Le regain de conflits et tensions que connaissent le Proche et le Moyen-Orient depuis plusieurs années, pourraient bien être une source d’inspiration pour le sujet d’histoire du concours commun de Sciences Po pour 2018…Voici donc matière pour traiter ce thème que nous développerons en 3 parties dont voici la première dédiée aux grands enjeux qui marquent cette région

On utilise traditionnellement l’expression Proche-Orient pour désigner la région correspondant aux sous-régions de l’Est du bassin méditerranéen, de la Turquie à l’Égypte, que l’on appelait auparavant « Le Levant ». Depuis un siècle, sous l’influence des Anglo-Saxons, et notamment depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, on utilise l’expression Moyen-Orient, « The Middle East ». Il s’agit de l’ensemble des pays de l’Asie du Sud-ouest, de la Turquie à l’Iran, que l’on étend jusqu’à l’Afghanistan, et du Sud du Caucase à la Péninsule arabique. L’ensemble comprend aussi l’Égypte.

Cette région et l’une des plus instables du monde, les tensions et les conflits y sont les plus nombreux et la situation actuelle avec les foyers comme la Syrie, l’Irak ou le Liban, le prouvent encore. C’est le paradoxe d’une région qui compte un héritage culturel d’une extrême diversité et d’une grande richesse, et qui dispose de ressources stratégiques clés comme le pétrole. En fait, ces atouts se sont transformés en sources conflits, car la situation géopolitique de cette région depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale est devenue très complexe.

Il sera tout d’abord évoqué les multiples facteurs géostratégiques qui rendent   cette région particulièrement instable et conflictuelle : ethniques, culturels, religieux, la gestion des ressources stratégiques… pour ensuite faire émerger que les réalités politiques et diplomatiques sont véritablement tourmentées et profondes dans cette région,   depuis 1945, et que   des facteurs expliquent et nourrissent les conflits jusqu’aux Révolutions actuelles du printemps arabe. Un dernier focus sera réalisé sur les conflits majeurs de cet espace, les conflits israélo-arabes et leurs implications régionales et internationales.

1.
1.1 Une grande diversité ethnique, culturelle et religieuse

a)

Cette région est une mosaïque ethnique, linguistique et religieuse. On peut distinguer tout trois grands ensembles civilisationnels et linguistiques : l’ensemble arabe, l’ensemble turc et l’ensemble perse (iranien). Des minorités existent dans ces grands ensembles, par exemple les Kurdes. Les Kurdes forment un peuple sans État. Les promesses faites après la Première Guerre Mondiale de créer un Kurdistan indépendant n’ont jamais été tenus. Les Kurdes sont environ 30 millions et sont répartis entre l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie. Leur mouvement indépendantiste est le PKK et demeure très actif en la Turquie. Le Kurdistan fût l’un des enjeux majeurs lors de la guerre en Syrie-Irak et plus ou moins soutenu par les Etats-Unis, ses combattants ont été des acteurs essentiels dans la défaite de l’Etat islamique.

b)

La dimension multiethnique et multiconfessionnelle est un facteur permanent de conflits

Sur le plan religieux, la religion dominante est l’Islam. Cependant l’Islam n’est pas un bloc homogène. On distingue notamment les deux grands courants, le Sunnisme et le Chiisme.

Le Chiisme et le Sunnisme se sont séparés au VIIème siècle à propos de la succession de Mahomet.

Chiites-sunnites : une division historique

La scission de ces deux courants de l’islam remonte à la mort du prophète Mahomet, en 632. Se pose alors la question du successeur le plus légitime pour diriger la communauté des croyants :

  • les futurs chiites désignent Ali, gendre et fils spirituel de Mahomet, au nom des liens du sang ;
  • les futurs sunnites désignent Abou Bakr, un homme ordinaire, compagnon de toujours de Mahomet, au nom du retour aux traditions tribales.

Le sunnisme : Le Sunnisme est le courant majoritaire. Les sunnites considèrent le Coran comme une œuvre divine : l’imam est un pasteur nommé par d’autres hommes, faisant office de guide entre le croyant et Allah pour la prière.

Le chiisme : Les chiites considèrent l’imam, descendant de la famille de Mahomet, comme un guide indispensable de la communauté, tirant directement son autorité de Dieu. C’est pourquoi leur clergé est très structuré.

Une majorité de musulmans soutiennent Abou Bakr, qui devient le premier calife. Depuis, les sunnites ont toujours été majoritaires. Ils représentent aujourd’hui environ 85 % des musulmans du monde. Les seuls pays à majorité chiite sont l’Iran, l’Irak, l’Azerbaïdjan et Bahreïn, mais d’importantes minorités existent au Yémen, en Afghanistan, en Arabie saoudite et au Liban. On observerait donc la formation d’un arc chiite dirigé par l’Iran et qui s’étendrait sur l’Irak, la Syrie et le Liban.

Aux côtés de ces deux grandes branches existent également d’autres courants minoritaires : les alaouites en Syrie, les alévis en Turquie, les druzes, dispersés dans tout le Proche-Orient, et les khâridjites à Oman et au Maghreb. On trouve également d’importantes minorités chrétiennes. Ces communautés chrétiennes sont très diverses. Les Chrétiens représentent 39% de la population libanaise, les plus nombreux sont les Maronites. On trouve les Coptes en Égypte, les Chaldéens en Irak, les Syriaques en Syrie…

Il faut bien sûr citer aussi citer la religion juive présente en Israël, il y a encore des minorités juives dans certains pays, par exemple en Iran.

La Religion est un facteur de tensions dans cette région. Cette dernière fut le lieu de naissance des trois monothéismes. La Présence des lieux saints de ces trois religions accentue ces conflits.

Les lieux de divisions religieuses

  • Les pays

L’Irak est effectivement un État multiethnique (Arabes et Kurdes) et multiconfessionnel (sunnites et chiites, minorités chrétiennes), comme beaucoup d’États de la région.

En Syrie le conflit oppose aujourd’hui également les différentes communautés ethniques et religieuses du pays : sunnites, chiites, kurdes.

En Irak comme en Syrie aujourd’hui, le facteur multiethnique et multiconfessionnel est donc toujours au cœur des conflits. La possible naissance future d’un État kurde montre comment ce facteur peut faire évoluer les frontières du Moyen-Orient…

  • Les villes

Jérusalem par exemple est un enjeu de mémoires religieux d’une grande intensité. On y trouve par exemple le mur des lamentations lié à la religion juive, la religion musulmane est représentée par le Dôme du Rocher le troisième lieu saint de l’Islam après La Mecque et Médine. Le christianisme est représenté quant à lui par le Saint Sépulcre, le tombeau du Christ, et les souvenirs de la passion du christ.

On comprend, avec tous ces exemples, les rivalités entre Israéliens et Palestiniens, chacun voulant faire de cette ville sa capitale.

Les rivalités concernant certains lieux saints peuvent aussi avoir lieu dans une même religion. Ainsi, l’Arabie Saoudite, représentante de l’Islam sunnite, contrôle les deux principaux lieux saints de l’Islam, La Mecque et Médine. Ce contrôle suscite les critiques de l’Iran Chiite. Les lieux saints du Chiisme sont répartis entre l’Iran et l’Irak.

1.2 Les tensions liées aux ressources naturelles

La région ayant une position géostratégique, elle abrite des ressources pétrolières importantes longtemps exploitées par les pays occidentaux mais maintenant entre les mains des États qui détiennent une arme économique.

a)  

Cette région connaît une forte croissance démographique malgré la transition démographique. La population y est jeune et cela pose le problème de la croissance économique et de l’accès aux ressources naturelles, notamment l’eau, dans le cadre du développement durable.

L’eau est une source de tensions ente les pays qui sont obligés également de collaborer et de s’entendre. On peut citer le vaste programme de constructions de barrages sur l’Euphrate par la Turquie qui réduit la quantité et la qualité de l’eau en Syrie et en Irak. La Syrie a son propre programme de barrages.

Israël connaît des tensions avec ses voisins pour le contrôle des eaux de surface et souterraines en particulier avec le Liban, la Syrie, la Jordanie et les territoires palestiniens.

Par exemple entre Israël, la Cisjordanie et Gaza : accusation palestinienne de captation par Israël de l’eau des nappes palestiniennes, revendication israélienne du droit d’utiliser une partie de cette eau issue de nappes transfrontalières et accusation envers l’Autorité palestinienne de ne pas investir pour garantir l’accès à l’eau de populations palestiniennes.

b)

Outre la question de la production pétrolière, le Moyen-Orient a aussi une position stratégique sur la route des hydrocarbures : le Golfe Persique concentre 35 % du trafic pétrolier maritime mondial. L’exemple du détroit d’Ormuz est révélateur : point de tension régional, surveillé par les grandes puissances (bases et flottes américaines, bases françaises et britanniques).

Avec près des 2/3 des réserves pétrolières mondiales estimées et 40% des réserves gazières connues, le Moyen-Orient est devenu un lieu fondamental de production couvrant une part essentielle des besoins énergétiques mondiaux. Depuis la découverte des premiers gisements en Perse (actuel Iran) en 1908, le contrôle de ces ressources est devenu essentiel pour les grandes puissances et une arme stratégique pour les pays producteurs.

Jusqu’aux années 60, l’exploitation des gisements a été réalisée par de grandes compagnies britanniques et américaines «   les Majors » comme British Petroleum, Arabian American Company ( Aramco)…À partir des année 60, les pays producteurs ont commencé à contrôler davantage leurs ressources par des nationalisations et la création en 1960 de l’OPEP dont l’objectif était d’augmenter les prix maintenus très bas par les Majors.

À partir de 1973, avec le premier choc pétrolier, dans le cadre de la Guerre du Kippour entre Israël et les pays arabes, puis en 1979 avec le deuxième choc pétrolier provoqué par la révolution en Iran, le prix du pétrole n’a cessé d’augmenter procurant d’importants revenus aux pays producteurs.

Les grandes puissances n’hésitent pas à intervenir pour protéger leurs approvisionnements. Ainsi en 1945, les Etats-Unis empêchent la présence de troupes soviétiques en Iran. En 1953, toujours en Iran, les EU et le RU renversent le gouvernement Mossadegh qui voulait nationaliser l’industrie pétrolière.

Les nationalisations n’empêchèrent pas les firmes multinationales pétrolières, notamment américaines, d’être toujours présentes dans la région et de jouer un rôle très important.

En 1990-1991, les Etats-Unis avec l’appui de la communauté internationale organisent la première guerre du Golfe, « Tempête du Désert », contre l’Irak à la suite de l’invasion du Koweït par ce dernier. Les deux pays étant de gros producteurs, les enjeux énergétiques étaient considérables pour la sécurité des EU.

elle est révélatrice du rôle de l’enjeu pétrolier dans les conflits de la région :

  • L’endettement irakien auprès des États pétroliers du Golfe (notamment Koweït) suite à la guerre Iran/Irak est important ;
  • L’Irak revendique deux îlots koweïtiens qui lui assureraient une meilleure ouverture sur le Golfe persique, réclame que le Koweït assouplisse ses demandes de remboursements de la dette, et accuse le Koweït de prélever du pétrole dans les nappes appartenant à l’Irak ;
  • En août 1990 : l’Irak envahit le Koweït. Objectif de l’Irak : s’approprier des réserves de pétrole colossales qui lui donneraient le pouvoir de peser très lourdement sur le marché mondial du pétrole, contrôler une plus large façade maritime sur le Golfe, et menacer directement les frontières de l’Arabie Saoudite, alliée des États-Unis ;
  • L’offensive militaire américaine avec l’aval de l’ONU et le soutien de nombreux pays arabes (Arabie Saoudite, Égypte, Émirats Arabes Unis…).

En 2003, la deuxième Guerre du Golfe a aussi en partie des motivations pétrolières.

Les tensions peuvent également opposées des pays de la région entre eux. Ainsi, la guerre entre l’Iran et l’Irak entre 1980-1988 avait en partie comme cause le contrôle des champs pétroliers dans le Golfe Persique.

1.3 Les autres enjeux stratégiques essentiels

Une position stratégique

L’importance du Moyen Orient tient d’abord à sa situation géographique. Carrefour entre la Méditerranée et l’océan Indien, à la jonction de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie, la région est depuis l’Antiquité, un lieu de contacts et d’échanges, mais aussi de rivalités et d’affrontements.

Le canal de Suez, réalisé par Ferdinand de Lesseps, entre 1859-1869, accroît l’intérêt stratégique de la région.

Au centre, on trouve 5 États : Irak, Syrie, Jordanie, Liban et Israël, où se concentrent au XX°s les guerres et les conflits. 3 grands pays, les plus peuplés du Moyen Orient les encadrent : Égypte à l’ouest, Turquie au nord et Iran à l’est.

Cette région a une importance stratégique et géopolitique considérable depuis des milliers d’années car c’est un carrefour entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Des points de passage cruciaux sont toujours essentiels aux intérêts des grandes puissances.

Ainsi, le Bosphore et les Dardanelles constituent une voie de passage clé pour la Russie entre la Mer Noire et la Méditerranée.

Les points de passage des routes maritimes pétrolières sont vitaux pour l’Occident. Par exemple, le détroit d’Ormuz entre le Golfe Persique et l’Océan Indien, l’Iran en cas de conflit avec Israël et les EU, au sujet de son programme nucléaire menace de bloquer ce passage, le détroit de Bab al Mandab entre la Mer Rouge et l’Océan Indien.

Le contrôle de ces points de passage déclenche parfois des conflits.

En 1956, le Président égyptien Nasser nationalisa le Canal de Suez, qui relie la Mer Rouge à la Mer Méditerranée, contrôlé par des intérêts français et britanniques. La France et le RU déclenchèrent, en vain, une opération militaire pour récupérer le contrôle de cette voie de communication vitale par laquelle transitait le pétrole du Moyen-Orient.

Dans une prochaine partie nous caractériserons les grands conflits de la région et leurs causes…