Voici un mot que l’on a entendu bien souvent à l’occasion des élections « primaires » du centre et de la droite en France le mois dernier, il était donc nécessaire de faire un point exhaustif sur cette notion dont on peut entendre encore beaucoup d’erreurs à propos de sa définition…

Ses origines
Le mot de « libéralisme » est né au début du XIXe s., après, comme il arrive souvent, que l’idée qu’il contient, la revendication de liberté, a été portée elle-même sur le devant de la scène historique. En effet, demander, exiger la liberté politique, idéologique, culturelle s’est introduit dans la conscience politique des élites françaises dès le XVIIIe s., dans une société qu’on dirait aujourd’hui « bloquée », divisée en « états », c’est-à-dire en classes institutionnelles (clergé, noblesse, tiers état), et où les libertés au sens moderne n’existaient réellement qu’à l’état larvaire : liberté de penser, de circuler, de publier, de créer, etc. Elles n’avaient aucune existence juridique.
Le concept de libéralisme est hissé dans le premier tiers du XIXe s. au rang de porte-drapeau pour tous les mouvements anti passéistes et anti conservateurs ; généreux, large, mobilisateur, il est devenu aussi un concept flou et un fourre-tout idéologique.
Pour y voir clair, on est obligé de distinguer constamment, malgré leur histoire commune, les deux domaines où le libéralisme est revendiqué comme doctrine, le politique et l’économique ; mais il faut toujours partir de l’un pour aller à l’autre et en repartir pour retourner au premier.
On admet aujourd’hui que le libéralisme politique se confond avec la démocratie : la disparition des démocraties populaires en Europe oblige à cette simplification, même si tous les régimes dits « démocratiques » ne sont pas – loin s’en faut – des régimes libéraux.
Le libéralisme politique est d’abord un système philosophique qui a pour base historique l’individualisme social, dont une application s’est retrouvée dans la loi Le Chapelier de 1791, qui abolit les corporations des métiers qui s’étaient créées sous l’Ancien Régime au nom de la liberté individuelle, et par opposition à l’intérêt social de la coalition d’intérêt économique que représentera le syndicalisme à la fin du XIXe S.
L’économie libérale comme corps de doctrine se développe principalement à partir des penseurs anglais. Elle est ainsi fondée sur trois principes :
  • la quantité de subsistances limite la quantité de population, selon T. R. Malthus (1766-1834) ;
  • la quantité de capital limite l’extension de l’industrialisation (A. Smith) ;
  • tout produit engendre un revenu égal à sa valeur suscitant une demande équivalente, selon J.-B. Say (1767-1832).
Les idées libérales se répandent en France, en Angleterre, par des livres, comme ceux de J.-B. Say, de F. Bastiat (1801-1850), qui combat le socialisme et l’interventionnisme de l’État et recommande la libre-concurrence, et également par des revues, dont le Journal des économistes (publié à Paris de 1871 à 1890). Ce dernier préconise l’individualisme extrême et critique la charité publique.
Les principes du libéralisme économique qui ont accompagné la naissance et le développement du capitalisme peuvent être ainsi résumés :
  • Primauté de l’intérêt personnel ;
  • Libre concurrence à l’intérieur d’un ensemble où les compétiteurs se reconnaissent entre eux (si donc quelqu’un d’étranger vient fausser le jeu, il faut l’en empêcher, c’est le seul domaine où l’intervention de l’État est justifiée pour les libéraux de cette époque) ;
  • Liberté d’entreprendre et d’embaucher.
Du respect de ces trois principes, les théoriciens pensent que résultera automatiquement un équilibre entre les forces en présence. Or précisément la réalité ne répond plus à cette attente, depuis que l’industrialisation a jeté les paysans pauvres dans les villes proches des mines de fer et de charbon et que le capitalisme se répand dans le monde entier, notamment avec l’essor du colonialisme.
Ainsi, au premier tiers du XXe s. alors qu’un fait politique et culturel majeur vient de se produire (la fondation de l’U.R.S.S.), la théorie libérale semble battue en brèche par une multitude hétéroclite de faits concrets obligeant les théoriciens libéraux à des révisions déchirantes et les hommes politiques libéraux à des aménagements pratiques dans les législations.
Les partisans du libéralisme reviennent désormais sur le rôle de l’État. Le plus important est sans conteste J. M. Keynes (1883-1946), qui affirme que, dans le système libéral, ce n’est pas la demande qui s’ajuste à l’emploi, mais c’est le niveau de l’emploi qui est impitoyablement ajusté à l’état de la demande. Or l’état de la demande dépend du revenu de la masse des consommateurs, forcément toujours plus grande pour que vive le système capitaliste. Il n’est dès lors pas hostile à l’intervention de l’État et dénonce la doctrine classique du « laisser-faire ». À sa suite, un nouveau courant va désormais apparaître : le « néolibéralisme »
Fondamentalement hostiles à l’évolution vers le collectivisme, ces économistes ont posé trois principes de ce qui a été appelé depuis le « néolibéralisme » :
  • priorité donnée à la recherche de l’intérêt personnel, dans un cadre légal déterminé, sous la responsabilité sanctionnée par le risque du producteur et du consommateur ;
  • croyance au caractère non nocif de l’inégalité des hommes, de leurs conditions sociales, économiques et culturelles, en ceci que ces inégalités développent le goût du risque, le dynamisme, l’initiative personnelle ;
  • enfin – grande originalité dans le cadre du « libéralisme » – intervention de l’État.
Le libéralisme demeure ainsi une coquille idéologique devenue pratiquement vide, plus que jamais opposée au socialisme, qui d’ailleurs tend à devenir aussi inconsistant et protéiforme que son ennemi. Aucun penseur depuis Keynes n’a tenté de proposer une nouvelle définition du libéralisme : le libéralisme est à la fois une référence polémique et un autre nom pour désigner le capitalisme réel triomphant.