Le programme d’histoire du concours commun aux IEP (#CC #IEP) ouvre une large part à la Ve République, son évolution, ses paradoxes…Voici une fiche possible mais non exhaustive de cette partie du programme d’histoire…
Introduction
La campagne présidentielle de 2017 a permis d’élire le 8ème Président de l’histoire la Vème République. Installée à la suite du 13 mai 1958, au cœur de la tourmente algérienne par le « plus illustre des français » le général De Gaulle, la 5ème République s’appuie sur une constitution qui garantit à la fois une stabilité politique et un pouvoir important du Chef de l’Etat. Approuvée par près de 80% des français par référendum, elle a accompagné le pays dans une période clé du 20ème siècle, achevant tout à la fois la reconstruction et la décolonisation, construisant l’Europe tout en restaurant une place à la nation sur la scène mondiale et assumant le passage d’une économie de la croissance à une crise sociale douloureuse. Pensée pour être un compromis entre régime présidentiel et parlementaire, la Vème république a su s’adapter et survivre à trois cohabitations malgré des critiques et des tensions.
Problématique :
Ce régime, a connu un enracinement rapide et a montré une réelle capacité d’adaptation, mais, en même temps, cet enracinement a eu lieu dans un terreau national prospère du cœur des années 1960 et qui est devenu par la suite très friable.
On s’attachera dans ces articles à vous présenter la République gaullienne dans les circonstances de sa naissance, les conditions de croissance, les facteurs d’évolution et les paramètres d’altération qui ont permis la mise en place du régime présidentiel entre 1958 et 1969. Puis nous mettrons en évidence sa continuité et sa modernisation entre 1969 et 1981 pour enfin observer l’alternance depuis la victoire de François Mitterrand en 1981 jusqu’au séisme du 21 avril 2002.
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La République gaullienne : un tournant dans l’histoire politique française (1958-1969)
Née au temps des Trente Glorieuses, la Ve République a été confrontée, au moment même où elle venait de s’enraciner et de surmonter la phase délicate de départ de son fondateur, à une inversion de la conjoncture socio-économique. Les deux chocs pétroliers des années 1970 ont entraîné la fin des « années faciles » et le régime a dû bientôt, de ce fait, affronter une réelle déchirure du tissu social, ainsi qu’un trouble profond de l’esprit public.
En même temps, cette apparition et ce développement de la crise n’ont pas empêché la poursuite de la mutation socioculturelle amorcée précédemment et qui s’éploie durant les Vingt Décisives (1965-1985) de la société française.
C’est donc à une France profondément atteinte par l’ébranlement des années 1970 mais aussi profondément transformée par cette grande mutation que le régime de la Ve République dut continuer à fournir un cadre politique.
Si ces deux épisodes ont confirmé la capacité des institutions à réguler sans crise aiguë les mouvements de balancier du corps politique, ce changement de configuration, en revanche, a progressivement soumis la Ve République à de nouvelles tensions.
Si la Ve République a une date de naissance (le 28 septembre 1958), son histoire est difficilement dissociable des conditions de la disparition du régime qui la précéda. Au commencement, il y eut le 13 mai 1958 et la crise politique qui s’ensuivit. À la suite de cette crise, le général de Gaulle devient président du Conseil le 1er juin. Mais cette désignation n’est pas seulement la énième crise ministérielle de la IVe République : elle en sonne le glas et le général de Gaulle sera le dernier président du Conseil de cette République.
Le lendemain 2 juin, en effet, celui-ci obtient par un autre vote de l’Assemblée nationale l’autorisation de préparer une nouvelle Constitution avec de nouvelles institutions.
De nouvelles institutions
Celle-ci vient s’ajouter au principe de légalité : le référendum du 28 septembre ayant, d’une certaine façon, conféré au peuple souverain le pouvoir constituant, la Constitution se trouve adoptée ce jour-là, que l’on peut, de ce fait, considérer comme la date de naissance du nouveau régime.
Celui-ci est le fruit d’un compromis entre les conceptions gaulliennes, exprimées notamment dans le discours de Bayeux en 1946, et celles des responsables politiques quarto-républicains qui ont accepté le retour du général de Gaulle et le principe d’une nouvelle Constitution.
Celle-ci tranche indéniablement avec le dispositif institutionnel de la IVe République. Le pouvoir exécutif se trouve renforcé, avec un président de la République doté de prérogatives élargies : élu par un collège électoral de 80 000 membres et non plus par le Parlement, il nomme le Premier ministre, possède le droit de dissolution et peut recourir au référendum pour des questions concernant l’organisation des pouvoirs publics.
Face à un président ainsi renforcé dans ses prérogatives et donc dans son rôle, le Parlement, constitué de deux chambres, voit son pouvoir rabaissé.
L’Assemblée nationale, élue pour cinq ans, ne peut renverser le gouvernement que par une motion de censure ou par le rejet d’une question de confiance posée par le Premier ministre et elle n’est pas véritablement maîtresse de son ordre du jour. Son rôle législatif et budgétaire est étroitement encadré et canalisé. Le Sénat, désigné au suffrage indirect pour neuf ans, se trouve pour sa part cantonné dans un rôle de confirmation des lois.
Le gouvernement, de son côté, « détermine et conduit la politique de la Nation ». Une telle formulation laisse une marge d’incertitude pour ce qui concerne l’autonomie du Premier ministre face au président, qui le nomme.
Ces institutions de la Ve République s’enracinent d’autant plus profondément dès cet automne 1958 qu’elles reçoivent à nouveau, indirectement cette fois, l’onction du peuple souverain deux mois plus tard au moment des élections législatives de novembre. Les gaullistes, qui n’existaient plus qu’à l’état résiduel dans l’Assemblée nationale de la fin de la IVe République, connaissent, en effet, une spectaculaire résurrection : regroupés au sein de l’Union pour la Nouvelle République (UNR), ils obtiennent 188 députés, soit presque 30 % des sièges. Inversement, le Parti communiste, qui avait préconisé le « non » au référendum, connaît un très fort recul, passant de 25,9 % des suffrages exprimés en 1956 à 19,2 % enCe recul frappe d’autant plus les esprits que les autres partis importants de la IVe République qui s’étaient prononcés pour le « oui » le 28 septembre parviennent à mieux préserver leurs positions deux mois plus tard : SFIO, MRP et indépendants restent bien présents dans l’Assemblée nationale issue des élections législatives de novembre.
Celle-ci a été élue selon un nouveau mode de scrutin, uninominal à deux tours. Le changement est radical par rapport à la IVe République, où prévalait, pour l’élection des députés, le principe proportionnel. Dans l’esprit de ses concepteurs, le nouveau type de scrutin doit permettre de dégager des majorités cohérentes. De telles majorités, il est vrai, ne sont possibles que dans deux cas de figure. D’une part, un parti dominant, à droite ou à gauche, parvient à lui seul, grâce notamment à l’effet amplificateur du second tour, à être majoritaire à l’Assemblée : au cours des premières décennies de la Ve République, une telle situation ne se présentera que deux fois, pour les gaullistes en juin 1968 et pour les socialistes en 1981, après la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle. D’autre part, s’il reste ainsi difficile pour un parti d’obtenir seul la majorité absolue des sièges, le nouveau mode de scrutin incite quasi mécaniquement à des alliances politiques permettant des désistements entre les deux tours. Il y a bien là, en germes, un facteur de bipolarisation de la vie politique française.
Cela étant, à cette date manque à une telle bipolarisation, pour s’amorcer réellement, le facteur déclenchant que constituera à partir de 1962 l’élection du président de la République au suffrage universel, avec deux candidats seulement présents au second tour. De ce point de vue, il apparaît bien que la Constitution de 1958 reste alors, à bien des égards, un compromis. Ce n’est qu’en 1962 que le général de Gaulle engagera le fer sur cette question. Pour l’heure, l’article 6 des institutions adoptées le 28 septembre prévoit que le président de la République est élu par un collège électoral composé des députés, des sénateurs, des conseillers généraux et de représentants des conseils municipaux.
Le 21 décembre 1958, 78,5 % de ces grands électeurs se prononcent en faveur du général de Gaulle. Celui-ci, après avoir été le dernier président du Conseil de la IVe République, devient ainsi le premier président de la Ve République. Il entre officiellement en fonction le 9 janvier 1959 et, le lendemain, il désigne Michel Debré comme Premier ministre. Les principaux organes de pouvoir prévus par la Constitution – hormis le Sénat, dont les élections interviendront un peu plus tard – sont désormais en place et la phase de changement institutionnel ouverte huit mois plus tôt à la suite de l’onde de choc du 13 mai 1958 se termine. Le problème algérien, en revanche, reste entier, et il allait encore se prolonger durant trois ans et demi.
Face à la guerre d’Algérie
Si ces années ont été rudes pour la jeune République, elles ont contribué par leur densité même à son enracinement : chaque crise alors surmontée semblait faire, en effet, la preuve de l’efficacité du nouveau régime, alors que c’est bien la guerre d’Algérie qui avait contribué, au moins indirectement, à la chute de la IVe République.
On ne peut détailler ici les circonstances et les modalités de chacune de ces crises. Globalement, il apparaît possible de distinguer rétrospectivement trois grandes phases dans la gestion gaullienne du conflit algérien. La première ne diffère guère, au moins en apparence, de la politique menée jusqu’ici par les derniers gouvernements quarto-républicains. Certes, le général de Gaulle avait prononcé début juin 1958 un sibyllin « je vous ai compris » devant la foule algéroise, mais à l’automne suivant il s’en était tenu à des promesses de réformes (plan de Constantine) en appelant de ses vœux une « paix des braves ». C’est, en fait, à la fin de l’été suivant qu’intervient la première inflexion décisive : le 16 septembre 1959, le général de Gaulle évoque le principe de « l’autodétermination », énumérant trois formules possibles pour l’avenir de l’Algérie. C’est aux habitants de ces départements algériens de se prononcer sur leur avenir, qui pourrait être placé sous le signe du maintien de l’Algérie française, de la sécession ou de l’association. Si le chef de l’État, à cette date, n’exprime pas une préférence, les partisans de l’Algérie française éprouvent dès ce moment le sentiment d’avoir été trompés. De là provient un très fort contentieux entre les « pieds noirs » et de Gaulle.
Quelques mois plus tard, du reste, en janvier 1960, l’épisode de « la semaine des barricades » à Alger illustre bien l’ampleur de ce contentieux, qui va encore s’accroître en septembre 1960, quand le président de la République évoque pour la première fois l’éventualité d’une « République algérienne ». Commence ainsi une troisième phase, durant laquelle le général de Gaulle bénéficie du soutien de l’opinion : ainsi, en janvier 1961, un référendum portant sur le principe de l’autodétermination obtient 75,2 % de « oui ».
Si la résolution du conflit par la Ve République prend, en définitive, autant de temps que ce qu’avait été la durée de la confrontation de la IVe République à la même question algérienne – un peu moins de quatre ans dans chacun des cas –, le nouveau régime reste maître de la situation lors de chacune des crises et la position du général de Gaulle en sort même renforcée. Déjà, en 1960, « la semaine des barricades » s’était en définitive terminée à l’avantage du pouvoir ; bien plus, l’année suivante, le « putsch des généraux » à Alger, situation historique objectivement encore plus grave que les événements du 13 mai 1958, tourne court et l’exécutif paraît avoir conservé de bout en bout la maîtrise de la situation. Il s’agit non seulement d’un succès à porter au crédit de la Ve République mais d’un pilotis supplémentaire qui ancre encore davantage ce régime, après la double onction populaire de l’automne 1958.
De surcroît, le général de Gaulle, qui avait amorcé des négociations avec le FLN algérien, voit celles-ci aboutir à la signature des accords d’Évian le 18 mars 1962, massivement approuvés par 90 % des électeurs au référendum du 8 avril 1962. Si, en dépit de ces accords, le printemps 1962 en Algérie est le théâtre d’épisodes dramatiques et si, bientôt, s’amorce un exode massif des « pieds noirs » – qui deviennent, de ce fait, des «rapatriés » –, l’indépendance de l’Algérie est effective le 3 juillet. Et la Ve République, en dépit des sanglants soubresauts de cette ultime phase de la guerre d’Algérie, sort renforcée de ses tumultueuses premières années. Les
crises à répétitions durant près de quatre années n’ont pas été l’expression de groupes informels ou constitués qui auraient été intrinsèquement hostiles à la nouvelle variante de la démocratie française mais des scansions du dénouement du drame algérien.
Ce dénouement confère à l’année 1962 une importance historique particulière : avec la fin de la guerre d’Algérie, en effet, c’est une phase presque séculaire de l’histoire française qui s’achève, le pays ayant connu depuis 1870 une sorte de belliqueux. Durant neuf décennies, il y a bien eu une période de cette histoire marquée par l’omniprésence de la guerre : une guerre européenne, deux guerres mondiales, une guerre froide Est-Ouest à partir de 1947, deux guerres coloniales dont la seconde mit indirectement à bas la IVe République et demeura le principal problème pour le régime suivant jusqu’en 1962. Alors que les grandes passions françaises avaient été, un siècle ou presque durant, profondément activées et façonnées par une telle présence de la guerre, celle-ci quitte alors le devant de la scène nationale, d’autant que la guerre froide elle-même connaît à la même date une phase de détente, placée sous le signe de la « coexistence pacifique ».
L’adieu définitif à l’Empire et la rétraction du pays, après plus d’un siècle de dilatation coloniale, aux dimensions de l’Hexagone constituent un phénomène fondamental pour une autre raison également : la France du début des années 1960 vient de connaître, en moins d’une décennie, un changement d’échelle, dont rend compte, du reste, ce mot Hexagone dont l’usage date précisément de cette époque. La suite de son histoire et donc celle de la Ve République naissante s’opèrent désormais dans un cadre géographique rétréci. Un tel constat n’est pas contradictoire avec le fait qu’à la même date non seulement la France est partie prenante dans le processus de construction européenne enclenché quelques années plus tôt mais, de surcroît, la communauté nationale s’ouvre, beaucoup plus que par le passé, aux vents venus d’ailleurs : à l’heure où la culture de masse audiovisuelle tout à la fois rajeunit et se mondialise, elle est de plus en plus parcourue de sons et d’images pour lesquels des frontières n’ont plus guère de signification.
En d’autres termes, plus qu’à une simple rétraction géographique, on assiste à une insertion de cette communauté nationale dans des jeux d’échelles singulièrement plus complexes qu’auparavant : le recentrage centripète du début des années 1960 est concomitant du développement rapide de nouvelles forces centrifuges, d’une autre nature que celles induites auparavant par l’expansion coloniale. La Ve République est donc un régime politique qui s’installe à un moment où ces processus complexes et à géométrie variable dessinent de nouveaux périmètres pour la vie de la Cité.
Dans un second article, nous vous dresserons la fin de ce pouvoir et les contestations progressives jusque mai 1986…
Bon courage !
Source:Que sais-je / La Ve République