Cela faisait beaucoup de moi que nous n’avions pas retracé le portrait d’une personnalité. Alfred de Musset est donc l’occasion de reprendre ce thème « des célébrités »… Pourquoi s’intéresser à Musset aujourd’hui ? Parcequ’ Alfred de Musset appartient au mouvement littéraire du Romantisme qui fait partie de la période de 1820 à 1848. Or ce nouveau mouvement littéraire est fondé sur l’expression des sentiments et des sensations en abolissant les règles strictes de la littérature classique, c’est-à-dire ils ne suivent plus les règles, qu’ils ont dû suivre jusqu’à présent. En bravant ces règles, il propose de jouer sur les contrastes en opposition comme Du beau et du laid, du sublime et du grotesque, ceci est un bouleversement dans la littérature française, le romantisme s’exerce dans les romans, les pièces de théâtre ainsi que la poésie. Serait-il un radical littéraire ..?
Les fondateurs de ce nouveau mouvement sont aussi: Victor Hugo, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Alexandre Dumas… Le romantisme continue à influencer encore durant tout le XIX Siècle et jusqu’à nos jours…
La jeunesse Musset naît à Paris le 11 décembre 1810, dans une famille de lettrés. Son grand-père maternel est un ami de Carmontelle (1717-1806), célèbre auteur de proverbes et son père, Victor de Musset – Pathay est un grand spécialiste de Rousseau dont il donne une importante édition critique. Il a un frère aîné, Paul, qui restera proche de lui toute sa vie. Les deux enfants participent à la vie familiale et aux conversations de leurs parents.
En 1815, ils sont emmenés par un domestique aux Tuileries pour voir passer Napoléon. Le souvenir du grand homme restera vivace, sans toutefois pousser Musset à un engagement politique. Les parents de Musset s’intéressent peu à la religion. Ils privilégient une éducation héritée des Lumières, emmènent leurs enfants à la campagne l’été, suivant l’exemple de Rousseau.
En 1819, Musset entre au collège Henri IV. C’est un élève brillant. Ses condisciples sont le futur baron Haussmann, Ferdinand, le fils de Louis-Philippe et Paul Foucher dont la sœur Adèle est fiancée à Hugo. Paul Foucher devient son ami intime. Ensemble ils lisent avec frénésie tous les livres qu’ils peuvent trouver et suivent les débuts du romantisme.
Le jeune Musset se fait remarquer par son allure très distinguée, un dandy avant l’heure. Haussmann le décrit ainsi : « C’était un très joli garçon ; blondin, comme nous ; moins vigoureux ; mais, aussi, de taille élancée ; très recherché dans sa tenue ; plein d’afféterie dans ses manières. On l’appelait : « Mademoiselle de Musset » ! ».
À seize ans et demi, Musset devient bachelier avec un premier prix en dissertation de philosophie. Il commence puis abandonne tour à tour des études de droit puis de médecine. Il se voit plutôt en artiste, aime dessiner (talent dont Delacroix témoigne) mais choisit finalement la littérature. Il écrit lui-même : « A dix-huit ans j’hésitais encore sur l’état que j’embrasserais, lorsque le hasard me lia avec quelques jeunes gens qui s’occupaient de littérature ».
Grâce à Paul Foucher, Musset est introduit dans le cercle de Victor Hugo et assiste aux réunions du Cénacle. Il y rencontre Sainte-Beuve, Delacroix, Mérimée, Alfred de Vigny. Il participe aussi aux réunions organisées par Charles Nodier dans son salon de l’Arsenal. Bien que n’ayant produit encore aucune œuvre, le jeune Musset n’hésite pas à traiter avec désinvolture tout ce petit monde littéraire. Nullement impressionné, il ironise même sur le rituel des promenades au clair de lune organisées par Hugo dans Mardoche (écrit en 1828).
C’est donc avec une grande liberté que Musset commence sa carrière littéraire. Sa première grande œuvre est un recueil de vers intitulé Contes d’Espagne et d’Italie qu’il écrivit en 1828-29 et qu’il publia en 1830. L’ironie y est présente, le ton est libre. Certains critiques lui reprochent des fautes de langue, des irrégularités dans la versification… « M. de Musset accumule en outre les solécismes, voire les barbarismes les plus grossiers » trouve-t-on dans un article de l’Universel. Ces critiques ne semblent pas toucher Musset. Il obtient un certain succès et continue à écrire. En 1830, La revue de Paris publie Les Secrètes pensées de Rafaël, œuvre dans laquelle il livre une réflexion sur la place de l’artiste, puis Les Vœux stériles.
La même année Musset écrit une pièce de théâtre, La Nuit vénitienne ou Les Noces de Laurette. La première a lieu à l’Odéon et se solde par un échec cuisant. La pièce est retirée après sa deuxième représentation.
Musset décide alors de ne plus écrire pour la scène. 1830, c’est aussi la révolution de Juillet. Pourtant la situation politique n’influe pas directement sur les œuvres de Musset. Les parents de Musset sont favorables à l’accession au pouvoir de Louis-Philippe et voient d’un bon œil Charles X quitter le pouvoir. Les deux frères Musset auraient peut-être participé aux Trois Glorieuses. On peut penser qu’Alfred de Musset a pu se laisser guider par sa curiosité plus que par son engagement. Il n’est certainement pas enthousiaste devant l’avènement de ce nouveau roi.
C’est une période où Musset sort beaucoup, fréquente la jeunesse dorée dans les salons et les cafés. Dans cette vie de débauche, il rencontre un ami qu’il conservera toute sa vie : Alfred Tattet, héritier qui vit de ses rentes. Cette vie festive ne l’empêche pas d’écrire. Pour gagner sa vie, il collabore au journal Le Temps, pour lequel il rédige une critique théâtrale puis une chronique intitulée La Revue fantastique. Dans cette chronique, il invente deux personnages « l’un, vertueux et sensible comme Werther, promènerait autour de lui des regards innocents ; l’autre, damné comme Valmont, aurait cet œil dont l’éclair est comparable à une flèche aiguë ».
On voit déjà se dessiner un trait de caractère de Musset qu’on retrouve dans ses personnages : une figure à deux faces, l’une vertueuse et sensible, l’autre cynique et cruelle.
Sa vie de libertin lui inspire quelques textes licencieux, comme Suzon, long poème inspiré de Sade et publié en 1831, ou encore Gamiani ou deux nuits d’excès, un court roman érotique qui est resté anonyme et non publié en France.
En 1832, le père de Musset meurt du choléra (une épidémie très importante avait fait plus de vingt mille morts à Paris). C’est un moment difficile pour Alfred qui était proche de son père. La situation économique de la famille n’est plus si confortable. Musset doit vivre de sa plume s’il ne veut pas être à charge de sa mère. Le libraire Eugène Renduel accepte de publier un recueil de vers intitulé, Un spectacle dans un fauteuil qui comprend un poème dédié à Tattet, deux pièces en vers : La Coupe et les Lèvres et A quoi rêvent les jeunes filles, auxquelles il ajoute un conte oriental, Namouna. Le volume ne se vend pas très bien mais ce n’est pas non plus un échec. Les critiques sont diverses. Mérimée apprécie A quoi rêvent les jeunes filles ; et Sainte-Beuve apprécie les progrès du jeune homme. Il faut dire que l’ensemble est hétéroclite et assez déroutant.
En 1833, Musset signe avec Buloz un contrat qui lui assure la publication de ses œuvres en échange de l’exclusivité offerte à l’éditeur. Il publie cette année-là Rolla, un poème qui raconte l’histoire de Jacques Rolla. Celui-ci se suicide après avoir dilapidé sa fortune pendant trois ans de fêtes et d’orgies. Un tableau a été peint par Henri Gervex d’après le poème.
Vous trouverez sur le site du musée d’Orsay une reproduction de ce tableau avec un commentaire qui développe les thèmes abordés dans l’œuvre : http://www.musee-orsay.fr/fr/accueil.html puis dans « recherche », vous tapez « Rolla » et vous choisissez la troisième proposition « Rolla, Henri Gervex ».
Cette œuvre est marquée par la mélancolie de son auteur. La mort du personnage apporte une tonalité très sombre à l’évocation des fêtes. C’est dans ce poème qu’on trouve la citation restée célèbre : « Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux ». Cette phrase exprime le malaise d’une génération perdue dans un siècle qui ne lui offre pas d’avenir. On retrouvera cette réflexion dans le roman La Confession d’un enfant du siècle.
L’année 1833 est très fructueuse dans la production littéraire de Musset. C’est, paradoxalement, après avoir renoncé à la scène, que l’auteur écrit ses pièces les plus célèbres. En avril, mai, André del Sarto et Les Caprices de Marianne. À l’automne, Lorenzaccio puis Fantasio et On ne badine pas avec l’amour. L’ensemble de ces pièces est publié par Buloz dans le recueil Un Spectacle dans un fauteuil II (prose). Musset y adopte une grande liberté de ton et de forme, étant libéré des contraintes scéniques. La plupart des pièces se situe en Italie. André del Sarto raconte l’histoire d’un peintre italien de la Renaissance dont la femme a un amant. André est amené à se battre en duel, Lucrèce, sa femme, soigne son amant blessé et s’enfuit avec lui, ce qui entraîne le suicide d’André. Le thème du trio amoureux est repris avec des variantes dans Les Caprices de Marianne et On ne badine pas avec l’amour. Musset met beaucoup de lui-même dans ses personnages. Ainsi les deux héros des Caprices de Marianne, Octave et Coelio, semblent représenter les deux facettes de leur auteur, l’un aux mœurs dissolues recherche les plaisirs, l’autre, amoureux passionné, a un destin malheureux et meurt assassiné à la place d’Octave. Musset lui-même était conscient de cette dualité en lui, comme il l’écrit à George Sand : « Il y avait en moi deux hommes, tu me l’as dit souvent, Octave et Coelio. J’ai senti en te voyant que le premier mourait en moi, mais l’autre, qui naissait, n’a pu que crier ou pleurer comme un enfant… ».
Les deux écrivains se sont rencontrés en 1833. Ils se connaissaient déjà de réputation. Sand ne voyait en Musset que le dandy et ne cherchait pas à faire sa connaissance. C’est grâce à Buloz que la rencontre a lieu. S’ensuivent une relation épistolaire et une camaraderie qui devient une liaison amoureuse à la fin de l’été. Leur histoire est passionnelle et sera ponctuée de ruptures et de réconciliations. Un film de Diane Kurys retrace leur liaison : Les Enfants du Siècle (1999).
Au début de leur relation, un soir, à Fontainebleau, Sand voit Musset en proie à des hallucinations. Cela l’impressionne beaucoup. C’est à nouveau le cas à Venise, en décembre 1833 lorsque Musset est atteint d’une très forte fièvre. Sand le soigne, assistée d’un jeune médecin Pietro Pagello qui devient l’amant de la jeune femme. Musset l’apprend et rentre seul à Paris. George Sand reste à Venise, travaille à plusieurs œuvres littéraires puis rentre à Paris avec Pagello en août 1834. Musset refuse l’invitation de son ancienne maîtresse à Nohant. Pagello est pourtant jaloux de la relation entre sa femme et Musset – ils ont toujours continué à s’écrire et il repart à Venise. Les amants renouent, jusqu’en mars 1835, date de leur rupture définitive.
Leur liaison est restée célèbre. Deux écrivains reconnus, deux personnalités fortes et une correspondance abondante et détaillée ont contribué à forger de ce couple l’image même de l’amour romantique.
Musset est profondément marqué par leur dernière rupture. Il écrit au printemps 1835 un poème inspiré par cette passion, La Nuit de mai. Il s’agit d’un dialogue entre la Muse et le poète. Certains vers sont restés très célèbres, comme : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux / Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. » Publiée en décembre de la même année, La Nuit de décembre met en scène l’existence du poète à travers la figure du double, un être « vêtu de noir » qui vient visiter le poète à chaque étape de son existence et qui dit être, à la fin, « la Solitude ».
En parallèle de ses différentes productions littéraires de l’année 1835, Musset poursuit la rédaction d’une œuvre à caractère autobiographique, La Confession d’un enfant du siècle, qu’il publiera en 1836. Il s’agit d’un roman en cinq parties : Octave, le narrateur, a 19 ans et vient d’apprendre qu’il est trompé par sa maîtresse. D’abord réticent aux conseils de son ami Desgenais qui l’invite à oublier cet amour en multipliant les conquêtes, Octave cède au libertinage quand il apprend que son ancienne maîtresse a aussi trompé son nouvel amant. La mort de son père met fin à sa vie de débauche. Il part en province et mène une vie rangée jusqu’à ce qu’il rencontre une jeune veuve de trente ans qui devient sa maîtresse. Leur relation se détériore en partie à cause de la jalousie maladive du jeune homme qui va jusqu’à souhaiter la mort de celle qu’il aime. Il décide finalement de laisser partir la femme aimée avec l’ami d’enfance de celle-ci qu’elle aimait en secret.
On reconnaît plusieurs épisodes de son histoire avec George Sand. Au-delà de ce caractère auto-biographique, c’est toute une génération que Musset peint, celle qui est née sous Napoléon et qui a connu la Restauration, génération désenchantée et sans idéaux.
Musset continue en même temps à écrire de la poésie et du théâtre.
Après les Nuits de mai et de décembre, viennent la Nuit d’août, publiée en juin 1836 et la Nuit d’octobre en octobre 1837. Ces quatre nuits forment un ensemble rappelant les saisons et même si le projet n’a pas été pensé comme un tout dès son origine, le recueil a une certaine cohérence, à travers l’expression intime des souffrances du poète, de son destin malheureux et de ses difficultés amoureuses.
En 1835, il écrit deux comédies en prose : La Quenouille de Barberine et Le Chandelier et les deux années suivantes, deux proverbes : Il ne faut jurer de rien et Un Caprice. On y retrouve les thèmes de l’amour trompé et du libertinage traités avec légèreté et ironie.
À trente ans, Musset a déjà écrit une œuvre très riche, tout à la fois légère et profonde, en vers ou en prose. Mais le mode de vie du poète devient délétère. Musset sort beaucoup, boit beaucoup. Il tombe gravement malade au printemps 1840 et garde, après cet épisode, une santé fragile. Il continue à écrire mais son inspiration semble moins puissante.
Sa vie amoureuse est toujours troublée. Après son aventure avec l’actrice Rachel, il courtise en vain la princesse Belgiojoso. En 1852, il a une liaison avec Louise Colet, alors maîtresse de Flaubert. Mais Musset n’a plus la force d’être passionné et leur histoire prend une tournure pathétique. Louise Colet est tout à la fois fascinée par le génie passé du poète, et dégoûtée par la déchéance dans laquelle l’alcoolisme l’a fait tomber. Elle le quitte l’année suivante.
Une seconde naissance vient pourtant éclairer l’œuvre théâtrale de Musset grâce à Buloz et Mme Allan-Despréaux qui parviennent à faire jouer certaines de ses pièces. C’est au prix de remaniements voulus par la censure ou les goûts du public que Musset peut voir jouer Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, Il ne faut jurer de rien, Le Chandelier ou encore André del Sarto. Ce succès s’accompagne de son élection à l’Académie française en 1852 (après deux échecs en 1848 et 1850) et d’une nomination comme bibliothécaire au ministère de l’Instruction publique en 1853. Cela ne l’empêche pas de boire et la fin de sa vie est une vraie déchéance. Il n’écrit plus, est souvent malade. Il meurt le 2 mai 1857, à 46 ans. Il est conduit au Père-Lachaise par une trentaine de personnes.
Source : CNED