Parmi les grandes questions sociales, l’un des thèmes favoris des jurys reste celui de la violence et de la délinquance. On constate que parmi les expressions à la mode dans les discours sur les « quartiers difficiles », diffusées par les médias mais aussi par certains experts, il en est deux qui sont employées sans que l’on sache toujours à quels comportements elles réfèrent : les « incivilités » et les « violences urbaines ».

Voici donc de quoi vous référer pour vos prochains débats sur ces sujets.

  1.  Quelles sont souvent les causes de ces violences urbaines ?
  • La société évolue vers un retour des classes « dangereuses » : c’est à dire le manque d’éducation ou la mauvaise éducation dispensée par les parents, l’oisiveté et l’errance noctambule, l’absence de normes provoquant le non-respect de la loi, de l’autorité, de la morale et de la politesse, la consommation de cannabis (jadis c’était l’alcool). Mais hélas, aucune étude récente ne permet d’établir qu’une « mauvaise éducation » des familles est une cause majeure de la délinquance des enfants.
  • Le retour de la barbarie ou la crise de civilisation : scientifiquement, on doit considérer d’abord que si les comportements (la dégradation des biens publics par exemple) changent, c’est que les normes qui les régissent changent (le respect des biens collectifs), ensuite que si ces normes changent, c’est que les relations sociales qui les sous-tendent changent (individualisme). C’est donc ce changement de normes et de relations sociales qu’il faut expliquer.
  • Le conflit de culture entre communautés : l’apparition de nouvelles cultures ou la « crise des valeurs collectives » entre certaines communautés est réel. En réalité, ce qui fait aujourd’hui problème, c’est le décalage entre l’intégration culturelle des minorités d’origine étrangère et leur non-intégration sociale (peu ou pas d’emplois). Une fois encore, la question se pose donc avant tout en termes de relation sociale.
  • La révolte des pauvres contre les nantis : l’explication des violences urbaines ne se ramène pas simplement à la révolte des opprimés contre les oppresseurs. La société d’aujourd’hui ne peut être scindée en deux classes (riches et pauvres) ; l’analyse des violences urbaines se pose avant tout en termes identitaires et non simplement économiques.

Aujourd’hui, d’autres causes sont également évoquées :

  • La « galère » et l’exclusion sociale : le lent déclin du monde ouvrier (de moins de gens travaillent dans le secteur industriel) et l’avènement d’une culture de masse (identique pour tous : jeans, coca-cola, rap, etc) marquent la disparition des valeurs de la société industrielle (dominée de 1850 à 1950 par le travail ouvrier en usine) et, en conséquence, l’absence d’avenir pour les jeunes de milieu ouvrier.
  • L’émergence du « mouvement beur », de la culture « hip-hop » et de l’explosion du rap : Dès le début des années 1980, certaines pratiques de danse et certaines distinctions vestimentaires importées des États-Unis, l’importance de la musique (« rock » et « reggae ») sont interprétés comme des « îlots de résistance » à la société de consommation, caractérisés par « un contenu culturel commun ». La danse (« break dance ») est prédominante, le rap est un support musical pour la danse. Ce mouvement importé des États-Unis est sous-tendu par des valeurs de non-violence, de dignité, de maîtrise de soi, etc.
  • Á partir de 1990, les tags se répandent de plus en plus, sur les murs des cités, le long des voies de chemin de fer, sur les volets baissés des commerces. Les chercheurs y voient quatre caractéristiques : le désir de visibilité, le défi, la rage et la performance.
  • Avec le rap, la dimension contestataire de la société devient alors primordiale : les rappeurs dénoncent un système de domination à la fois économique, social, spatial, culturel et politique dont ils sont les victimes (du fait du racisme ou de l’inefficacité de dirigeants politiques mais aussi du développement des banlieues). Toutefois, les rappeurs ne se donnent pas pour objectif d’agir sur le monde, ils se contentent le plus souvent de « témoigner » d’une réalité et de dénoncer un système.
2.  Doit-on parler d’incivilités ou de violences urbaines ?

Où commence et où finit une incivilité ? Est-ce que le fait de cracher dans la rue ou de déambuler sur une mobylette bruyante constitue des incivilités ?

Cette notion d’incivilités désigne surtout des actes perçus comme insécurisants, mais non pas nécessairement des délits au regard de la loi (cracher n’est pas interdit) tandis que les violences urbaines sont des délits punissables par la loi : incendies volontaires et autres modes de destruction de biens privés ou publics, affrontements avec les forces de l’ordre, mise à sac de magasins, agressions en bande.

Qu’appelle-t-on violences urbaines ?

Les agressions entre jeunes (pour les motifs les plus divers : insultes, vols, dette, défense d’un « territoire » dans le cadre d’un trafic, etc.). Ces agressions sont souvent préméditées, commises par un ou plusieurs individus contre des biens ou des personnes généralement inconnues. Les destructions et agressions sont commises dans les quartiers sous le coup de l’émotion, par des groupes de jeunes et dirigées contre les représentants de l’État (la police le plus souvent). On les observe de plus en plus dans des lieux publics (jardins, centre commerciaux, garages publics, places publiques…).

La vie quotidienne de nombre de quartiers populaires met en présence d’une part de nombreux jeunes qui fonctionnent dans la vie quotidienne avec des normes contraires à la loi (conduite automobile sans permis, détention de biens volés divers , de vêtements, d’équipements audiovisuels, de deux-roues [assimilables en droit à du recel], consommation de cannabis, organisation spontanée de jeux et concours collectifs impliquant de nombreuses transgressions, par exemple des « rodéos » automobiles), d’autre part des policiers qui sont chargés par la société de faire cesser les conduites délictueuses.

La police représente aux yeux de certains de ces jeunes, le symbole de la domination et de l’injustice dont ils sont les victimes, mais, par ailleurs, les jeunes cherchent à se faire entendre.

Quelles sont les actions collectives ou réactions défensives ?

Lorsqu’un groupe social (agriculteurs, métallurgistes, camionneurs, etc.) bloque une route, voire s’attaque à des bâtiments publics lors de manifestations, leur violence est reconnue par tous comme une forme de protestation collective. À l’inverse, la violence des jeunes de quartiers difficiles n’est créditée d’aucune signification, elle est souvent présentée comme gratuite ou simplement ludique.

Le rejet socio-économique, les processus de sélection à l’école et la xénophobie latente (voire réelle) d’une partie de la population excluent une partie des citoyens (les plus jeunes, les plus pauvres, les étrangers) de la vie sociale.

Depuis longtemps parfois, un certain nombre de citoyens dans les associations de quartiers, les partis politiques démocratiques et les syndicats organisent des lieux de rencontre et cherchent des réponses pacifiques à la non-intégration. Aujourd’hui, le paradoxe est que ces quartiers ont un niveau d’intégration culturelle beaucoup plus élevé que le monde ouvrier classique. Les individus ont souvent suivi une scolarité globalement supérieure à celle des populations ouvrières traditionnelles.

Les médias ont aboli les distances et l’univers culturel n’est pas fondamentalement différent de celui des classes moyennes. Il est dominé par le souci de la personne, de son intégrité et de sa réalisation. L’individualisme y est aussi fort et aussi légitime. Il y prend souvent une forme exacerbée, mais la dimension personnelle de l’existence est d’autant plus importante que l’absence de réussite sociale ne permet pas de compensation.

 

Source de Philippe Soutmans.