Nous avons débuté depuis juin 2017, une série d’articles qui vous propose un thème de culture générale pour lequel nous développons des notions, des problématiques, des idées fortes sur lesquelles vous pourrez vous appuyer en cas de sujets dédiés à ces thèmes.
Sur le thème du « Travail », vous disposerez de six problématiques. Ces problématiques vous permettront de mieux appréhender les débats actuels sur le thème et ses enjeux en l’approfondissant et vous en apportant des éléments de connaissances, d’analyse et de réflexion…
Le thème du travail sera vu sous l’angle de 3 principaux enjeux :
- Le travail précaire
- Le temps de travail
- La protection sociale
Après avoir abordé dans l’article précédent l’enjeu du travail précaire, voyons maintenant le travail sous le prisme de la problématique du temps de travail…
Le travail précaire présente deux grandes problématiques qui sont liées à la réduction du temps de travail et la fin du travail.
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La réduction du temps de travail
La réduction du temps de travail est une tendance de long terme. Cette réduction a été obtenue le plus souvent contre le gré des employeurs sous la pression des revendications syndicales ou par l’intervention des pouvoirs publics.
Les réductions collectives de la durée de travail se sont effectuées en général sans perte des salaires, les gains de productivité du travail ayant permis de les financer et d’assurer une progression du pouvoir d’achat.
Toutefois le comportement des acteurs économiques n’est pas spontanément favorable à une réduction du temps de travail. Le patronat y est hostile craignant que la réduction ne s’accompagne d’une hausse du salaire horaire. Quant aux salariés ils craignent que la réduction ne comporte une baisse du pouvoir d’achat.
L’histoire témoigne des dates importantes dans la réduction du temps de travail : en 1936, le Front Populaire fixe la durée hebdomadaire de travail à 40 heures ; en 1981, le gouvernement de gauche abaisse la durée à 39 heures et enfin en 2000 les lois Aubry mettent en place les 35 heures.
Aujourd’hui le maintien ou la suppression des 35 heures fait l’objet d’un débat politique récurrent.
L’un des aspects de la réduction du temps de travail est le temps partiel
Dans une économie marquée depuis plus de vingt ans par un taux de chômage élevé, les politiques publiques ont encouragé le recours au temps partiel, compte tenu des avantages qu’il présente en termes d’enrichissement de la croissance en emplois et de flexibilisation du marché de travail. Le salarié à temps partiel est celui dont la durée du travail, obligatoirement mentionnée dans son contrat de travail, est inférieure à la durée légale (35 heures par semaine) ou aux durées conventionnelles pratiquées dans l’entreprise.
Le temps partiel peut être mis en place : soit en application d’un accord collectif, soit sur décision de l’employeur, soit à la demande du salarié, par exemple lorsqu’il souhaite créer ou reprendre une entreprise. Le travail à temps partiel apporte de la souplesse à l’organisation du travail, particulièrement nécessaire dans certains métiers ou branches, et permet de concilier vie professionnelle et vie personnelle. Il offre également une possibilité privilégiée d’accès à l’emploi pour les personnes les plus éloignées du marché du travail.
Pour autant, le recours massif au temps partiel a un coût social : subi dans un tiers des cas, il favorise l’émiettement de l’emploi et augmente le risque d’enfermement des salariés dans des emplois peu qualifiés, souvent associés à une situation de pauvreté monétaire. Ce phénomène touche principalement les femmes, qui représentent plus de 80% des salariés à temps partiel.
Il contribue à l’essor d’une nouvelle forme de pauvreté, celle des travailleurs. On estime à 1,4 million le nombre de travailleurs pauvres à temps partiel.
Les derniers changements dans les accords sur le temps de travail
Les entreprises n’ont attendu ni la loi travail de 2016 ni les ordonnances en préparation pour revenir sur les accords sur le temps de travail négociés au début des années 2000.
Exemple d’un référendum local chez RTE : Appelés fin mars à se prononcer sur un projet d’avenant à l’accord « temps de travail » de RTE (Réseau de transport d’électricité), les salariés de la direction « Maintenance » ont massivement rejeté la nouvelle organisation des « chantiers à délais contraints » proposée par la filiale d’EDF et ils ont dit non à 71 %: ce projet concernait élargissement de la tranche horaire d’intervention, réduction du délai de prévenance (ramené de sept jours à un seul) ou encore la possibilité donnée aux managers de « désigner les salariés qui devront intervenir sur le chantier, avec remise d’un ordre de travail » s’il n’y a pas suffisamment de volontaires.
La participation à ce référendum a été importante : 2 400 des 4 258 salariés de cette direction (qui représente un peu plus de la moitié des effectifs de RTE) ont pris part à cette consultation électronique ouverte du 24 au 30 mars.
Un tel référendum n’aurait pas été possible sans la loi travail du 8 août 2016, qui prévoit que les accords collectifs portant sur le temps de travail doivent être majoritaires, c’est-à-dire signés par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés. A défaut, les syndicats minoritaires peuvent cependant demander à l’employeur d’organiser un référendum pour valider un accord qu’ils approuvent s’ils représentent plus de 30 % des salariés. C’est précisément ce qu’ont fait la CFDT et la CFE-CGC mais sans succès.
Problématique liée : Temps de travail et RU (revenu universel) !
Le revenu universel peut-il être un moyen de mettre en place une nouvelle réduction du temps de travail, à l’appréciation de chacun ?
Dotés d’un revenu d’appui, tous les salariés pourraient la mettre en œuvre, même si l’incitation sera plus importante pour les plus faibles salaires, moins perdants à travailler moins que les cadres. « Bien entendu, les salariés aspirent à mieux gérer, sur le cycle de vie, les étapes de leur vie professionnelle et personnelle. Mais cela n’augure pas pour autant d’une réduction du temps de travail homogène. Cela pose donc la question du type de société que l’on souhaite, de l’équité et du consentement au financement, de l’articulation entre contribution et solidarité… Tout reste à inventer. » La mise en place d’un revenu universel, individuel, ne saurait permettre de trancher.
Certains partisans du revenu universel sont aussi favorables à une réduction du temps de travail. Les deux mesures peuvent-elles être mises en place de front ?
Pour la CGT, partisane des 32 heures par semaine, allier RTT et revenu universel est une fausse bonne idée : l’une et l’autre risquent d’être obtenues au rabais (exonérations de cotisations, faible montant…). Mieux vaut dès lors privilégier une RTT sans exonérations de cotisations, à l’inverse de ce qui s’était fait lors du passage aux 35 heures.
Les multiples visages du travail à temps partiel
L’emploi à temps partiel a fortement progressé au fil des générations. Il reste cependant très féminin et c’est encore une situation subie dans un cas sur trois.
Près d’un emploi sur cinq est à temps partiel aujourd’hui, contre un emploi sur vingt à la fin des années 1960. S’il se stabilise chez les femmes depuis les années 2000, il croît encore chez les hommes. Mais huit travailleurs à temps partiel sur dix sont toujours des femmes.
L’emploi à temps partiel a accompagné l’augmentation du taux d’activité des femmes tout au long de ces soixante dernières années. « Les femmes qui recourent au temps partiel pour des raisons familiales ont, au fil des générations, des parcours moins durablement interrompus », écrit Karine Briard, auteure de l’étude. Les dernières générations de salariées et mères de jeunes enfants demandent plus souvent un aménagement de leur temps de travail, quand leurs aînées étaient inactives ou travaillaient à temps complet.
Disparité des situations
Ces chiffres globaux ne reflètent toutefois pas la grande disparité des situations. Tout d’abord, le contrat de travail à temps partiel est subi pour une personne sur trois (chiffres 2011). Ensuite, l’étude distingue six types « d’usage » du temps partiel pour les travailleurs en début de carrière (entre 20 et 40 ans). Le « temps partiel continu », durable et stable, rassemble principalement des cadres. Le « temps partiel peu actif », alternance d’emplois courts à temps complet, de temps partiels et de périodes d’inactivité, ainsi que le « temps partiel tardif », après une période de temps complet et une autre d’inactivité souvent liée à une naissance, sont plutôt l’apanage des mères.
Le « temps partiel transitoire », suivant ou précédant un temps complet, illustre, lui, les difficultés d’accès à l’emploi de personnes peu diplômées. Concernant au premier chef les employées et les professions intermédiaires, le « temps partiel permanent », pratiqué avec des quotités élevées (un 4/5 par exemple), peut s’interpréter comme un moyen de concilier vie familiale et professionnelle. Enfin, le « temps partiel d’entrée » est vécu comme une étape avant un temps complet. Il est d’abord le fait d’hommes diplômés du supérieur.
Peut-on encore réduire le temps de travail ?
Malgré les baisses récentes, le taux de chômage français reste à un niveau très élevé, tout comme le nombre de chômeurs de longue durée. Les mesures mises en œuvre pendant le quinquennat Hollande ont eu soit un coût extrêmement lourd pour un nombre d’emplois créés très faible (CICE, pacte de responsabilité), soit de forts effets d’aubaine (prime à l’embauche dans les petites entreprises).
Les pays voisins que l’on ne cesse de nous montrer en exemple, comme l’Allemagne – qui a choisi de promouvoir une forte modération salariale et de développer un vaste secteur à bas salaires au début des années 2000 – présentent certes des taux de chômage faibles mais aussi des taux de pauvreté très inquiétants : presque un quart des salariés allemands sont pauvres (contre 8 % des salariés français). Ceci n’est évidemment pas sans lien avec le type de partage du travail qui a été promu en Allemagne. La multiplication des emplois de très courte durée a conduit à une proportion élevée d’emplois à temps partiel dans l’emploi total (27 % contre 18 % en France), dont presque 20 % représentent moins de vingt heures de travail par semaine.
Mieux répartir le temps de travail
C’est donc une autre voie qu’il nous faut emprunter. Plutôt que de fragmenter l’emploi et de réserver de fait aux femmes des emplois de courte durée mal payés et mal protégés dans les services, nous devons tenter de faire converger l’ensemble des durées du travail autour d’une durée normale de travail à temps complet plus courte permettant de ramener dans l’emploi un maximum de personnes. Il s’agit donc moins de réduire globalement le temps de travail que d’augmenter celui de certains (temps partiels subis) et de faire diminuer celui d’autres.
Cela suppose que soient déployées simultanément des politiques ambitieuses de formation et de requalification de la main-d’œuvre. L’objectif est de faire en sorte que les demandeurs d’emploi dont les qualifications sont devenues obsolètes puissent occuper les nouveaux emplois. Il s’agit aussi de relancer l’activité sous la forme d’un investissement massif dans la transition écologique. Ne nous leurrons pas : une telle politique exigera de déployer des trésors d’inventivité et une ingénierie très complexe. Elle est néanmoins la seule capable de préserver la cohésion de la société en organisant la répartition permanente du volume de travail sur l’ensemble de la population en âge de travailler.
Réduire le temps de travail de 10 %
Une étude montre que pour réduire le temps de travail, les entreprises seraient invitées à réduire le temps de travail de leurs salariés de 10 % et à créer 10 % d’emplois supplémentaires, en contrepartie de quoi une exonération permanente de 8 % du salaire brut (dont les cotisations chômage) leur serait accordée (10 % la première année).
Serait de cette manière organisé un recyclage des dépenses qu’entraîne le chômage (entre 80 et 100 milliards annuels) comparable à celui qui avait été mis en œuvre au moment des 35 heures.
Tirer les leçons du passé
La censure du rapport de l’Inspection général des affaires sociales (Igas) sur les 35 heures a permis le retour d’une controverse : faut-il imputer le nombre d’emplois créés à la RTT ou aux seuls allégements de cotisations sociales ? Le cas des 35 heures se distingue des autres allégements (de type CICE) : dans la première version de la loi dite Aubry I en particulier, la distribution des aides publiques était obligatoirement conditionnée à la création d’emplois. C’est la raison pour laquelle la mesure a été fortement créatrice d’emplois. Et on ne voit bien sûr pas pourquoi les salariés auraient accepté de revoir leur organisation de travail, avec, il faut le reconnaître, plus de flexibilité pour certains, s’ils n’avaient pas obtenu en contrepartie une réduction de leur temps de travail.
La prochaine étape doit tenir compte de ces enseignements : si les 35 heures ont été globalement un succès (entre 1997 et 2002, deux millions d’emplois ont été créés, du jamais vu), la deuxième loi Aubry a abandonné l’exigence de création d’emplois, la RTT à l’hôpital n’a pas été accompagnée des créations d’emplois nécessaires, les petites entreprises ont eu des difficultés et craignent de s’engager dans une telle démarche. Il faudra donc être capable à la fois d’éviter l’intensification et la flexibilisation du travail, en créant suffisamment d’emplois et en édictant des règles strictes, et de déployer de nouvelles organisations, telles que les groupements d’employeurs. La réussite d’une telle politique suppose certes une certaine dose d’intervention de l’Etat mais aussi une implication déterminante des entreprises et des territoires.
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La fin du travail
La question de la fin du travail est revenue en force dans le débat public français dès le milieu des années 1990.
La réduction de la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures en France s’inscrit dans le cadre de ce débat. Trois approches différentes mettent en scène la notion de fin du travail.
Un premier discours annonce la fin du travail par la généralisation des techniques informationnelles et leur substitution aux mains et cerveaux. L’avènement de la « société informationnelle » signifierait sur le plan du travail que celui-ci, en perdant le rapport physique avec la matière, change de nature et s’étiole.
Un deuxième courant d’analyse proclame la fin de la centralité du travail et l’avènement d’une société du temps libre. Avec la perte de centralité du travail, l’espace social dominant à devenir est celui de la vie hors-travail, les activités de temps libre bénévoles et associatives.
Un troisième discours, inspiré par la publication de l’ouvrage de Jeremy Rifkin intitulé La Fin du travail (1996), apparaît avec l’utopie d’une société post-laborieuse. La sphère de production marchande et capitaliste se réduirait progressivement avec la réduction du temps de travail et l’émergence d’un troisième secteur, celui de l’économie sociale, des activités non marchandes, se situant à côté de l’État et du marché. Dans ce livre, l’auteur affirmait que la quantité de travail nécessaire pour produire les biens dont nous avons besoin serait de plus en plus faible, étant donné les formidables gains de productivité réalisés, et que les seuls emplois susceptibles de se développer dans les années à venir seraient ceux des « manipulateurs de symboles », emplois très qualifiés et en faible nombre.
Pour éviter qu’une très forte partie de la population ne voie son avenir réduit au chômage, il recommandait donc de développer à grande échelle un tiers secteur, communautaire et relationnel, donnant ainsi un coup d’arrêt à l’extension de l’économie marchande. Pour ce troisième courant l’expression « fin du travail » signifie que la quantité de travail humain nécessaire pour produire les biens et services dont nous avons besoin sera désormais toujours plus faible, ou encore qu’un nombre d’heures de travail toujours plus réduit permettra de faire face à nos besoins.
Dès lors le temps de travail deviendrait un temps résiduel au bénéfice d’un temps disponible pour la famille ou pour des loisirs.
Lectures ou documents additionnels
- Dernier rapport ou notes du Conseil d’analyse économique (CAE), n° 32 de mai 2016, Temps de travail, revenu et emploi, l’emploi des seniors…
- Le travail, Que sais-je ?, PUF, Méda Dominique, 04 novembre 2015. Commentaire : Ce petit ouvrage montre que l’ordre social s’organise autour du travail. L’auteur se demande si la réduction du temps de travail conduit à la disparition de la valeur travail ou au contraire à de nouvelles formes de travail. Il montre aussi que le développement du chômage l’a montré : travailler est une norme. Dans nos sociétés occidentales, le travail est le principal moyen de subsistance mais aussi une part essentielle des occupations de chacun. En a-t-il toujours été ainsi ? Assiste-t-on, aujourd’hui, avec la réduction du temps de travail, à une remise en cause de sa valeur ? Va-t-on vers de nouvelles formes de travail ? En croisant les regards historiques et philosophiques avec les résultats des enquêtes sociologiques et économiques les plus récentes, cet ouvrage interroge notre rapport au travail et, battant en brèche les idées reçues, nous invite à repenser sa nature ainsi que la place qu’il prend dans nos vies.
- Temps de travail, le vrai débat :
- L’expérience des 32h en Suède :
- Comment font nos voisins étrangers ?
Voici une vidéo qui vous explique le temps de travail et ses enjeux lors des dernières elections présidentielles
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