Le terme « multiculturalisme » a mauvaise presse en France, où il est fréquemment perçu comme une menace régressive d’éclatement des sociétés démocratiques modernes fondées sur la volonté des citoyens de vivre ensemble, en multiples communautés ethniques figées, repliées sur elles-mêmes et négatrices de la liberté individuelle et des valeurs universelles…

Avant d’entamer les définitions, rappelons que le terme « multiculturalisme » est polysémique : il peut être employé pour désigner un aspect de la réalité sociologique contemporaine, la pluralité culturelle ; il peut aussi représenter une conception philosophique du monde ; enfin, il évoque un ensemble de politiques publiques mises en œuvre afin de gérer la diversité culturelle.

LAROUSSE : Coexistence de plusieurs cultures dans une société, un pays.
ENCYCLOPÉDIE DE L’AGORA : Le multiculturalisme est un mot doté de nombreuses acceptions, selon qu’on l’utilise au Canada, aux États-Unis, en Australie, en Europe ou ailleurs. Les définitions évoluent de « assimilation », « intégration » dans le concept européen à « cohabitation » dans l’approche Nord-américaine (dont Canada).
  • Le multiculturalisme en France

« Dans la conception française de cette notion: un des modèles possibles de l’intégration à la communauté politique et nationale des populations immigrées.

La France a une conception particulière du multiculturalisme, qui tient à la fois à l’histoire de la construction de la nation et à l’image qu’elle se fait de sa culture.

De formation plurielle, la France a aujourd’hui conscience que son unité nationale n’était pas contradictoire avec le respect de sa diversité. La culture française n’a elle-même de référence ‘universelle’ qu’en raison de la richesse des apports extérieurs dont elle s’est toujours nourrie. L’image qui caractérise sans doute le mieux la relation culturelle de la France avec le reste du monde, et d’abord avec les immigrés qui sont installés sur son sol, n’est pas celle d’une assimilation forcée; c’est celle d’un lent métissage, de part et d’autre accepté et entretenu, au service d’un projet de construction permanente de la nation et de la société républicaine. »

  • Selon Jean-Philippe Trottier, Une leçon de contrepoint

«Très noble en principe, surtout quand on la formule dans les couloirs feutrés d’un parlement loin des quartiers chauds, un verre de martini à la main, l’idée de multiculturalisme pèche par le fait qu’elle est définie superficiellement et qu’elle introduit dans le corps social, et la culture qui donne sens et cohésion à ce dernier, un élément fragmenteur qui s’appelle le vouloir individuel absolu. Le vouloir d’un électron libre de choisir ses allégeances, de fabriquer sa pâte identitaire comme on commande un repas à la carte. C’est la modernité qui multiplie à l’infini les appartenances et crée une illusion d’unité par gonflement d’un langage diplomatique et flou auquel tous entendent ce qu’ils veulent bien entendre. C’est le village global aux multiples traditions populaires déracinées et réduites à l’état de caricature. Toute racine lui est odieuse, toute définition dangereuse, toute verticalité un démenti à sa Weltanschaung1 festive, technicienne et horizontale.»

  • Selon Claude Lévi-Strauss, De près et loin

Le multiculturalisme, notion abstraite, est incompatible avec cette conception de la société : «On a mis dans la tête des gens que la société relevait de la pensée abstraite alors qu’elle est faite d’habitudes, d’usages, et qu’en broyant ceux-ci sous les meules de la raison, on pulvérise des genres de vie fondés sur une longue tradition, on réduit les individus à l’état d’atomes interchangeables et anonymes. La liberté véritable ne peut avoir qu’un contenu concret: elle est faite d’équilibres entre des petites appartenances, de menues solidarités: ce contre quoi les idées théoriques qu’on proclame rationnelles s’acharnent; quand elles sont parvenues à leurs fins, il ne reste plus qu’à s’entre-détruire. Nous observons aujourd’hui le résultat.»