la pratique aujourd’hui en est surtout vive hors d’Europe : retour aux origines ? Désaccord avec les actuels modes de vie ? Difficulté à suivre le dogme réaffirmé par le pape ? Concurrence d’autres religions et spiritualités? Montée d’un progressive société laïque et matérialiste ? Sans doute tout cela ensemble.

  1. L’islam

Comme le judaïsme, comme le christianisme, l’islam est à la fois une religion et une culture, nourries d’un art riche et liées au pouvoir politique. C’est la plus tardive des trois religions monothéistes apparues sur la même terre moyen orientale et influencée par les cultes précédents, dont elle reprend certains prophètes (Abraham, Jacob, Isaac, Moïse, Jésus… par exemple). Comme dans les autres religions, les rites et croyances sont marquées de leur origine ; l’organisation communautaire des fidèles est originale. On notera que tous les croyants sont égaux devant dieu, mais non entre eux, sur la terre Son prophète, Mohamed, était un commerçant vivant à La Mecque (actuelle Arabie saoudite) au VIIe siècle. Vers 610,il commença à avoir des visions, des révélations, qu’il se mit à transmettre à ses concitoyens et qui forment le Coran dont la langue sacrée est l’arabe. En 622 de notre ère (car le calendrier musulman, lui commence seulement à cette date, d’où des doubles dates dans bien des pays musulmans), c’est l’Hégire, ou exode, la fuite de Mohamed et ses premiers disciples pour éviter la persécution. Ils s’installent à Yatrhrib, actuelle Médine (la ville, en arabe), située en Arabie saoudite, fondent un État autour des textes révélés, les commentent et développent cette foi en l’enseignant.

En 630, après plusieurs années de lutte contre leurs ennemis arabes païens, les musulmans rentrent à La Mecque. En 632, Mohamed meurt.

L’islam (= obéissance à dieu, en arabe) affirme un dieu unique, radicalement différent des hommes (contrairement aux chrétiens) et qui n’est pas incarné, sans visage et sans forme ; d’où le mirhab dans les mosquées, niche vide censée être la place de dieu. Son livre sacré est le Coran (= lecture, récitation, en arabe, et non livre, ce que signifie Bible en grec) auquel s’ajoutent les hadiths ou commentaires et le fqih ou jurisprudence. Les « cinq piliers » de l’islam sont la

prière (cinq fois par jour), l’aumône (10 % du revenu), le pèlerinage, le jeûne du ramadan et la profession de foi. Les autres spécificités de l’islam sont le lien étroit entre organisation privée, familiale, voire tribale (cf. ses origines arabes et nomades du désert) et organisation publique : il en découle une solidarité concrète entre les membres de l’oumma, la communauté des croyants. L’islam a ainsi vocation à réglementer tous les aspects de la vie quotidienne, jusqu’aux plus petits (exemple : les ablutions), d’où son aspect juridique très fort ; et le musulman est enserré dans un réseau très fin de solidarités et d’obligations, lesquelles, en contrepartie, génèrent une grande sécurité psychologique, et souvent même matérielle (cf. aujourd’hui encore, l’aide financière apportée aux « martyrs »). L’islam se veut la seule religion de l’humanité, annulant toutes les autres, incorrectes, impies ou imparfaites (la Bible et l’Évangile auraient été manipulés) et, de ce fait, vise à une mondialisation active. À ses débuts, il est assez conciliateur avec ses voisins, juifs

et chrétiens, mais deviendra plus distant ensuite, au fur et à mesure que son dogme et que sa puissance s’affermissent. Dès le siècle de sa création, l’islam se révèle donc conquérant : après la prise de La Mecque en 630, les cavaliers arabes(devenus) musulmans se lancent à l’assaut de toute la rive méditerranéenne du sud, jusqu’au Maghreb actuel, ils passent en Espagne, puis en France, où ils sont arrêtés dans leur élan et vaincus à Poitiers par Charles Martel. Cette conquête est à la fois religieuse et politique, comme l’islam lui-même.

Entre les religions du Livre, pourtant parentes et voisines, toutes issues de tribus et de langues sémitiques, l’écart va progressivement se creuser. Un modus vivendi s’était pourtant établi tout autour de la Méditerranée et notamment en Palestine : les juifs et les chrétiens étaient acceptés, mais en tant que « dhimmis », inférieurs bien que gens du Livre. Les croisades, à partir de la fin du XIe siècle vont rompre cet équilibre : Amin Maalouf montre bien, dans Les Croisades vues par les Arabes – aux éditions de poche J’ai Lu – comment ceux-ci furent tout surpris (autant que les autres habitants de la Palestine, juifs et chrétiens) par la violence des croisés qu’ils n’avaient pas du tout prévue : ils ne s’intéressaient guère à eux, ne leur voyant aucune valeur.

De même, les musulmans eux-mêmes, dès la mort du prophète et dans la lutte pour sa succession, se sépareront violemment (assassinats, batailles) en deux « familles » principales, les chiites et les sunnites : les sunnites (de sunna = la loi, la tradition) sont aujourd’hui majoritaires dans le monde musulman, tandis que les chiites, héritiers d’Ali, gendre du prophète, sont présents surtout en Iran, Irak, Syrie, Liban, Yémen, Inde, Pakistan. Dans le chiisme, on admet qu’il puisse y avoir interprétation humaine (l’ijtihad), et non dans le sunnisme ; en effet, les chiites croient au retour du Mahdi, l’« iman caché », et sont fidèles à l’imam interprétant.

Le chiisme est plus révolutionnaire et proche par certains côtés du courant mystique soufi, selon lequel l’homme peut approcher dieu dans l’expérience de l’extase. Une troisième famille, le kharijisme, présente au Maghreb avec les sunnites et en Afrique orientale, refuse le choix entre sunnisme et chiisme et prône la relation directe avec dieu.

L’évolution historique de l’islam va culminer, d’un point de vue intellectuel, artistique, religieux et politique jusqu’au XVe siècle. Puis c’est le recul, alors que les pays européens se développent et évoluent avec la Renaissance artistique et intellectuelle, l’expansion économique qui devait entraîner la suprématie occidentale. Cela fut un traumatisme durable pour les musulmans, traumatisme aggravé parfois par les colonisations, et, en tout cas, par les transactions incontournables avec autrui. À tel point que le questionnement sur les causes de ce recul et les moyens d’y remédier est toujours actuel et qu’il s’exprime parfois violemment. Dans Comment l’Islam a découvert l’Europe (éditions La Découverte) Bernard Lewis, orientaliste, explique que les Turcs au 18e siècle faisaient venir des professeurs pour leur apprendre le français… afin de pouvoir lire les explications concernant les nouvelles armes créées par l’Occident !

Le XIXe et le XXe siècle verront des efforts pour un renouveau de l’islam, efforts liés tant à un questionnement sur soi, qu’à une revendication anticolonialiste : au XIXe siècle, c’est la Nahda (= renaissance) avec un nouvel essor des Lettres, la définition d’un islam réformateur, d’une interprétation coranique plus nuancée politiquement et moralement ;mais l’écroulement de l’empire ottoman à la fin de la 1re guerre mondiale met un terme à cet essor. Au XXe siècle, la discussion s’engage sur les modes de vie et de gouvernement, en particulier sur le statut de la femme, sur la famille, sur les relations avec les autres religions (cf. Mohamed Arkoun, recteur de la Mosquée de Paris, Lectures du Coran).

Aujourd’hui, l’islam apparaît de nouveau comme une religion en expansion dans toutes les parties du monde ; c’est la 2e religion de France, et la 2e du monde (1 milliard de musulmans). Mais la question du statut des femmes en islam est de plus en plus prégnante, dans un monde où l’individu est désormais reconnu en tant que tel : on peut lire sur ce point, de Fethi Benslama, La psychanalyse à l’épreuve de l’islam (éditions Aubier, Paris), On connaît malheureusement

aussi ses dérives extrémistes parfois sanglantes, mais l’ensemble du monde musulman ne peut être confondu avec celles-ci.

Dans une prochaine et dernière partie, nous vous montrerons les perspectives de chacune d’elles puis nous passerons en revue quelques autres religions de notre planète…