Tout comme nous l’avions fait pour définir « la ville » et ses concepts, nous nous penchons sur les définitions des « radicalités » et quelques types associés toujours très utiles pour définir les termes du sujet en question contemporaine.
Il n’existe pas de définition universelle sur le phénomène de la radicalisation menant à la violence. Le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV) le définit toutefois comme suit :
Au cœur du processus de radicalisation menant à la violence, on trouve une dynamique de rupture des individus avec leur environnement de proximité (famille, amis, collègues, etc.) et une progression vers une dérive radicale pouvant éventuellement conduire à la violence.
Ainsi, la radicalisation violente renvoie à :
- L’adoption d’une idéologie dont la logique devient un véritable cadre de vie, d’action et de signification pour un individu ;
- La croyance dans l’utilisation des moyens violents pour faire entendre une cause ;
La fusion entre l’idéologie et l’action violente.
Farad Khosrokhavar, sociologue franco-iranien et directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS) en 1991: définit par « radicalisation » le processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’actions directement lié à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établit sur le plan politique, social ou culturel.
Il est important de distinguer la radicalisation violente de la radicalisation non violente. Parfois, l’enfermement d’un individu dans ses propres certitudes peut se traduire par un positionnement radical qui n’est pas nécessairement en contradiction avec les valeurs et les normes démocratiques : en ce sens, la radicalisation n’est pas considérée comme de la radicalisation violente.
D’ailleurs, les radicaux non violents peuvent jouer un rôle très positif tant dans leur communauté que dans un contexte politique plus large. Nous l’avions vu avec Marx, Voltaire ou Castoriadis par exemple.
À preuve, la plupart des progrès des sociétés démocratiques sont le résultat d’une certaine forme de radicalisation : Martin Luther King, Gandhi, Mandela furent tous considérés, en leur temps, comme des radicaux. Ainsi, contester ce qui est fermement établi, c’est exposer une critique radicale d’un élément du système social, ce qui peut concourir à l’évolution positive de la société.
Là où les points de vue radicaux deviennent problématiques, c’est lorsque, pour faire triompher une cause, une idéologie ou une vision du monde, ils visent à légitimer, à encourager ou à valider la violence et des formes de comportements extrémistes violents, incluant le terrorisme, mais également les gestes haineux violents. L’individu engagé dans un processus de radicalisation menant à la violence est donc celui qui, parce qu’il est catégoriquement convaincu que le système de croyances auquel il adhère est exclusif et total, peut encourager, faciliter ou faire l’exercice de la violence au nom de ce système.
La radicalisation menant à la violence ne doit pas être confondue avec une problématique de santé mentale ni y être substituée : en réalité, si la santé mentale s’avère parfois l’un des nombreux facteurs possibles de certains processus de radicalisation, les études actuelles démontrent abondamment la « normalité » psychologique des individus engagés dans des trajectoires de radicalisation. Similairement, il serait erroné de confondre « radicalisation menant à la violence » et « dérive sectaire » : en effet, s’il est possible de dégager plusieurs éléments apparentés ou communs aux deux conditions, tout phénomène de radicalisation ne renvoie pas automatiquement à une « emprise mentale » à laquelle l’individu serait assujetti et qui le priverait de son libre arbitre.
Autrement dit, on en arrive à une définition où il n’y a radicalisation que s’il y a radicalisation absolue, c’est à dire, radicalisation à la fois des idées, des actes, des personnes, des pratiques, des paroles, des buts. Cette définition laisse à entendre que la radicalisation est absolue. La définition « d’absolutiste » étant assez récente, on voit que cette façon de parler de radicalité par une définition de « absolue » est quelque chose qui implique une configuration historique datée de manière assez récente.
Ce caractère récent apparaît encore mieux quand on fait un retour historique plus long, quand on travaille sur une histoire plus longue, on voit apparaître des acceptions plus diverses du terme « radical » ou « radicalité ».
Les radicalités ont évidemment un caractère multiple. Ce terme est utilisé principalement sous 4 angles : la vie politique institutionnelle, les mouvements sociaux, le religieux et le terrorisme. C’est la raison pour laquelle il n’a pas une radicalité mais des radicalités.
Ce thème permet à la fois d’aborder l’Islam radical, et sa prolongation politique avec « Daesh » ou « Boko Haram » comme nous l’avons vu dans plusieurs articles mais aussi de poser la question plus générale de toute religion radicalisée car le Christianisme n’en est pas exempt et surtout d’explorer toute idéologie politique ou philosophique poussée jusqu’à son extrémisme. L’occasion aussi de rappeler l’origine historique du terme avec l’existence de « parti radicaux ».
Ainsi, ce pluriel pourrait en fait vous faire prendre une direction de pensée afin d’élargir le radicalisme, de partir certes de l’Islam radical qui a occupé et endeuillé l’espace civil en paix, pour remonter à la source du mot et de l’attitude que constitue la radicalité.
La radicalisation menant à la violence peut prendre plusieurs formes, selon les contextes et les époques, et être associée à différentes causes ou motivations idéologiques.
Forme de radicalisation associée à des motifs fascistes, racialistes/racistes, suprémacistes, voire ultranationalistes. Caractérisée par la défense violente d’une identité raciale, ethnique ou pseudo-nationale, cette forme de radicalisation est également associée à une hostilité radicale envers les autorités étatiques, les minorités, les immigrants et/ou les groupes politiques de gauche.
Forme de radicalisation associée à une lecture politique de la religion et à la défense, par l’action violente, d’une identité religieuse perçue comme attaquée (conflits internationaux, politique étrangère, débats sociétaux, etc.). Cette radicalisation violente peut trouver ses racines dans toutes les religions.
Forme de radicalisation principalement articulée autour de revendications liées à l’anticapitalisme et à la transformation d’un système politique perçu comme générateur d’inégalités sociales – ces revendications trouvant leur aboutissement dans la violence. Cette catégorie inclut également des groupes anarchistes, maoïstes, trotskistes, marxiste-léniniste. utilisant la violence pour défendre leur cause.
Forme de radicalisation motivée essentiellement par une seule cause. Entrent dans cette catégorie : les extrémistes environnementaux ou de défense des animaux, antiavortement, certains mouvements homophobes ou antiféministes, ou encore les extrémistes à caractère ultra-individualiste et autonomiste (Freeman on the Land ou Citoyens souverains) utilisant la violence pour défendre leur cause. Les tueurs de masse dont les motivations sont partiellement ou totalement idéologiques peuvent aussi être rangés dans cette catégorie.
5. Radicalités et le temps
a) Après la seconde guerre mondiale
La connotation du terme est relativement neutre ou pas totalement négative. Il est utilisé comme antonyme de modérer et de modération. Cette phase on la trouve à la fois dans le monde syndical puisqu’en l’occurrence c’est en 1955 qu’on trouve trace pour la première fois de ce terme qui vise à désigner un accroissement de la combativité, le durcissement d’une ligne politique
Ce terme on va notamment l’utiliser dans les années 60 pour parler de la radicalité de la jeunesse, parler de la radicalité des mouvements sociaux en insistant sur le rôle d’une minorité active qui serait dans ce positionnement combative.
Le terme de radicalité est alors utilisé entre guillemet pour marquer une distance avec le vocabulaire militant ; cet usage modéré de « radical », est réutilisé dans le champ politique institutionnel suite à l’élection de Mitterrand en 1981, pour désigner la vigueur des débats politiques qui se durcissent suite à cette alternance.
b) Dans les années 1990
La connotation du terme est beaucoup plus nettement négative et va être rattachée aux idées de risques de débordements, ou de violences. Cette évolution se fait dans 3 espaces différents, c’est ce que démontre Caroline GUIBET – LAFAYE et Ami Jacques RAPIN, dans un article de 2017 intitulé « » :
L’espace politique
A partir des années 90, le terme « radicalité » s’applique pour désigner les discours de l’extrême droite puis de l’extrême gauche, c’est le moment où un ensemble d’auteurs vont désigner une certaine extrême droite par le terme de droite radicale, en France mais aussi au niveau de l’Europe voir des États Unis, c’est aussi l’apparition en retour de l’expression « gauche radicale » pour désigner un ensemble de groupes d’extrême gauche ou entre la gauche et l’extrême gauche.
Cette utilisation du terme « radical » est associée à un reproche de populisme, de volonté d’instrumentalisation des problèmes politiques et sociaux, autrement dit, il est lié à une volonté de stigmatiser les risques que font courir à la démocratie ces formations en émergence.
L’espace social
Le terme « radicalité » est associé à des conflits sociaux particulièrement violents ou considérés comme particulièrement violents, à l’idée d’un durcissement des positions qui se traduirait donc par des violences verbales et comportementales, ça va passer par des blocages mais aussi des séquestrations de cadres, des menaces de faire exploser une entreprise, ZAD (Zone A Défendre). Idée qu’il y aurait une radicalisation des mouvements sociaux qui est présentée comme ça dans un quotidien comme mais qui dans d’autres quotidiens va être lu comme une réponse à la radicalisation des mesures policières.
L’espace religieux
En association au fondamentalisme, le terme « islam radical » émerge. C’est en 1979 qu’on trouve pour la première fois dans une tribune du journal de Bachir Gemayel le terme de « radicalisation de l’islam », ce terme va rentrer dans le vocabulaire scientifique avec un ouvrage de Bruno Etienne, « » (1979), il s’agit non pas d’une modification ou d’une extension de la notion de radicalité mais seulement d’une application du terme « radicalité » au champ religieux.
C’est dans les années 2000 que la notion de radicalisation passe d’un champ sémantique abstrait à une forme de matérialité, on passe d’un processus collectif abstrait à un processus individuel encré dans un contexte spécifique et débouchant sur l’expression d’une violence. Autrement dit, progressivement dans les articles de journaux, on va trouver une association de plus en plus fréquente entre les termes « radicalité » et « radicalisation », avec l’idée d’une violence liée au passage à l’acte d’individu qui serait fasciné ou hypnotisé par des idées absolues, autrement dit, la radicalité devient synonyme de fanatisme.