Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France connaît des transformations économiques profondes qui entraînent des mutations sociales majeures. En même temps, la fin des Trente Glorieuses accentue, au début des années 1970, ces mutations durables. Les évolutions et mutations étant nombreuses et complexes, nous y consacrerons plusieurs articles…

L’ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE

A. Les « Trente Glorieuses » ( 1945-1973 )

1. La reconstruction d’après-guerre

  • Le bilan de la 2ème guerre mondialeLes victimes civiles et militaires, le déficit des naissances et l’émigration ont entraîné une baisse de la population française d’environ 1,5 millions de personnes. L’économie était dévastée.La production agricole avait chuté d’un tiers par rapport à 1938, ce qui provoquait une situation de pénurie et de gros problèmes de ravitaillement.La production industrielle était inférieure de moitié, tandis que les infrastructures de transport étaient endommagées.La situation financière était très mauvaise en raison de l’alourdissement du déficit budgétaire et de l’inflation ( les prix ont quadruplé de 1938 à 1944 ) et le marché noir s’est développé, tandis que le franc se dépréciait.
  • Les réformes de structure et l’aide américaineDe 1944 à 1946, les nationalisations ont concerné les secteurs clés de l’économie : le crédit ( Banque de France et principales banques de dépôt ), l’énergie ( charbon, gaz et électricité ), le transport aérien ( Air France ), et l’automobile avec la nationalisation de Renault.Une planification indicative et prévisionnelle de l’économie a été inaugurée avec le plan Monnet ( 1947-1952 ) qui mettait l’accent sur les secteurs prioritaires indispensables à la reconstruction et à la remise en marche de l’économie, comme le charbon, l’acier ou l’électricité.Financé principalement par des crédits publics et l’aide américaine consentie au titre du plan Marshall, il a stimulé l’essor de la production et assuré la reconstruction économique du pays.

2. Une période d’expansion et de mutations

  • Les facteurs de la croissanceL’État a continué d’orienter l’évolution économique dans le cadre d’une planification indicative à moyen terme ( 4 ou 5 ans ).Se sont succédés des plans de modernisation et d’équipement, puis des plans de développement économique et social.Le progrès des investissements a contribué à moderniser les équipements et à améliorer la productivité dans les exploitations agricoles et dans les usines.Quant aux débouchés offerts aux productions nationales, ils se sont développés :        – sur le marché intérieur, grâce à la croissance de la population et à l’augmentation de son pouvoir d’achat ;        – à l’extérieur avec l’essor des exportations et la diversification des ventes en direction de l’Europe dans le cadre de l’union douanière constituée au sein de la Communauté économique européenne ( CEE ) créée en 1957 par le traité de Rome.
  • Les aspects de la croissanceDe 1945 à 1973, La France a connu la plus forte expansion économique de son histoire et l’une des plus élevée du monde industriel.L’économiste français, Jean Fourastié, lui a donné le nom de «Trente Glorieuses ».Cette croissance soutenue s’est accompagnée de profondes mutations de l’appareil de production et de services.Dans l’agriculture, les exploitations se sont progressivement agrandies et modernisées, les rendements et la productivité ont augmenté.Les conditions de vie du monde paysan se sont améliorées, grâce à la garantie des prix obtenue dans le cadre de la Politique agricole commune ( PAC ) adoptée en 1962 au sein de la CEE.Dans l’industrie, les entreprises françaises se sont concentrées, internationalisées et modernisées afin de faire face à une concurrence accrue du fait de la libération des échanges en Europe ( suppression des droits de douane dans la CEE ) et dans le monde ( accords du GATT ).Dans la distribution enfin, les magasins à grande surface se sont multipliés.
  • Les limites et les problèmes de la croissanceDans le domaine économique, les handicaps restaient nombreux : déficit et dépendance énergétique vis-à-vis du pétrole importé ; maintien de structures archaïques ( petites unités de production de type artisanal encore dominantes ) ; déséquilibre du commerce extérieur.Les disparités se sont aggravées entre les secteurs, les branches d’activité ( déclin du charbon, de la sidérurgie, du textile ), les régions et les catégories sociales.Dans le domaine financier, l’inflation persistante provoqua à plusieurs reprises la dévaluation du franc.

 3. Les politiques économiques

La conjoncture a été marquée par l’alternance de phases d’expansion durant lesquelles furent adoptées des mesures pour combattre l’inflation, et de phases de ralentissement qui ont vu se mettre en place des politiques de soutien à l’économie.Ainsi, pendant la Quatrième République, les mesures déflationnistes du gouvernement Pinay ( 1952-1953 ) ont été suivies d’une politique de relance ( 1953-1957 ).Sous la Cinquième République, des politiques de stabilisation ont été appliquées en 1958-1959 par Antoine Pinay, puis en 1963 par Valéry Giscard d’Estaing, mais sans remettre en cause la forte croissance des années 60, pourtant marquées par la crise sociale de 1968.

B. Une croissance plus lente et plus incertaine depuis 1974

Face à la crise économique mondiale de 1974 qui a révélé les faiblesses de l’économie française, les gouvernements successifs se sont efforcés de lutter simultanément contre le chômage et l’inflation, et de mettre en œuvre des politiques d’adaptation aux contraintes de la construction européenne et de la mondialisation.

1. Les manifestations de la crise

aLa croissance, les prix et l’emploi
  • Stagflation de 1974 à 1982 : une croissance faible et une forte hausse des prixLe taux moyen annuel de croissance a diminué de plus de moitié par rapport aux années 60 ( 2,5 % contre 5,7 % ) en raison du recul de l’investissement productif.En effet, les possibilités d’autofinancement des entreprises ont baissé car les coûts de production se sont élevés et les charges se sont alourdies du fait de la hausse des prix du pétrole et des coûts salariaux et sociaux.Le taux moyen annuel d’augmentation des prix à la consommation s’est envolé ( près de 12% entre 1974 et 1982, au lieu de 5% entre 1967 et 1973).L’inflation était liée à l’augmentation du prix de l’énergie importée ( facture pétrolière multipliée par 10 entre 1973 et 1982 ), et à l’indexation de l’évolution des salaires sur les prix. 
  • Désinflation et reprise fragile après 1983La hausse des prix est tombée en dessous de 5 % en moyenne annuelle dès 1983, date à laquelle elleétait inférieure à celle de l’Allemagne.L’économie française a profité de la baisse des cours du pétrole liés au contre-choc pétrolier et de la politique gouvernementale de lutte contre l’inflation.Les taux de croissance se sont redressés entre 1987 et 1989 mais, après la guerre du Golfe, l’économie française a replongé dans une récession dont elle a eu du mal à sortir.
  • La montée inexorable du chômage Les demandeurs d’emploi, étaient 2 millions en 1982 et plus de 3 millions à la fin des années 1990, ( plus d’un actif sur dix ). La montée du chômage est liée à la croissance économique plus lente, moins régulière, mais aussi à la modernisation des usines, les entreprises réduisant leurs charges en automatisant leurs procédés de fabrication et en délocalisant les activités à fort coût de main d’œuvre.
b. Les problèmes financiers
  • L’aggravation des déficitsLe déficit des comptes publics s’est dégradé au fur et à mesure qu’augmentaient les dépenses d’indemnisation du chômage, de santé et de paiement des retraites, dans une population vieillissante où l’on vit de plus en plus longtemps.Le déficit budgétaire a contraint l’État à emprunter et à s’endetter tandis que le « trou » de la Sécurité sociale se creusait.Le déficit du commerce extérieur a dépassé 500 milliards de francs durant la période 1974 -1990, en raison du renchérissement du pétrole de 1974 à 1980, de la hausse du dollar de 1981 à 1986, et des médiocres performances de l’industrie française jusqu’au milieu des années 90.
  • La dépréciation de la monnaieLes difficultés de l’économie ont contribué à affaiblir le franc qui s’est dévalorisé d’un tiers par rapport au mark de 1979 à 1990 sans que pour autant la France ait cessé d’être déficitaire dans son commerce avec l’Allemagne.

2. Les politiques conjoncturelles

a. Des choix difficiles, une politique hésitante et fluctuante de 1974 à 1982
  • Les gouvernements de droite confrontés aux 2 chocs pétroliers de 1974 à 1981Les hésitations du gouvernement Chirac se sont manifestées par la succession de deux politiques opposées, le « plan de refroidissement  » ( c’est-à-dire de lutte contre l’inflation ) de juin 1974 étant abandonné en septembre 1975, au profit d’un plan de « soutien » visant à relancer l’économie face à la montée du chômage.Le gouvernement Barre a donné la priorité à la lutte contre l’inflation, en mettant en place en 1976 un plan de lutte contre l’inflation et le chômage qui freinait la hausse des salaires et exonérait les entreprises de charges sociales pour qu’elles puissent embaucher. Les résultats ont été décevants puisque l’inflation n’a pas été jugulée et qu’elle a même été relancée par le deuxième choc pétrolier en 1979, tandis que le nombre de demandeurs d’emploi doublait de 1976 à 1980.
  • La gauche et la relance ( 1981-1982 )Après l’élection de François Mitterrand, la lutte contre le chômage est redevenue prioritaire avec la création d’emplois publics ( augmentation du nombre des fonctionnaires ) et la relance de l’activité par la consommation populaire grâce à une revalorisation des salaires et des prestations sociales.Cette relance reposait sur l’adoption d’importantes mesures sociales concernant la réduction du temps du travail des salariés ( semaine de 39 heures, 5ème semaine de congés payés ), et l’avancement de l’âge de la retraite de 65 à 60 ans.
b. Les politiques de rigueur depuis 1982
  • Le changement de capLes mesures prises de mai 1981 au début de 1982, ont placé l’économie française dans une situation très préoccupante.Le déficit budgétaire s’est aggravé, les charges sociales des entreprises se sont alourdies, tandis que le déficit commercial se creusait avec l’augmentation des importations ( la production interne ne pouvant satisfaire une demande en hausse ) rendues plus coûteuses par l’envol du dollar.Ainsi, l’échec de la relance a conduit à renouer avec une politique de rigueur, voire d’austérité.

Les nouveaux choixÀ partir du printemps 1982, la gauche au pouvoir a privilégié la lutte contre l’inflation en mettant fin à l’indexation des salaires sur les prix, et la défense du franc.Dans le même temps, l’entreprise a été réhabilitée aux dépens de la consommation des ménages afin de relancer l’investissement.Ces orientations libérales se sont développées durant les deux cohabitation de 1986 à 1988 sous Jacques Chirac, et de 1993 à 1995 sous Édouard Balladur, avec la suppression du contrôle des changes et de l’autorisation administrative de licenciement, et avec les privatisations, puis à nouveau de 1995 à 1997, sous le gouvernement Juppé avec le plan de réforme de la sécurité sociale et du régime de retraite repoussée à 65 ans dans le privé, la multiplication des aides aux entreprises.De retour au pouvoir après la réélection de François Mitterrand en 1988, puis à nouveau en 1997 à la suite de la dissolution provoquée par le président Chirac, la gauche n’a pas totalement rompu avec la politique de rigueur qui vise à adapter l’économie française aux contraintes de la mondialisation et de la construction européenne ( application des accords de Maastricht et passage à la monnaie unique, l’euro ).   De 1997 à 2002, face à l’aggravation de la fracture sociale et aux tensions qui surgissaient au sein de la de la gauche plurielle, le gouvernement Jospin a tenté d’atténuer un peu les conséquences sociales de cette politique de rigueur et de s’attaquer au problème du chômage avec la mise en place des contrats emploi-formation et des emplois-jeunes, l’instauration du revenu minimum d’insertion ( RMI ), la loi sur les 35 heures, la Couverture maladie universelle ( CMU ), et la loi de modernisation sociale.Depuis le printemps 2002, le gouvernement Raffarin qui dispose d’une large majorité de droite à la Chambre des députés et au Sénat, s’est lancé dans une politique résolument libérale qui vise à réduire les dépenses de l’État et à renouer avec la rigueur sur le plan social.

3. Les politiques structurelles

a. La politique énergétique

Afin de faire face à l’augmentation de la facture pétrolière et de réduire le déficit énergétique du pays, la décision a été prise dès 1973-1974, de mettre en oeuvre une politique de réduction de la consommation et de remplacement du pétrole par l’énergie nucléaire.Ces choix n’ont pas été remis en cause avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, le rythme d’augmentation de la demande d’énergie a un peu fléchi et les centrales nucléaires fournissent aujourd’hui 80 % de l’électricité produite en France, contre seulement 8 % en 1973.

b. Les politiques sectorielles

  • Dans l’agriculture
  • L’agriculture s’est développée et modernisée dans le cadre européen de la Politique agricole commune ( PAC ) qui, en privilégiant la garantie des prix, a engendré une surproduction chronique.Depuis 1984, face à la concurrence internationale exacerbée et sous la pression des États-Unis, la Communauté économique européenne ( CEE ), devenue l’Union européenne ( UE ), a dû remettre en cause la politique de soutien des prix ( subventions ).En 1998, la Commission de Bruxelles a entrepris d’abaisser de façon sensible le prix garanti de la plupart des produits agricoles.Désormais, de nombreuses petites et moyennes exploitations agricoles ne sont plus rentables et sont appelées à disparaître.Le monde paysan connaît aujourd’hui un profond malaise aggravé par les abattages massifs des troupeaux entraînés par la maladie de la vache folle et l’épidémie de fièvre aphteuse au début des années 2000.
  • Dans l’industrieLa crise a souligné les faiblesses structurelles de l’industrie française : concentration insuffisante des entreprises, manque d’innovation et déficit commercial de 1987 à 1991.Pour faire face à la compétition internationale et limiter l’extension du chômage, l’État est intervenu de façon contradictoire, venant en aide aux entreprises menacées tout en faisant de la modernisation de l’appareil de production une priorité.S’agissant de la structure des entreprises, des options différentes ont également été retenues : la gauche a nationalisé les grands groupes industriels en 1981-1982, alors que la droite a choisi de privatiser en 1986-1988.Réélu en 1988, François Mitterrand a adopté le principe du « ni-ni  » ( ni nationalisations, ni privatisations ).À partir de 1993, sous la 2ème cohabitation, Édouard Balladur a lancé un nouveau programme de privatisations, poursuivi par Alain Juppé après l’élection de Jacques Chirac en 1995.De 1997 à 2002, le gouvernement Jospin s’est lancé à son tour dans les privatisations.Le gouvernement Raffarin qui lui a succédé entend bien poursuivre dans cette voie.

A la fin des années 1990, l’économie française a renoué avec la croissance : inflation maintenue à un niveau très bas ; excédents commerciaux élevés ; bénéfices record pour les grandes entreprises ; relance des investissements et de la consommation ; confiance retrouvée ; entrée dans l’euro.Mais la fracture sociale a continué de se creuser et le taux de chômage reste élevé..