Comment la ville peut-elle être un facteur d’intégration et de cohésion au sein d’une société ? Voici quelques éléments à prendre en compte ou pour appuyer vos propos si vous abordez cette approche…

 

Le terme d’intégration désigne à la fois un processus qui fait entrer un élément dans un ensemble que l’état de cohérence ou d’interdépendance résultant de ce processus. Tout processus d’urbanisation comporte une dimension intégratrice pour autant qu’il agence en un certain ordre des populations, des activités et des espaces.

Cependant cette intégration de fait de manière différente selon le type d’urbanisation : par exemple, la cité antique, la commune médiévale ou la ville industrielle, forment ainsi autant de configurations typiques dont chacune représente une manière particulière de faire tenir ensemble des groupes et des institutions sur un même territoire.

Ces villes n’en sont pas moins soumises aux tensions qui traversent toute société, et notamment les sociétés urbaines. Les sociologues de l’École de Chicago ont été particulièrement sensibles aux processus permanents de désorganisation/réorganisation qui scandent le devenir de la grande ville moderne.

D’un côté, ils ont montré comment les quartiers dont se compose la ville pouvaient servir de cadre au développement de solidarités locales et à l’insertion des citadins dans des territoires et des réseaux. Et d’un autre côté, l’agglomération qui leur servait de « laboratoire social » était par excellence celle de l’immigration, du déracinement, de la désintégration des appartenances et des liens sociaux, de l’extrême hétérogénéité sociale et culturelle.

À bien des égards, l’urbanisation contemporaine se situe dans le droit fil de ces tendances contrastées. Les mégalopoles diffuses connaissent un étalement désordonné de tissus urbains inégalement structurés ; les villes sont travaillées par des évolutions qui mettent en jeu des échelles spatiales de plus en plus larges ; les rapports sociaux hérités de l’âge industriel se recomposent, mais en laissant aussi place à diverses formes d’exclusion.

 

Les lieux habités et pratiqués peuvent servir de supports, mais aussi d’opérateurs plus ou moins efficaces pour entretenir la cohérence et la cohésion d’un groupe. La cohérence connote plutôt la similitude des situations et des pratiques ; la cohésion, les diverses formes de solidarité et la référence à un même ensemble de valeurs et de normes.

Concept de « village dans la ville »

Depuis l’École de Chicago jusqu’à nos jours, de très nombreuses études ont contribué à rendre célèbre le thème du « village dans la ville », qui unit ses habitants par de multiples liens où s’entrecroisent le voisinage, la parenté, l’amitié et les solidarités professionnelles. Ce

thème correspond en fait à une gamme de situations très diverses, allant du vieux quartier populaire où se sont sédimentées de longue date des familles d’ouvriers, d’artisans et de petits commerçants , jusqu’à la communauté d’immigrants fixée dans un secteur de l’agglomération où elle accumule les signes de son identité ethnique ou religieuse, les instruments de sa cohésion, et parfois même les moyens d’une quasi-autarcie économique .

Quand elle est invoquée, la métaphore villageoise vise d’ordinaire à qualifier une manière d’être en ville qui se caractérise par quelques traits associés :

  • homogénéité du peuplement et des modes de vie ;
  • forte identification à un petit territoire regroupant l’essentiel des sociabilités ;
  • existence centrée sur l’environnement humain du quartier plus que sur la maison ;
  • densité des interconnaissances dans un espace local où se déploient d’efficaces réseaux d’entraide qui sont aussi des instruments de contrôle social du voisinage.

Bien au-delà de ses incarnations les plus typiques, le thème du quartier-village est cher au cœur de beaucoup de citadins. Pour peu que la physionomie du bâti et l’« esprit des lieux » s’y prêtent, des habitants peuvent s’en saisir pour faire l’éloge d’une intense vie locale. C’est tout particulièrement le cas dans les quartiers anciens « gentrifiés » des grandes agglomérations où les nouveaux venus, membres des couches moyennes ou supérieures, vantent fréquemment dans leurs discours le côté « village » de leur environnement résidentiel. Cette évocation est souvent pour eux une façon de proclamer les vertus de la diversité sans conflits, de l’harmonie sociale avec les habitants anciennement installés, appartenant aux milieux populaires.

 

Les beaux quartiers

De multiples déterminants concourent à la localisation dans les « beaux quartiers » :

  • compétition pour les emplacements prestigieux qui consacrent la réussite sociale du ménage ;
  • réseaux de cooptation ;
  • enjeux scolaires et éducatifs ;
  • contrôle des espaces publics du quartier et appropriation quasi privative de ses équipements ;
  • transmissions patrimoniales et dispositions héritées qui font du lieu habité la marque quasi naturalisée du statut de la famille, et de sa place parfois ancienne dans tout un univers de relations et d’affinités.

Des milieux qui comptent parmi les mieux intégrés au monde urbain peuvent ainsi fort bien jouer de leurs nombreux atouts pour se retrouver entre soi, tout en vivant loin de leur domicile une bonne partie de leur vie sociale, et tout en maîtrisant avec aisance les ressources et les compétences qui leur permettent par ailleurs un usage diversifié de la ville.

 

Des « banlieues » aux « quartiers sensibles »

 Le terme de banlieue doit ici s’entendre au sens métaphorique, puisqu’il ne correspond pas nécessairement à une localisation en périphérie. En termes plus sociologiques, la « banlieue » peut être décrite comme « un système social articulant fortement trois logiques de l’action : une logique communautaire construite autour d’une culture populaire, une logique de conscience de classe et, enfin, une logique de participation sociale constituée autour des partis, des syndicats et des associations ».

Ces logiques se combinent pour inscrire, au sein de territoires associant l’usine et l’habitat, des dispositifs régulateurs fondés sur le partage d’une même condition ouvrière, sur la référence à une communauté de valeurs et de normes, sur l’expérience de l’action militante, et sur le contrôle collectif de la socialisation des jeunes.

Les formes de solidarité, d’entraide et de gestion locale des déviances n’y sont pas sans analogie avec celles observées dans les « villages urbains ». Elles s’en distinguent cependant dans la mesure où elles sont ici articulées à une solidarité de classe qui se construit non seulement dans les relations de voisinage mais aussi, et surtout, dans l’action collective organisée.

Cette figure historique de la « banlieue » a été étroitement liée à l’industrialisation. Elle est aujourd’hui affectée par la recomposition simultanée des systèmes productifs et des anciennes communautés ouvrières, et par la fragilisation des affiliations politiques. Mais ces territoires, plus volontiers qualifiés aujourd’hui (comme d’autres secteurs urbains) de « quartiers sensibles », ne sont pas devenus pour autant des territoires anomiques où régnerait l’anonymat.

De nombreux travaux récents montrent en effet que les « quartiers sensibles », ou « en difficulté », sont des lieux de relations, d’échanges, de solidarités informelles, et des lieux qui peuvent jouer un rôle important dans la socialisation et la vie sociale de leurs habitants, à l’exemple des jeunes de milieux populaires, enfants d’ouvriers immigrés .

 

2.  L’intégration à la ville comme processus d’assimilation

On peut aussi concevoir l’intégration par référence à l’échelle globale d’une société, c’est-à-dire d’une entité collective définie à la fois par une culture nationale, une structure socio-économique et un ensemble d’institutions. Ainsi entendue, la problématique de l’intégration est souvent invoquée à propos des populations migrantes. Elle tend alors à rejoindre celle de l’assimilation, c’est-à-dire du processus conduisant à faire de l’autre un « semblable », qui partage les mêmes modèles culturels, trouve sa place dans un système national d’activités interdépendantes, et participe en tant que citoyen aux institutions qui structurent la vie publique.

Les villes se nourrissent en permanence de nouveaux apports issus de leurs arrière-pays, d’autres régions ou d’autres contrées. Pour une partie au moins de ces migrants, c’est au travers de l’expérience de la vie urbaine que s’opère leur progressive intégration sociale et culturelle.

 

3.  La ville, espace de socialisation

Le concept de socialisation peut être envisagé selon deux perspectives.

A)

En un premier sens, il désigne l’ensemble des mécanismes d’apprentissage qui font que les individus intériorisent les valeurs et les normes d’une société ou d’un groupe social particulier. En adoptant les manières de penser et d’agir qui leur ont été inculquées dès la petite enfance, les nouvelles générations assurent la pérennité de cultures nationales, mais aussi de sous-cultures spécifiques.

Elles s’approprient ainsi des compétences langagières et cognitives, des dispositions éthiques et des règles de conduite qui leur assignent des appartenances, et favorisent par là même leur intégration aux ensembles sociaux dont elles contribuent à perpétuer la cohésion.

 

B)

Le concept de socialisation peut aussi se référer aux diverses interactions qui établissent entre les individus des formes déterminées de relations. Des plus éphémères aux plus instituées, des plus fugitives aux plus durables, ces actions réciproques sont porteuses d’influences mutuelles entre les êtres sociaux. À la faveur de ces interactions se

construisent, se confortent, se défont et se reconfigurent des manières d’être ensemble, des modes de coexistence, mais aussi des systèmes d’attitudes qui peuvent évoluer au fil des expériences individuelles.

Ces deux lignes d’analyse doivent être clairement distinguées. Elles ne sont cependant pas incompatibles, si l’on veut bien admettre que tout processus d’apprentissage est lui-même interactif, et que les êtres « socialisés » adaptent en permanence les dispositions qu’ils ont héritées aux situations qu’ils vivent.

La sociologie urbaine est particulièrement propice à l’examen des interférences, et aussi des tensions, qui s’instaurent entre ces deux faces de la socialisation. D’un côté, des dispositifs régulateurs articulés à des territoires peuvent contribuer à entretenir et à transmettre aux jeunes générations des modèles culturels, des formes de solidarité, des manières d’être en ville, voire d’éventuelles « appartenances locales ». D’un autre côté, la vie urbaine est tout entière placée sous le signe de la mobilité : migrations, mobilités résidentielles, déplacements journaliers imposés par la spécialisation des espaces… Ces faits de mobilité sont porteurs de déstabilisation des appartenances et des certitudes. Mais ils sont, en même temps, les moyens et les signes d’adaptations plus ou moins réussies aux exigences de la condition citadine. Ils traduisent ainsi, à l’échelle des destins individuels, l’ambivalence des processus de désorganisation/réorganisation qui sont sans doute constitutifs de toute vie sociale, mais qui s’exacerbent dans la ville moderne.

 

 La ville par son côté récréatif, c’est-à-dire ces loisirs, ces festivals, ces sports non-institués et ces pratiques (contre)culturelles, apparaît comme un médiateur social, participant et/ou construisant des transactions avec les autres acteurs et agents sociaux de la ville. L’espace est successivement, ou simultanément, le cadre, l’objet, le produit et/ou l’acteur collectif au cœur du processus d’interaction et de construction d’une parole commune et/ou d’une décision concertée impliquant une part importante des acteurs de l’urbain.

Poser un regard sociologique sur la spatialité du social est difficile. L’espace est très (trop) souvent vu comme un simple contenant a l’intérieur duquel le jeu social se développe, voire un substrat sur lequel il se déploie. Pourtant une ville est faite de lieux et d’hommes.

Ces lieux différenciés et lies, ces hommes, diversement groupes, ont des rapports étroits les uns avec les autres. Pour saisir ces rapports il ne suffit pas de s’attacher a l’étude des implantations et des constructions humaines, de la manière dont les populations occupent le sol et s’y déplacent. Il faut atteindre cette unité de l’homme et des lieux qu’est l’espace social au travers ses réseaux de communication entre les hommes qui s’installent et se meuvent de multiples façons.

Pour interroger cet espace social, l’angle peut être celui des activités dites récréatives : les activités de culture et de loisirs. Un fait majeur de l’urbanité occidentale réside dans l’avènement programmé d’une « civilisation du loisir ». Cette « révolution des temps libres », s’incarne dans les vacances, les loisirs, les activités ludiques et/ou sportives.

Les activités récréatives sont l’apanage des villes depuis longtemps et cette tendance s’accentue. Mais l’urbain et les métropoles ne sont plus les seuls concernés : les petites villes de province connaissent une croissance des activités culturelles et/ou sportives, notamment à des fins stratégiques de développement territorial, de valorisation ou de constructions identitaires complexes, de développement touristique ou d’enjeux géostratégiques de confrontation culturelle.

Les mutations actuelles des activités récréatives urbaines élargissent leur aire d’application, faisant émerger une ville ludique argumentant qu’une des fonctions majeures de l’espace public est la possibilité d’interactions sociales informelles, non instrumentalisées.

Les activités récréatives ont d’abord été affectées à des lieux dédiés : théâtres, gymnases, auditoriums, cafés, stades, cinémas, etc. Elles ont peu à peu conquis la rue et l’ensemble de l’espace urbain, dans lequel elles deviennent des figures ordinaires.

Aujourd’hui, les espaces culturels et sportifs innovent : ils aménagent la ville pour la culture et le tourisme, ils décloisonnent les frontières entre l’intérieur et l’extérieur, l’indoor et l’outdoor. In fine, ils participent d’une revalorisation des espaces urbains et/ou suggèrent une forme d’urbanité ludique : les festivals, les spectacles de déambulation, les événements artistiques hors des lieux pré-affectés, via des dispositifs provisoires, les sports de glisse ou de roule, les sports auto-organisés dans la cité ou sauvages, les arts de la rue, etc.

 

Source : Que sais-je « La sociologie urbaine »