Depuis près de 30 ans, des dispositifs spécifiques tentent d’apporter des réponses aux maux des quartiers défavorisés des grandes villes françaises. Après la crise des banlieues de 2005, qu’en est-il de la politique de la ville ?

Amorcée en 1977, engagée vraiment dans les années 1980, la politique de la ville ne recouvre pas l’ensemble des politiques urbaines. Elle ne concerne que les quartiers dits « sensibles » des villes françaises, c’est-à-dire ceux dont les habitants accumulent les difficultés sociales : habitat dégradé, chômage, concentration de population d’origine étrangère, échec scolaire, délinquance…

A travers les procédures de développement social des quartiers (DSQ), puis des contrats de ville et des contrats d’agglomération, elle met en œuvre des moyens financiers et humains pour réduire les difficultés de ces quartiers et les réinscrire dans la ville.

De nombreuses critiques ont été formulées, notamment quant à la complexité des dispositifs d’intervention et de leurs modes de financement. L’efficacité même de la politique de la ville est mise en cause.

C’est dans ce contexte qu’un tournant important est opéré par la loi du 1er août 2003 (dite « loi Borloo ») : elle met en place une politique de « rénovation urbaine » fondée sur des opérations massives de démolition et de reconstruction, destinées à « casser les ghettos urbains ».

La crise des banlieues à l’automne 2005, qui suscite de nombreux débats sur la politique de la ville, entraîne notamment un renforcement de l’action contre les discriminations et en faveur de « l’égalité des chances ».

Dans son rapport sur la politique de la ville (2002), la Cour des comptes rappelait ses caractéristiques.

« Depuis une vingtaine d’années, l’Etat a engagé des actions visant à lutter contre la dégradation de quartiers situés en général à la périphérie des grandes villes et contre l’exclusion des populations qui y habitent. Regroupées à l’origine sous le nom « d’actions pour le développement social des quartiers (DSQ) », ces opérations constituent, depuis la fin des années 80, les composantes de la « politique de la ville ». Cette nouvelle dénomination est toutefois équivoque dès lors qu’elle ne s’applique pas à toutes les villes ni à toute la ville et qu’elle vise des actions autant sociales qu’urbanistiques. Aussi a-t-elle fait l’objet de nombreuses tentatives de définition dont aucune n’est pleinement satisfaisante. La politique de la ville peut être considérée comme une politique de lutte contre l’exclusion, conduite dans un cadre territorial, en faveur de zones urbaines où la précarité sociale est forte, menée par l’Etat en partenariat contractuel avec les collectivités locales.

  1. Qu’est-ce que la politique de la ville ?

L’ambiguïté de l’expression et la difficulté à en proposer une définition simple sont révélatrices de problèmes fondamentaux, concernant le contenu et les objectifs d’une politique, pourtant qualifiée de prioritaire par les gouvernements successifs.

Depuis le début des années 80, la politique de la ville a dû faire face à une aggravation de la crise des zones urbaines défavorisées qui n’est pas propre à la France. La politique de la ville s’est dès lors étendue à de nouveaux sites tandis que les difficultés ne cessaient parallèlement de s’accroître dans ceux où elle avait été en premier lieu mise en œuvre. Tout en s’efforçant d’affirmer sa légitimité et de définir son contenu spécifique, les responsables de la politique de la ville ont donc été contraints de l’adapter en permanence à la rapide et profonde évolution de son champ d’application.

La dégradation des conditions de vie dans certains quartiers a conduit l’Etat à mener des actions destinées à traiter les effets comme les causes de cette évolution. Aussi la politique de la ville recouvre-t-elle une grande diversité d’interventions relevant à la fois de l’urbanisme et de l’aménagement urbain, de l’action sociale, de l’éducation, de la prévention de la délinquance et de la sécurité. Depuis plusieurs années, le développement économique, l’emploi et l’insertion professionnelle constituent une priorité particulière. Une première caractéristique de la politique de la ville est donc d’être pluridimensionnelle.

Une politique interministérielle : Au sein de l’Etat, la politique de la ville est avant tout interministérielle. Elle repose sur des actions de tous les ministères, coordonnées par des structures qui lui sont propres.

Cette dimension interministérielle a été affirmée très tôt, notamment avec la création en 1984 du comité interministériel des villes (CIV) présidé par le Premier ministre ou son représentant et auquel participent un grand nombre de ministres. Cette instance gouvernementale arrête, en principe, les orientations de la politique de la ville, définit les programmes qui la mettent en œuvre et répartit les moyens, notamment financiers.

Pour conduire et animer cette politique, une organisation spécifique a été progressivement mise en place à partir de la fin des années 80. Elle s’est traduite par la création en 1990 d’un ministère de la ville doté, à partir de 1994, d’un budget propre. Après plusieurs évolutions concernant son positionnement, il relevait, au moment de l’enquête de la Cour, d’un ministre délégué auprès du ministre de l’emploi et de la solidarité. Le ministre chargé de la ville dispose à l’échelon central, d’une Délégation interministérielle à la ville (DIV) forte d’une centaine d’agents, créée en 1988. Au niveau déconcentré, les actions de la DIV sont relayées par les services préfectoraux. Afin d’assurer le suivi de cette politique, des « sous-préfets chargés de mission pour la politique de la ville » ont été nommés dans les départements les plus concernés.

Une politique multipartenariale : du fait de la décentralisation notamment, l’Etat ne peut pas agir seul dans la plupart des domaines concernés. Aussi la politique de la ville repose-t-elle en grande partie sur la participation des collectivités locales (régions, départements, communautés urbaines, communes) et sur celles de divers organismes tels que la Caisse des dépôts et consignations, le FAS (Fonds d’action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs famille, puis Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations) ou La Poste. Elle s’appuie aussi localement sur le milieu associatif qui sert de relais vers les populations concernées, dont la participation, qui est désormais une priorité affichée de la politique de la ville, conditionne le succès des actions entreprises.

Une politique combinant des dispositifs spécifiques et des dispositifs de droit commun : La politique de la ville a été marquée par le développement de nombreux dispositifs spécifiques, mis en œuvre par le ministère de la Ville. Ses interventions sont incitatives et non substitutives, ce qui explique que les moyens financiers du ministère, pourtant en progression, restent limités. Les moyens financiers réputés engagés par l’Etat au titre de cette politique (4,3 Md€ en 2001) ne sont toutefois pas limités aux crédits spécifiques du budget de la ville (367 M€ en 2001). Ils comprennent également les inflexions en faveur de la politique de la ville des politiques « de droit commun », notamment dans les domaines de l’emploi, de la sécurité, de la justice et de l’éducation.

Les collectivités locales et certains organismes publics ont également isolé des moyens dédiés à la politique de la ville en plus de leurs interventions de droit commun dans leurs domaines de compétence.

L’importance du cadre contractuel : Le choix d’une politique partenariale explique l’importance du cadre contractuel. Outre les contrats de plan Etat-régions, qui comportent désormais systématiquement un volet « politique de la ville », des dispositifs contractuels propres sont le cadre de mise en œuvre privilégié de cette politique à l’échelon local. Ils associent l’Etat, les collectivités locales ainsi que les organismes publics et bailleurs sociaux concernés. Ce cadre contractuel présente deux caractéristiques : il est territorialisé et s’inscrit dans l’horizon temporel des contrats de plans (1994-1999 puis 2000-2006).

Une géographie prioritaire en extension : Les actions ainsi conduites s’appliquent à des territoires urbains dont les populations présentent des caractéristiques de grande précarité. Concentrée à l’origine sur quelques quartiers particuliers d’une agglomération, la politique de la ville a progressivement été étendue, à travers les procédures contractuelles, à l’essentiel, voire à la totalité de celle-ci. Si on se limite, parmi les 751 zones urbaines sensibles (ZUS) définies par l’Etat en 1996, aux 717 de métropole, le nombre d’habitants concernés s’élevait à 4,46 millions en 1999 ».

  1. L’évolution de la politique de la ville

Premier dispositif de ce type, la procédure HVS est destinée à réhabiliter certaines cités de HLM dégradées

Un Fonds social urbain (FSU) est créé pour financer des projets de développement social urbain donnant lieu à un engagement de l’Etat.

A la suite des rapports Schwartz, Bonnemaison et Dubedout, la procédure de DSQ vise à améliorer tous les aspects de la vie quotidienne des habitants de quartiers cumulant des handicaps sociaux, culturels et urbains. La sélection des quartiers fait l’objet d’une négociation entre le préfet de région et le président du conseil régional. Les programmes DSQ sont co-financés par l’Etat et la région. Placé sous l’autorité du maire, le DSQ cherche à décloisonner les interventions sectorielles et à traiter les problèmes dans toutes leurs dimensions éducatives, sociales, économiques, préventive, d’abord dans une perspective de développement autocentré, puis dans une simple perspective correctrice au moyen du principe de discrimination positive. Les contrats de DSQ sont inscrits dans les contrats de Plan Etat-Région du IXe Plan.

En 1988 sont créés un Conseil national des villes (instance de proposition), un Comité interministériel des villes (instance de décision) et une Délégation interministérielle à la ville ou DIV (instance d’animation et d’exécution). Puis, en 1990, est nommé pour la première fois un ministre chargé de la Ville (Michel Delebarre). 13 sous-préfets chargés de la ville sont également nommés.

Un Fonds interministériel à la ville est installé en 1994.

D’abord expérimentaux, coexistant avec les contrats de DSQ et mettant l’accent sur la nécessité d’intervenir non seulement à l’échelle du quartier mais à celle de l’agglomération, les contrats de ville succèdent en 1993 aux procédures de DSQ et se recentrent sur les quartiers. C’est un acte d’engagement par lequel une ou plusieurs collectivités locales et l’Etat décident de mettre en œuvre conjointement un programme pluriannuel (5 ans d’abord, puis 7 dans le cadre du XIIe Plan 2000-2006) de développement social urbain. Le contrat de ville s’intègre dans le contrat de Plan Etat-Région.

Le Pacte de relance pour la ville redéfinit en 1996 une géographie prioritaire plus rigoureuse distinguant les zones urbaines sensibles (ZUS), nouveau label pour les quartiers prioritaires en contrat de ville, les zones de redynamisation urbaine (ZRU), sous-ensemble des ZUS bénéficiant d’exonérations fiscales et sociales, et les zones franches urbaines (ZFU) qui correspondent aux quartiers de plus de 10 000 habitants présentant les caractères les plus dégradés et bénéficiant non seulement des mesures appliquées aux ZUS et aux ZRU mais aussi d’exonérations fiscales et sociales supplémentaires à condition d’employer un tiers de leur personnel parmi les habitants des ZUS de l’agglomération. On compte 731 ZUS, 350 ZRU et 44 ZFU. La méthode n’est plus contractuelle : il s’agit d’appels à projets mettant en concurrence les sites candidats et donnant à l’Etat le pouvoir d’arbitrer. Le Pacte invente aussi les « emplois ville », réservés aux jeunes des quartiers de la géographie prioritaire.

Enfin, les Grands Projets de ville relaient les Grands Projets urbains.

De son côté, la loi Voynet de juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire crée les contrats d’agglomération, conclus entre l’Etat et les établissements publics de coopération intercommunale, dont les contrats de ville constituent le volet social. La politique de la ville se trouve ainsi désenclavée et portée au niveau de l’agglomération.

Après le retour de la gauche au pouvoir en 1997, la politique de la ville semble tombée en disgrâce. Ce n’est qu’après le rapport Sueur de 1998 et la nomination d’un ministre délégué à la ville en avril 1998 que les contrats de ville sont relancés notamment à l’échelle intercommunale dynamisée par la loi Chevènement de juillet 1999 qui fait de la politique de la ville une compétence obligatoire des communautés d’agglomération.

Dans ce but, la nouvelle politique lance dans les 751 ZUS un programme national de rénovation urbaine sur 5 ans, relayé par des programmes d’action locaux. Quelque 30 milliards de travaux doivent être réalisés entre 2004 et 2008 pour aménager des espaces publics, créer ou réhabiliter des équipements publics, réorganiser les voiries, rénover le parc de logements publics et privés. Une agence centrale, l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), est créée pour instruire les dossiers de candidature et financer les projets. Le financement fait appel au « 1 % patronal », à la Caisse des dépôts et consignations et aux fonds européens ;• Parallèlement, un important programme de revitalisation économique des zones prioritaires de la politique de la ville est adopté avec, en particulier, la création de 41 nouvelles zones franches urbaines et l’installation d’un Observatoire national des zones urbaines sensibles chargé d’évaluer l’efficacité des politiques suivies.

Ce qui est du ressort de l’accompagnement social et économique de la population relève désormais du droit commun ou est laissé à l’initiative des collectivités locales dans le contexte d’une décentralisation accrue qui leur reconnaît davantage de compétences.

Après le rapport très critique de la Cour des comptes sur la politique de la ville de 2002, la loi Borloo du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine réoriente fondamentalement la politique de la ville :

Après la crise des banlieues de l’automne 2005, les dispositifs du Plan Borloo sont intensifiés : l’ANRU reçoit 25 % de moyens supplémentaires ; 15 nouvelles ZFU sont créées, celles existantes sont étendues et prolongées jusque fin 2011 ; l’installation d’une Agence de la cohésion sociale et de l’égalité des chances et de préfets à l’égalité des chances est annoncée ; des mesures scolaires et des mesures pour l’emploi sont prises en faveur des jeunes des ZUS ; 100 millions d’euros supplémentaires sont débloqués pour les associations de quartier…

On crée 15 nouvelles ZFU.

  • 2012 : Un rapport de la Cour des comptes pointe des problèmes de gouvernance et souligne que la plupart des objectifs de la politique de la ville n’ont pas été atteints.
  • 2013 : Rapport de Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache : « Pour une réforme radicale de la politique de la ville ».
  • 2014 : Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, adoptée le 21 février.

  • Décloisonner… vraiment

Si la politique de rénovation urbaine est unanimement saluée – son inspirateur, Jean-Louis Borloo, a d’ailleurs reçu les hommages appuyés de la ministre -, elle n’a pas tout réglé loin de là. Principal point noir : les quartiers, même refaits à neuf, n’ont pas bénéficié d’un brassage assez fort de la population. Le relogement s’est fait à 48 % sur site et à seulement 10 % hors de la commune d’origine. Pis ! Seuls 11 % de l’offre locative sociale nouvelle a été construit hors de la commune. Pour « fluidifier » les quartiers, les nouveaux contrats de ville se feront donc à l’échelle intercommunale.

Autre idée force : la clause dite du « quartier le plus favorisé ». L’objectif ne doit pas être de ramener les territoires prioritaires dans la moyenne française mais de les hisser vers ce qui se fait de mieux (en qualité de services, de logements, d’emplois, etc.).

  • Allier l’urbain à l’humain : Création des Conseils citoyens, offre institutionnelle de participation, qui s’inscrivent dans la continuité des dispositifs de « démocratie participative » instaurés depuis 30 ans.

Autre limite de la politique la ville: elle a sans doute été jusqu’à présent trop axé sur le béton et pas assez sur la vitalisation des quartiers. « L’action publique ne peut plus fonctionner en tuyaux d’orgues », a indiqué la ministre qui sonne la mobilisation générale. 25% des emplois d’avenir seront orientés sur les quartiers prioritaires (au lieu de 18% aujourd’hui), des dispositifs spécifiques sont créés pour les familles monoparentales, les mères isolés ou pour l’aide à la création d’entreprise.

Une convention de 400 millions d’euros a été signée avec la Caisse des dépôts afin de renforcer le capital des entreprises implantées dans les quartiers. « En cumul, l’effort de ces politiques de la ville sera de l’ordre de 500 millions par an », assure la ministre. Soit autant que les montants de la rénovation urbaine.

  •  Associer les habitants : « Ce qui se fait sans moi se fait contre moi. » Najat Vallaud-Belkacem s’est appuyée sur cette citation de Nelson Mandela pour marteler l’un de ses credos : la ville ne peut se construire « hors-sol », sans ses habitants « parfois en colère ou, pire, indifférents à l’égard de politiques publiques qui leur sont justement destinées ». S’appuyer sur l’expertise de la population est aussi un moyen de « dépenser mieux ». D’où la volonté de la ministre de créer des « conseils citoyens » composés pour partie d’habitants tirés au sort.

 

Source : Cour des comptes, rapport sur la politique de la ville, 2002. D’après le « jaune budgétaire » annexé au projet de loi de finances pour 2002 (crédits votés 2001 pour le budget de la ville, en crédits de paiement).