Marcel Junod,

Marcel Junod (1904 – 1961) était un médecin suisse et un des délégués les plus fameux du (CICR). Après avoir étudié la médecine puis travaillé comme chirurgien à Mulhouse, il est entré au CICR comme délégué et a été envoyé en Éthiopie pendant la Seconde Guerre italo-éthiopienne, en Espagne pendant la , et en Europe ainsi qu’au Japon au cours de . En 1945, il arrive à fin août et obtient du matériel sanitaire des Américains pour commencer de prodiguer des soins aux blessés. En 1947, il écrit un livre sur ses expériences : Le troisième combattant. Après la guerre, il travaille pour le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) en tant que représentant principal en Chine, puis rentre en Europe en 1950. En 1952, il est nommé membre du CICR et, après de nombreuses missions, est vice-président de cette institution de 1959 jusqu’à sa mort en 1961.

Bases du droit international

Tout comme le droit interne régit la société interne, le droit international a la lourde tâche de régir la société internationale. Les plus grands utopistes ont tous rêvé de créer une sorte d’État-monde, de soumettre tous les États à un gouvernement mondial qui mettrait en échec les souverainetés nationales. L’abandon général de la souveraineté étatique ne restera finalement que dans les rêves on se contentera d’une organisation internationale, l’Organisation des Nations Unies (ONU).

Ce pacte social international qu’est la Charte de San Francisco ne place pas les États sous l’autorité d’un quelconque organe, mais par sa signature ils ont accepté de se soumettre à cette norme internationale. Cette approche volontariste du droit international explique sa complexité. L’application, l’interprétation et l’évolution de ce droit sont sources de nombreux débats et cristallisent les tensions des relations internationales. Parmi ces principes, le principe de l’interdiction du recours à la force est le plus débattu.

De l’interdiction du recours à la force, pierre angulaire de la paix et la sécurité internationale.

Avec la charte des Nations Unies, le droit international se transforme lentement. Le droit international évolue d’un droit de la coexistence à un droit de la coopération. Il bascule d’un droit qui réglemente le recours à la force, à un droit qui interdit un tel recours. Cependant, aujourd’hui, le principe fondateur du droit international moderne est remis en question. Les guerres, devenues illégales font encore partie intégrante des relations internationales.

Deux éléments majeurs mettent en péril ce droit :

  • l’interprétation large des textes ;
  • l’apparition de nouveaux acteurs sur la scène internationale notamment les sociétés militaires privées.

L’évolution du droit international passe notamment par l’interprétation des normes internationales, comme celui du principe de légitime défense.

Véritable pendant de l’interdiction du recours à la force et illustration du droit à la survie des États, la légitime défense selon l’article 51 de la Charte des Nations Unies prévoit que A noter, tout d’abord, la distinction, et même l’opposition, entre les notions de guerre « préventive » et de guerre « préemptive ». La notion de guerre préemptive consiste dans le fait de frapper le premier lorsque l’attaque est certaine et imminente, avec l’éternel problème de la preuve. L’Israël a notamment invoqué cette doctrine à l’occasion de la guerre des 6 jours. Alors que la guerre préventive consiste en une attaque ayant pour objectif qu’un ennemi plus faible ne devienne un jour assez fort pour remettre en question la domination d’une entité supérieure. Par cela, nous voyons que la guerre préventive est l’apanage des plus forts. La guerre préventive revient à la volonté de détruire un ennemi potentiel, elle revient à le détruire sur la base d’une simple crainte. Si la notion est compréhensible, il est évident que le fondement juridique est inexistant et l’acte illégal.

Lorsque le président Bush présente le 1er juin 2002 une stratégie globale influençant à la fois la politique étrangère de la première puissance mondiale, mais aussi l’emploi et le commandement de son armée, il présente une doctrine qui s’appuie sur une vision stratégique de la défense. Il déclarait alors que les États-Unis agiront contre les menaces avant mêmes qu’elles n’éclosent, permettant de ce fait l’utilisation Le terrorisme et la prolifération des ADM étant en effet les deux principales justifications de cette nouvelle approche de la sécurité internationale.

Les promoteurs de la doctrine de la guerre préventive avancent l’argument suivant ; étant donné d’une part la facilité avec laquelle un État, ou un acteur non-étatique, peut se procurer une arme de destruction massive, qu’elle soit biologique, chimique ou encore nucléaire ; et d’autre part la croissance exponentielle du danger que représente le terrorisme aujourd’hui, la guerre préventive n’est plus absurde. La menace lointaine, se confondrait effectivement avec la menace immédiate. Ainsi, si l’invasion de l’Irak a été fondée sur la détention par Saddam Hussein d’armes de destructions massives, leur absence, aujourd’hui vérifiée n’a pas entraîné une remise en question l’intervention par la coalition. G.W. Bush déclara en effet que si S. Hussein n’était pas en possession à ce moment d’ADM, il le souhaitait, ce qui fondait l’intervention militaire préventive. Si le soupçon suffit à fonder une intervention préventive le problème de la preuve n’en est plus un. Ainsi la condition qui pouvait encore rattacher la guerre préventive à la légitime défense disparaît, le risque d’une attaque encourue par une État, disparaît.

A la lecture de la charte, la guerre préventive ne semble en aucun point légale. Ni de par ses conditions, une attaque armée, ni de par ses buts, faire cesser une agression. L’intervention préemptive doit, quant à elle, être analysée plus en détails.

Le chapitre VII de la charte des Nations Unies pourrait trouver à s’appliquer. Après la constatation d’une menace, le Conseil de sécurité, peut choisir d’intervenir afin de maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationale. Cette possibilité d’intervention dans le but de maintenir la paix consiste en ce que nous avons défini comme étant une intervention préemptive. Celle-ci, légitimée par une décision du Conseil de sécurité deviendrait donc légale. La légitime défense, prévue à l’article 51, a pour but de contourner les lenteurs du Conseil afin de faire cesser le plus rapidement possible l’agression. Par conséquent, l’intervention préventive pourrait naître de l’interprétation commune des articles 42 et 51.

Un concept est fréquemment avancé pour défendre la guerre préemptive, celui d’. L’intervention préemptive est considérée par beaucoup comme le simple prolongement de la légitime défense. La condition d’une attaque préalable est critiquée par de nombreux juristes. Selon eux, si, et seulement si, l’agression est imminente et certaine, il est impossible d’obliger un État à subir une attaque avant d’avoir la possibilité de recourir à la force dans le but de la faire cesser. Cependant, si une telle interprétation est faite de l’article 51, il est nécessaire que la preuve de l’imminence de l’agression soit sans équivoque, preuve qui semble être impossible à apporter. Si, pour admettre une attaque préventive, nous nous contentons d’un éventuel faisceau d’indices qui désignerait une agression certaine et imminente, telles que la rupture des relations diplomatiques ou la mobilisation de troupes, ne précipiterons-nous pas cette guerre qui semble, en l’état actuel des événements, encore évitable ? De même, l’argument assimilant une menace d’agression à une agression elle-même a été balayé par la Cour International de Justice (CIJ). La cour est en effet très prudente sur l’interprétation de l’article 51 ainsi que sur la preuve qu’il faudrait apporter pour justifier une légitime défense préemptive.

Il faut enfin rappeler que, bien qu’étant définit comme un droit naturel des États, la légitime défense n’en demeure pas moins un droit d’exception. Par conséquent, cette exception doit s’interpréter de manière restrictive, permettant au principe clef de l’interdiction du recours à la force de garder la prépondérance qui lui est nécessaire.

2.   

Depuis une vingtaine d’année, de nouveaux acteurs sont apparus sur la scène internationale, les sociétés militaires privées (SMP). Les sociétés militaires privées proposent officiellement à leur client toute une gamme de services. Des conseils en stratégie militaire, un entraînement de leurs soldats, une expertise en armement ou encore une protection de zones stratégiques. Cependant, ces activités ne sont pas les seules exercées par les . Plusieurs acteurs s’inquiètent de la participation directe de ces soldats aux hostilités.

Une des problématiques qui se posent est celle de la qualification des employés des SMP. Ni soldat, ni mercenaire, ni civil, leur statut hybride et flou ne permet pas, à l’heure actuelle, de qualifier juridiquement leur fonction. De par ce vide juridique apparaît un danger considérable. L’absence de qualification juridique rend quasiment impossible toute responsabilité, que ce soit des employés eux-mêmes, des sociétés ou des États commanditaires.

Autre problématique majeure, l’obscurité dans laquelle agissent les sociétés militaires privées remet en cause de nombreux principes du droit. L’interdiction du recours à la force n’est effectivement applicable, avec de grandes difficultés, qu’aux États qui agissent dans un cadre officiel. Les sociétés militaires privées agissant dans la clandestinité, les États commanditaires peuvent alors contourner les principes du droit international. Si, évidemment, des opérations spéciales menées par les forces régulières des États, ont lieu et sont également susceptibles de violer des principes internationaux. La responsabilité des États est plus éloignée, plus floue et bien plus difficile à mettre en œuvre lorsqu’il ne s’agit que de membres privés.

Par ailleurs, ces soldats de fortune n’étant que de simples employés fournissant un service contre rémunération, pourquoi le recours à ces sociétés ne serait possible que pour les États ? Ainsi, aujourd’hui il est envisageable que les États ne soient plus les seuls à pouvoir intervenir militairement. Si pour le moment, les services militaires des SMP sont essentiellement loués par des États, des entreprises privées pourraient un jour devenir des acteurs des relations internationales en ayant leur propre armée de mercenaires.

Autre aspect inquiétant de cette clandestinité, la violation des droits fondamentaux et du droit humanitaire. De nombreuses et sérieuses allégations de violations commises par des ont été rapportées. Tortures, traitements inhumains et dégradants, massacres de civils, exécutions sommaires, viols, … la liste de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par des est longue et risque d’être sans fin si aucune réaction normative n’est prise.

Enfin, il faut noter que la logique pacifique du droit international, l’objectif de l’instauration d’une paix durable par le droit, est en complète opposition avec la logique mercantile des sociétés militaires privées. Les sociétés militaires privées ne sont en effet pas présentes pour agir sur les causes sous-jacentes d’une situation mais pour régler une crise sécuritaire. A leur niveau, une paix durable ne représente aucun avantage, elles n’ont donc aucun intérêt à œuvrer dans le sens du droit international.

La marchandisation du recours à la force, remet en cause des principes fondamentaux du droit international et permet la violation en toute impunité des traités et conventions. L’absence de sanction des actes commis par nous renvoie au problème plus global de l’application du droit international.

La nécessaire adaptation du droit international.

Il est important de rappeler ce qui fait l’essence du droit international, ses valeurs. L’éternel débat juridique entre la légalité et la légitimité est, encore une fois, au cœur des discussions. Le droit international public tel que nous le connaissons est remis en question, et avec lui les valeurs et la vision du monde qu’il défend. L’interdiction du recours à la force, avec d’autres principes tels que le droit de non-ingérence ou l’égalité souveraine des États, fondent l’ordre mondial et sont autant d’outils destinés à protéger les populations du fléau de la guerre. Cependant tous ces outils sont aujourd’hui remis en cause laissant entrer l’économie de marché dans les facteurs d’évolution et oubliant les leçons du passé. Le droit international public est la branche du droit la plus politique mais c’est aussi la plus humaniste. Du droit de la coexistence au droit de la coopération, la défense de la paix et de manière sous-jacente, la défense de l’être humain, doivent rester au centre des préoccupations de la norme. Si l’homme a créé lui-même, par sa propre folie, l’instrument de sa destruction, c’est le rôle du droit de le protéger.