D’ici 2020, deux milliards de personnes supplémentaires rejoindront les centres urbains. C’est alors plus de la moitié de la population des pays en développement qui habitera dans les villes. Sont elles la source ou la conséquence d’une mondialisation incontournable…?

Il aura ainsi fallu à peine deux siècles pour inverser la tendance : à 90 % rurale au milieu du XIXème siècle, la population mondiale sera urbanisée à 70 % au milieu du XXIème siècle. La ville sera pour beaucoup la figure dominante des années à venir comme l’État-nation a été celle du siècle dernier…

La première mondialisation s’est appuyée sur des villes et non sur des Etats. En 1985, dans «la dynamique du capitalisme », Fernand Braudel décrit les « villes-mondes » du Moyen Age, telles que Venise ou Séville. Véritables carrefours où hommes, informations, marchandises ou capitaux transitent, elles forment un espace économiquement autonome et structuré par des liaisons et échanges. Il nomme cet espace « ».

La plupart des villes européennes que nous connaissons sont nées entre l’an 1000 et 1250. De nombreuses petites villes fortifiées apparaissent, centres de commerces et d’artisanat. Les échanges se développent entre les villes industrieuses du Nord et les villes marchandes du Sud d’ateliers textiles qui s’étend d’Amsterdam aux rives de la Seine propose des draps contre le blé, des épices et les soieries précieuses des négociants italiens d’Amalfi, de Gênes ou de Venise. Sous l’impulsion de leurs marchands, les villes ont conduit une première internationalisation des échanges, en intégrant peu à peu dans leurs destinations des régions du monde comme les Amériques ou l’Inde. La suprématie maritime rime alors avec pouvoir économique. Lisbonne, Amsterdam et Londres doivent largement leur domination au rayonnement de leur flotte.

Transitant par la « route de la s oie » les marchands vénitiens ramènent les épices et les soieries convoitées par toute l’Europe. Au XVe siècle, Lisbonne est le point de départ de l’exploration des côtes africaines par Henri le Navigateur, et de la route des Indes qui contourne l’Afrique, par Vasco de Gama. Au début du XVIIe siècle, Amsterdam reprend la main en Méditerranées en multipliant les comptoirs commerciaux autour de l’océan indien. A l’amorce de la révolution industrielle, Londres impose sa puissance, grâce larges factions de l’Afrique, l’Inde, la Malaisie et la Birmanie.

 

2.  De la métropole à la ville globale

Au XIXe siècle, la révolution industrielle et l’avènement du capitalisme accentue villes, même si cette deuxième mondialisation émane cette fois des états-nations. L’urbanisation est désormais marquée par l’affirmation de l’économique sur le politique et le religieux, les deux fonctions centrales de la ville depuis le Moyen Age. La concentration dans les villes un nouveau vocabulaire émerge. En 1887, Halford John MacKinder propose la notion de « métropolisation », définie comme un nœud constitué par l’articulation des réseaux de transport mécaniques et fluviaux. Les villes deviennent de véritables le local et global. L’internationalisation des échanges et la division internationale du travail caractéristiques de la fin du XIXe et du début du XXe siècle renforcent la domination politique et économique de certaines de ces métropoles, situées dans les zones centrales de l’économie –monde.

En 1927, le sociologue de l’école de Chicago Roderick MacKenzie pressent que, grâce aux progrès des télécommunications, ce sont les réseaux d’information qui vont sélectionner le de la mondialisation. Les réseaux permettent de déconnecter spatialement les fonctions de direction et de contrôle de celles de la production. Ainsi, une petite partie des villes peut se spécialiser dans des activités d’encadrement à haute valeur ajoutée, tandis que les autres continuent d’assumer des activités plus classiques de production de biens et de services. L’entreprise suédoise de prêt -à-porter H&M, par exemple, dont le siège social est situé à Stockholm, ne possède pas d’usines. Après avoir fait fabriquer ses vêtements en Chine, elle se tourne désormais vers l’usine de Huajian à 30 km au sud d’Addis-Abeba, capitale de l’Ethiopie.

En 1991, la sociologue américaine Saskia Sassen identifie un nouveau type de villes, les « globales » (voir « La ville globale, Tokyo »). Tandis que le nouvel âge de la mondialisation se caractérise par la dispersion planétaire des activités de production, elle constate que les fonctions de pilotage de l’économie globale demeurent localisées dans de grands centres urbains. Ces villes globales présentent plusieurs invariants cosmopolites, concentrent des fonctions de commandement économique et financier (sièges sociaux de firmes multinationales, des institutions de la gouvernance économique mondiale…), rassemblent des structures de recherche et de formation de haut niveau contribuant ainsi à l’innovation, à la création esthétique, au développement de l’art, possèdent des infrastructures de transport et de communication performantes les reliant facilement au monde, polarisent des flux de toute nature (de marchandises, de capitaux, migratoires, culturels, informationnels….). Les villes apparaissent plus que jamais aux commandes de la mondialisation.

 

3.  Un système urbain mondial

Les villes les plus puissantes de la planète n’exercent plus leur influence sur une partie du monde, mais sont intégrées dans un réseau planétaire de villes globales, qu’Olivier Dolfus appelle un « archipel mégalopolitain mondial (AMM), un ensemble de villes qui contribuent à la direction du monde et concentrent des activités d’innovation La puissance d’une cité se mesure désormais à la variété et au nombre de ses connexions. Ce réseau de villes peut être analysé comme un système supranational les noeuds du système, les métropoles, interagissant intensément entre elles, dépassent les limites de leur territoire régional et national. Cela ne réduit pas pour autant l’influence des Etats financier propre à la Suisse ; Londres et New-York ont émergé comme place financière grâce au statut de monnaies de référence de la livre sterling et du dollar américain.

Ce processus stimule et affermit des centralités existantes et en consacrent de nouvelles, telles que Dubaï et Singapour. Au fur et à mesure de l’internationalisation de l’économie, les fonctions de contrôle des grandes firmes se concentrent dans un nombre restreint de lieux, majoritairement des métropoles localisées dans les pays les plus avancés. A l’inverse, les métropoles secondaires au profil industriel traditionnel tendent à décliner, comme Leipzig, en Allemagne, ou Détroit aux Etats Unis suite à la crise de 2008.

A première vue, les villes de ce système mondial semblent en compétition les unes avec les autres. Pour attirer les firmes, les villes développent alors leur attractivité: niveau de qualification, performance de l’enseignement supérieur et de la recherche, accessibilité, etc. La compétition porte également sur l’accueil des grands événements sportifs comme en 2012 entre Paris et Londres pour les Jeux Olympiques, ou sur l’obtention de prestigieux labels, tels que l’inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco.

Saskia Sassen soutient toutefois que la complémentarité entre les villes prévaut sur la concurrence.

Les aires urbaines sont connectées par une multiplicité de circuits et aucune ville n’appartient à tous. La métropole indienne de Mumbaï par exemple, participe au circuit mondial de l’investissement immobilier qui inclut notamment des villes aussi différentes que Londres et Bogota. New York et São Paulo figurent parmi les nœuds majeurs du négoce global du café.

Shanghai domine le circuit du cuivre. Les villes ne font donc pas toutes la même chose, chacune est une combinaison de fonctions économiques spécifiques et de connexions globales particulières favorables à un certain type d’activité. Plutôt que de concurrence, il conviendrait de parler d’une répartition spécialisée des tâches entre les grandes agglomérations de la planète. Ce constat va également à l’encontre de l’idée selon laquelle la globalisation gommerait les spécificités des grandes métropoles : la mondialisation met à profit des compétences économiques spécifiques qui varient beaucoup d’une ville à l’autre.