Nous avions développé un grand article dédié aux différentes causes de la guerre froide. Des causes de la bipolarité, aux tensions et apaisement tout en passant par ses paroxysmes, la guerre froide est une longue épreuve de force qui s’est engagée, au lendemain de la capitulation de l’Allemagne hitlérienne, entre les États-Unis et l’Union soviétique. Dans cette partie nous verrons comment ces causes se cristallisent avec la division de l’Allemagne et la formation des alliances qui provoqueront les premières tensions…

Ces différentes parties montrent les faits principaux qui doivent figurer dans un sujet qui lui est dédié…

II. La cristallisation de la bipolarisation

La division de l’Allemagne et la création des alliances traduisent l’antagonisme EST-OUEST. Cet antagonisme entrainera les premiers affrontements au travers la guerre civile grecque, la révolution chinoise et la guerre de Corée.

A. La division de l’Allemagne

Au cours de l’année 1945, les Alliés commencent à organiser leurs zones d’occupation respectives en Allemagne. Les Américains occupent le Sud, les Britanniques l’ouest et le nord, la France le sud-ouest et les Soviétiques le centre de l’Allemagne. Le côté oriental est administré par la Pologne, sauf la ville de Königsberg (rebaptisée Kaliningrad) et ses environs, incorporés à l’URSS. Le 30 août 1945, un conseil de contrôle interallié est mis en place. Berlin est divisée en quatre secteurs et soumise au contrôle administratif de la Kommandantur interalliée. En 1946, les principaux criminels de guerre sont jugés à Nuremberg par des juges alliés. Cette même année, le sort des satellites de l’Allemagne et celui de l’Italie, de la Bulgarie, de la Roumanie, de la Hongrie et de la Finlande, est réglé à Paris par des traités de paix séparés.

Le 28 juillet 1946, les États-Unis proposent un plan d’unification économique des zones d’occupation. Face au refus de la France et de l’Union soviétique, les Britanniques et les Américains décident d’unir économiquement leurs deux zones pour créer en décembre de la même année la Bizone. Le 1 août 1948, la zone d’occupation française intègre la Bizone qui devient donc une Trizone. Progressivement, l’entente entre les Alliés se détériore et les organismes quadripartites deviennent ingérables. En mars 1948, le conseil de contrôle interallié interrompt ses travaux, suivi par la Kommandantur en juin 1948.

1. Le blocus de Berlin

L’Allemagne devient rapidement un champ d’affrontement de la guerre froide. Après avoir réorganisé politiquement leur zone d’occupation dans l’Allemagne vaincue, les Anglais et les Américains veulent aussi y relancer la vie économique, ce qui implique une réforme monétaire radicale. Le 20 juin 1948, les Occidentaux introduisent donc une nouvelle unité de compte. Le mark allemand, le Deutschemark (DM) est introduit dans toutes les zones occidentales et remplace le Reichsmark par trop déprécié. Cette réforme monétaire permet de remplir enfin les rayons des magasins de produits qui n’étaient plus alors disponibles que par le marché noir. Tandis que les communistes s’emparent de presque tous les postes de commande dans la zone orientale, les conceptions des anciens Alliés sur l’organisation économique et politique de l’Allemagne deviennent chaque jour plus contradictoires.

Espérant préserver l’unité de Berlin au cœur de la zone soviétique et dénonçant ce qu’elle considère comme une politique anglo-américaine du fait accompli, l’URSS réagit à cette initiative le 24 juin 1948 par le blocus total des secteurs occidentaux de Berlin. La ville est située dans la zone d’occupation soviétique mais les Américains, les Anglais et les Français sont installés dans leur zone d’occupation respective. Les voies d’accès terrestres, ferroviaires et fluviales vers Berlin sont coupées jusqu’au 12 mai 1949. Les fournitures de vivres et d’électricité sont rompues. L’introduction du DM dans les secteurs occidentaux de Berlin en est la cause officielle, mais l’Union soviétique cherche probablement à réduire l’îlot capitaliste dans sa zone d’occupation en obligeant les Britanniques, les Français et les Américains à quitter Berlin. Ceux-ci doivent réagir promptement : le pont aérien allié, mis en place par le général Lucius D. Clay, s’avère être la contre-mesure américaine appropriée.

Des milliers d’avions (plus de 270 000 vols au total) apportent chaque jour vivres, matériel de chauffage et autres objets de première nécessité dans la ville encerclée. En tout, plus de 13 000 tonnes de marchandises sont ainsi livrées chaque jour. Berlin devient l’un des principaux théâtres de la confrontation entre l’Est et l’Ouest. La division de l’Europe en deux blocs est consommée. La ville devient un symbole de liberté pour l’Occident. Les habitants de la ville ne sont plus désormais perçus comme d’anciens nazis qu’il faut punir mais comme des victimes de la menace soviétique.

Quand, le 12 mai 1949, Staline décide de lever le blocus, le divorce politique de la ville est bel et bien consommé. Deux administrations municipales ont été mises en place et les Soviétiques ont procédé à la fusion des partis social-démocrate et communiste. Des élections démocratiques sont par contre organisées à Berlin-Ouest en décembre 1948 qui voient la victoire des sociaux-démocrates résolument anticommunistes. La réussite du pont aérien de Berlin permet de faire admettre aux opinions publiques occidentales le partage inéluctable de l’Allemagne. De part et d’autre du rideau de fer, la ville de Berlin devient la vitrine des modèles occidental et soviétique. Face au sentiment de menace soviétique, l’idée du réarmement de l’Allemagne et de son intégration dans une structure d’unification européenne apparaît de plus en plus prégnante aux yeux des Occidentaux.

2. La fondation de la RFA

Le 2 décembre 1946, les Britanniques et les Américains décident de fusionner leur zone d’occupation respective. Avec l’adjonction de la zone française en 1948, l’Allemagne occidentale devient la Trizone. Du 20 avril au 2 juin 1948, les trois puissances se réunissent à Londres pour discuter de l’avenir du pays et décident de convoquer une assemblée constituante, le Conseil parlementaire allemand. Ses membres sont désignés par les parlements des États fédéraux, les Länder. Ces entités fédérales ont été créées par les puissances d’occupation en tenant plus ou moins compte des antécédents historiques. Tandis que l’État de Prusse est aboli par décision alliée, la Bavière est maintenue. Le 1 septembre 1948, le Conseil parlementaire commence ses travaux à Bonn. Il élit le démocrate-chrétien Konrad Adenauer à sa tête et élabore la loi fondamentale qui est promulguée le 23 mai 1949. Cette loi représente la constitution provisoire de la République fédérale d’Allemagne (RFA). Son adoption par référendum donne lieu aux premières élections législatives pour l’ensemble de la Trizone. La ville de Bonn l’emporte sur Francfort comme capitale provisoire.

La ville de Berlin-Ouest reçoit le statut de Land mais reste administrée par les Alliés. Il s’agit en effet de montrer que Berlin-Ouest fait partie de la RFA en dépit de son statut particulier et de favoriser le développement économique de la ville en accordant notamment des primes aux entreprises et aux fonctionnaires qui décident de venir s’y installer.

Même si le droit de regard des puissances alliées occidentales limite encore la souveraineté allemande, la RFA se veut déjà la seule héritière légitime du Reich allemand, dissout lors de la capitulation sans condition de 1945. L’élection du Bundestag, en août 1949, consacre la victoire des chrétiens-démocrates (CDU) sur les socialistes (SPD) menés par Kurt Schumacher et dont certaines positions marxistes effraient parfois les occupants occidentaux. Les communistes et les libéraux ne récoltent que des résultats marginaux. La CDU, dirigée par Konrad Adenauer, s’affirme par contre comme le champion du retour de l’économie libérale. Adenauer, partenaire privilégié des Américains, devient le premier chancelier de la RFA.

3. La fondation de la RDA

En réaction à la fondation de la République fédérale d’Allemagne (RFA) à Bonn, l’URSS favorise, en octobre 1949, la proclamation de la République démocratique allemande (RDA) à Berlin. Berlin-Est devient aussitôt la capitale de la RDA. Les Occidentaux refusent de reconnaître cet État qui, à l’instar de la RFA, a la prétention de parler pour toute l’Allemagne. Le communiste Wilhelm Pieck devient président de la RDA et Otto Grotewohl, ancien social-démocrate, est nommé chef du gouvernement. C’est pourtant Walter Ulbricht, chef du Parti communiste, qui joue le rôle déterminant. Depuis 1946, le Parti social-démocrate (SPD) de la zone soviétique a en effet été contraint de fusionner avec le Parti communiste (KPD) pour former le Parti socialiste unifié (SED).

Ce parti stalinien, dirigé par des communistes, va dominer la vie politique de la RDA jusqu’à la fin du régime communiste en 1989.

B. Le renforcement des alliances

Le 22 janvier 1948, Ernest Bevin, ministre britannique des Affaires étrangères, prononce à la Chambre des Communes un discours dans lequel il dénonce la menace soviétique. Il affirme sa volonté de développer la coopération de la Grande-Bretagne avec la France et les pays du Benelux dans le cadre d’une Union occidentale.

Quelques jours plus tard, le coup d’État de Prague du 25 février 1948, par lequel les communistes prennent avec force le pouvoir en Tchécoslovaquie, donne encore plus d’acuité aux tensions internationales et aux dangers que fait régner la guerre froide. Le 17 mars 1948, les cinq pays signent à Bruxelles le traité instituant l’Union occidentale qui ne se prémunit plus uniquement contre l’Allemagne mais qui vise à prévenir toute agression armée en Europe.

Ce traité est amendé par les accords de Paris du 23 octobre 1954, fondant l’Union de l’Europe occidentale (UEO) conséquemment à l’échec de la Communauté européenne de défense (CED).

Or, les cinq pays européens membres du pacte de Bruxelles prennent rapidement conscience qu’ils ne peuvent s’opposer seuls à une éventuelle attaque de l’URSS.

Le 11 juin 1948, le Congrès américain vote l’amendement Vandenberg, qui met définitivement fin à l’isolationnisme américain en autorisant les États-Unis à s’engager même en temps de paix dans des alliances internationales. La voie est désormais ouverte pour l’Alliance atlantique. Le 4 avril 1949, douze ministres des Affaires étrangères signent à Washington le traité instituant l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Aux Cinq de l’Union occidentale s’ajoutent les États-Unis, le Canada, le Danemark, l’Islande, l’Italie, la Norvège et le Portugal.

La création d’une alliance euro-américaine est vivement contestée par les communistes du monde entier. Les négociations atlantiques sont d’ailleurs marquées par les menaces et les intimidations à peine voilées que formule le Kremlin contre les puissances occidentales. Mais le climat de peur qui entoure la ratification des traités d’adhésion par les parlements occidentaux ne fait qu’accélérer les opérations. Le traité d’Alliance atlantique entre en vigueur le 23 août 1949 et ouvre la voie de la défense de l’Europe de l’Ouest dans un cadre transatlantique.

En 1953, le nouveau président américain Eisenhower et son secrétaire d’État John Foster Dulles élargissent la doctrine Truman et mettent en place la politique du roll back, qui vise non seulement à endiguer le communisme, mais aussi à le refouler. D’où l’obligation de s’allier militairement avec les pays menacés par l’expansion communiste. Le début des années 1950 est ainsi caractérisé par la « pactomanie ». De nombreux traités comparables à celui de l’OTAN sont signés : l’ANZUS (Australie, Nouvelle-Zellande, United States) en 1951, l’OTASE (Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est) en 1954 et le pacte de Bagdad en 1955.

L’URSS réplique en 1955 par la création du pacte de Varsovie. Suite à l’adhésion de la RFA au traité de l’Atlantique Nord le 9 mai 1955, les pays socialistes d’Europe de l’Est s’organisent également dans une alliance militaire. Il s’agit d’un pacte de défense réciproque en cas d’agression regroupant l’URSS, l’Albanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la RDA, la Roumanie et la Tchécoslovaquie.

C. Les premiers affrontements

À partir de 1947, la guerre froide donne lieu à des conflits localisés, qui opposent les deux camps sans pour autant déclencher une guerre ouverte entre les États-Unis et l’URSS.

Ainsi, la Grèce est en proie à une guerre civile depuis l’automne 1946 et après avoir laissé faire le Royaume-Uni, les États-Unis y interviennent activement pour soutenir les forces anticommunistes. En Chine, l’appui américain va au nationaliste Tchang Kaï-Chek sans que cela suffise toutefois à freiner l’avancée des communistes soutenus par l’Union soviétique. En juin 1950, avec l’invasion par les troupes communistes nord-coréennes de la Corée du Sud, la guerre froide se déplace de l’Europe vers l’Asie du Sud-Est. La région devient le théâtre d’un conflit idéologique sanglant entre l’Occident et le monde communiste, qui contribue indirectement à précipiter le réarmement de la République fédérale allemande.

1. La guerre civile en Grèce

Depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de violents combats opposent les communistes aux troupes gouvernementales qui reçoivent une aide militaire et financière massive des Britanniques puis des Américains qui redoutent de voir le pays, le dernier des Balkans à ne pas être sous hégémonie soviétique, se transformer à son tour en une République populaire. Voisine de la Turquie, la Grèce constitue donc une zone stratégique et économique de première importance pour barrer la route à la domination soviétique en Méditerranée orientale et protéger les ressources pétrolières du Moyen-Orient. Les États-Unis s’engagent ainsi à préserver l’indépendance et l’intégralité territoriale du royaume en poussant les autorités politiques à constituer un gouvernement d’unité nationale et à entreprendre une série de réformes économiques. En engageant une action qui aboutira, en deux ans, à la victoire des armées royalistes, les États-Unis font d’eux-mêmes le leader incontesté du « monde libre ». La Grèce profite du plan Marshall et s’insère peu à peu dans le système occidental en intégrant le Conseil de l’Europe en 1949 et l’OTAN en 1951. La fin de la révolte communiste en Grèce, qui entraîne la mort de plus de 50 000 personnes, marque le terme de la progression de l’influence soviétique en Europe.

2. La révolution en Chine

Au printemps 1946, la guerre civile éclate en Chine. Les communistes conduits par Mao Tsé-Tung, aguerris par la résistance face au Japon, promettent une redistribution des terres aux paysans. Malgré l’appui américain qui se focalise progressivement sur l’Europe, le gouvernement nationaliste du général Tchang Kaï-Chek est contraint de quitter le continent et de se réfugier sur l’île de Formose en 1950. La République populaire de Chine est proclamée le 1 octobre 1949 avec Mao comme président. Les communistes occupent tous les postes-clés de l’État. Les opposants sont systématiquement arrêtés ou exécutés. Cette victoire renforce considérablement la position du communisme mondial qui s’étend désormais de la mer de Chine à l’Elbe. Mais la Chine communiste, qui a certes besoin de l’aide économique soviétique dans les premières années de la République populaire, n’en est pas pour autant un simple satellite de l’Union soviétique. Et si elle s’engage auprès de l’URSS dans certains conflits de la guerre froide, elle ne s’intègre pas pour autant dans le bloc soviétique.

3. La guerre de Corée

Le 25 juin 1950, les troupes communistes de Corée du Nord franchissent le 38 parallèle qui, depuis 1945, marque la ligne de démarcation militaire entre le nord – sous influence soviétique – et le sud – sous influence américaine – du pays. En fait, les affrontements frontaliers et l’invasion du sud de la péninsule marquent le début de la guerre de Corée. Les États-Unis, décidés à soutenir les autorités du Sud, profitent d’une absence temporaire du délégué soviétique au Conseil de sécurité des Nations unies pour engager l’Organisation des Nations unies (ONU) dans la défense de la Corée du Sud. Ils demandent à l’ONU d’appliquer le principe de la sécurité collective et de voter des sanctions contre la Corée du Nord. En juin 1950, des forces aériennes et navales américaines débarquent dans la péninsule. Seize pays, dont la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, participent à la constitution d’une force internationale sous commandement américain. La Corée du Nord jouit par contre de l’appui diplomatique de l’URSS et de l’aide militaire de la Chine populaire.

Ayant pu refouler les troupes nord-coréennes jusqu’à la frontière chinoise, le général américain Mac Arthur est néanmoins confronté, dès le début de 1951, à une contre-offensive massive de renforts chinois. Il propose alors au président américain, Harry Truman, de bombarder la Chine communiste en recourant, s’il le faut, à l’arme atomique. La situation devient véritablement dramatique : un nouveau conflit mondial paraît imminent. Mais le président refuse l’emploi de la bombe atomique et la guerre se poursuit malgré d’incessantes tractations diplomatiques en vue d’instaurer un cessez-le-feu. L’armistice est finalement signé en juillet 1953 dans le climat de détente internationale que suscite la mort de Staline quatre mois plus tôt. Les États-Unis offrent cependant une aide économique importante à la Corée du Sud tandis que l’URSS soutient la Corée du Nord, rendant pour longtemps impossible la réunification du pays.

Pendant ce conflit, la guerre froide touche assurément à son apogée. Elle débouche en effet sur une psychose anticommuniste aux États-Unis et ne manque pas d’avoir des effets en Europe de l’Ouest qui se sent de plus en plus faible face aux deux Grands sur la scène internationale.

Nous avons donc vu cette bipolarisation se cristallise au travers la division de l’Allemagne et la formation des alliances qui provoqueront les premières tensions. Dans une prochaine partie nous nous concentrerons sur la coexistence pacifique que revêt cette guerre à partie de 1953 et ses paroxysmes jusqu’en 1962.