Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ? Est-ce la capacité à percevoir le monde, à prédire le futur immédiat ou lointain, ou à planifier une série d’actions pour atteindre un but ? Est-ce la capacité d’apprendre, ou celle d’appliquer son savoir à bon escient ? La définition est difficile à cerner…Faisons donc un point sur ce thème. Pour illustrer ces propos, en fin d’article, une vidéo vous explique l’intelligence artificielle et ses enjeux…
On pourrait dire que l’intelligence artificielle (IA) est un ensemble de techniques permettant à des machines d’accomplir des tâches et de résoudre des problèmes normalement réservés aux humains et à certains animaux.
Les tâches relevant de l’IA sont parfois très simples pour les humains, comme par exemple reconnaître et localiser les objets dans une image, planifier les mouvements d’un robot pour attraper un objet, ou conduire une voiture. Elles requièrent parfois de la planification complexe, comme par exemple pour jouer aux échecs ou au Go. Les tâches les plus compliquées requièrent beaucoup de connaissances et de sens commun, par exemple pour traduire un texte ou conduire un dialogue.
Depuis quelques années, on associe presque toujours l’intelligence aux capacités d’apprentissage. C’est grâce à l’apprentissage qu’un système intelligent capable d’exécuter une tâche peut améliorer ses performances avec l’expérience. C’est grâce à l’apprentissage qu’il pourra apprendre à exécuter de nouvelles tâches et acquérir de nouvelles compétences.
Le domaine de l’IA n’a pas toujours considéré l’apprentissage comme essentiel à l’intelligence. Par le passé, construire un système intelligent consistait à écrire un programme « à la main » pour jouer aux échecs, reconnaître des caractères imprimés, ou faire un diagnostic médical à partir des symptômes. Mais cette approche « manuelle » a ses limites.
Les méthodes manuelles se sont avérées très difficiles à appliquer pour des tâches en apparence très simples comme la reconnaissance d’objets dans les images ou la reconnaissance vocale. Les données venant du monde réel – les échantillons d’un son ou les pixels d’une image – sont complexes, variables et entachées de bruit.
Pour une machine, une image est un tableau de nombres indiquant la luminosité (ou la couleur) de chaque pixel, et un signal sonore une suite de nombres indiquant la pression de l’air à chaque instant.
Comment une machine peut-elle transcrire la suite de nombres d’un signal sonore en série de mots tout en ignorant le bruit ambiant, l’accent du locuteur et les particularités de sa voix ? Comment une machine peut-elle identifier un chien ou une chaise dans le tableau de nombre d’une image quand l’apparence d’un chien ou d’une chaise et des objets qui les entourent peuvent varier infiniment ?
Il est virtuellement impossible d’écrire un programme qui fonctionnera de manière robuste dans toutes les situations. C’est là qu’intervient l’apprentissage machine (que l’on appelle aussi apprentissage automatique). C’est l’apprentissage qui anime les systèmes de toutes les grandes entreprises d’Internet. Elles l’utilisent depuis longtemps pour filtrer les contenus indésirables, ordonner des réponses à une recherche, faire des recommandations, ou sélectionner les informations intéressantes pour chaque utilisateur.
Un système entraînable peut être vu comme une boite noire avec une entrée, par exemple une image, un son, ou un texte, et une sortie qui peut représenter la catégorie de l’objet dans l’image, le mot prononcé, ou le sujet dont parle le texte. On parle alors de systèmes de classification ou de reconnaissance des formes.
Dans sa forme la plus utilisée, l’apprentissage machine est supervisé : on montre en entrée de la machine une photo d’un objet, par exemple une voiture, et on lui donne la sortie désirée pour une voiture. Puis on lui montre la photo d’un chien avec la sortie désirée pour un chien. Après chaque exemple, la machine ajuste ses paramètres internes de manière à rapprocher sa sortie de la sortie désirée. Après avoir montré à la machine des milliers ou des millions d’exemples étiquetés avec leur catégorie, la machine devient capable de classifier correctement la plupart d’entre eux.
Mais ce qui est plus intéressant, c’est qu’elle peut aussi classifier correctement des images de voiture ou de chien qu’elle n’a jamais vues durant la phase l’apprentissage. C’est ce qu’on appelle la capacité de généralisation.
L’industrie d’Internet a immédiatement saisi l’opportunité et a commencé à investir massivement dans des équipes de recherche et développements en apprentissage profond.
L’apprentissage profond ouvre une porte vers des progrès significatifs en intelligence artificielle. C’est la cause première du récent renouveau d’intérêt pour l’IA.
Les opportunités sont telles que l’IA, particulièrement l’apprentissage profond, est vue comme des technologies d’importance stratégique pour l’avenir.
Les progrès en vision par ordinateur ouvrent la voie aux voitures sans chauffeur, et à des systèmes automatisés d’analyse d’imagerie médicale. D’ores et déjà, certaines voitures haut de gamme utilisent le système de vision de la compagnie Israelienne MobilEye qui utilise un réseau convolutif pour l’assistance à la conduite. Des systèmes d’analyse d’images médicales détectent des mélanomes et autres tumeurs de manière plus fiable que des radiologues expérimentés.
Chez Facebook, Google et Microsoft, des systèmes de reconnaissance d’image permettent la recherche et l’organisation des photos et le filtrage d’images violentes ou pornographiques.
Depuis plusieurs années déjà, tous les moteurs de reconnaissance vocale sur smartphone utilisent l’apprentissage profond.
Des efforts considérables de R&D sont consacrés au traitement du langage naturel : la compréhension de texte, les systèmes de question-réponse, les systèmes de dialogue pour les agents virtuels, et la traduction automatique. Dans ce domaine, la révolution de l’apprentissage profond a été annoncée, mais n’est pas encore achevée. Néanmoins, on assiste à des progrès rapides.
Malgré tous ces progrès, nous sommes encore bien loin de produire des machines aussi intelligentes que l’humain, ni même aussi intelligentes qu’un rat.
Bien sûr, nous avons des systèmes qui peuvent conduire une voiture, jouer aux échecs et accomplir d’autres tâches difficiles de manière plus fiable et rapide que la plupart des humains. Mais ces systèmes sont très spécialisés. Un gadget à 30 euros nous bat à plate couture aux échecs, mais il ne peut faire rien d’autre.
Ce qui manque aussi aux machines, c’est la capacité à apprendre des tâches qui impliquent non seulement d’apprendre à représenter le monde, mais aussi à se remémorer, à raisonner, à prédire, et à planifier. Beaucoup de travaux actuels à Facebook AI Research et à DeepMind sont focalisés sur cette question. Une nouvelle classe de réseaux neuronaux, les Memory-Augmented Recurrent Neural Nets (réseaux récurrents à mémoire) est utilisée de manière expérimentale pour la traduction, la production de légendes pour les images, et les systèmes de dialogues.
Mais ce qui manque principalement aux machines, c’est le sens commun, et la capacité à l’intelligence générale qui permet d’acquérir de nouvelles compétences, quel qu’en soit le domaine.
Comment acquérir ce sens commun ? Une hypothèse possible est l’apprentissage prédictif. Si l’on entraîne une machine à prédire le futur, elle ne peut y arriver qu’en élaborant une bonne représentation du monde et de ses contraintes physiques. Dans un scénario d’apprentissage prédictif, on montre à la machine un segment de vidéo, et on lui demande de prédire quelques images suivantes. Malheureusement, le futur est impossible à prédire exactement et la machine s’en tient à produire une image floue, une mixture de tous les futurs possibles.
Si nous arrivons à concevoir des techniques d’apprentissage machine aussi générales et performantes que celle de la nature, à quoi ressembleront les machines intelligentes de demain ?
Il est très difficile d’imaginer une entité intelligente qui n’ait pas toutes les qualités et les défauts des humains, car l’humain est notre seul exemple d’entité intelligente. Comme tous les animaux, les humains ont des pulsions et des instincts gravés dans notre cerveau reptilien par l’évolution pour la survie de l’espèce. Nous avons l’instinct de préservation, nous pouvons devenir violents lorsque nous sommes menacés, nous désirons l’accès aux ressources pour ne pas mourir de faim, ce qui peut nous rendre jaloux, etc. Nos instincts d’animaux sociaux nous conduisent aussi à rechercher la compagnie d’autres humains. Mais les machines intelligentes n’auront aucune raison de posséder ces pulsions et instincts. Pour qu’elles les aient, il faudrait que leurs concepteurs les construisent explicitement.
Les machines intelligentes du futur auront des sentiments, des plaisirs, des peurs, et des valeurs morales. Ces valeurs seront une combinaison de comportements, d’instinct et de pulsions programmés avec des comportements appris.
Dans quelques décennies, quand nous pourrons peut-être penser à concevoir des machines réellement intelligentes, nous devrons répondre à la question de comment aligner les valeurs des machines avec les valeurs morales humaines.
Mais c’est un futur lointain où l’on pourra donner de l’autonomie aux machines. D’ici là, les machines seront certes intelligentes, mais pas autonomes. Elles ne seront pas à même de définir leurs propres buts et motivations. L’ordinateur de votre voiture s’en tiendra à conduire votre voiture en toute sécurité. L’IA sera un amplificateur de notre intelligence, et non un substitut pour celle-ci.
Tout d’abord, il faut garder à l’esprit que l’apparition de l’IA ne sera pas un événement singulier, ni le fait d’un groupe isolé. Le progrès de l’IA sera progressif et ouvert. Comprendre l’intelligence est une des grandes questions scientifiques de notre temps.
Aucune organisation, si puissante soit-elle, ne peut résoudre ce problème en isolation. La conception de machines intelligentes nécessitera la collaboration ouverte de la communauté de la recherche entière.
L’IA n’éliminera donc pas l’humanité de sa propre initiative. Mais comme toute technologie puissante, l’IA peut être utilisée pour le bénéfice de l’humanité entière ou pour le bénéfice d’un petit nombre aux dépens du plus grand nombre.
L’émergence de l’AI va sans doute déplacer des métiers. Mais elle va aussi sauver des vies (par la sécurité routière et la médecine). Elle va très probablement s’accompagner d’une croissance de la production de richesses par habitant. La question pour les instances dirigeantes est comment distribuer ces nouvelles richesses, et comment former les travailleurs déplacés aux nouveaux métiers créés par le progrès technologique. C’est une question politique et non technologique. C’est une question qui n’est pas nouvelle : l’effet du progrès technologique sur le marché du travail existe depuis la révolution industrielle.
L’émergence de l’IA n’est qu’un symptôme de l’accélération du progrès technologique.
Source : article de Yann Le Cun
Pour illustrer ces propos, voici une vidéo vous expliquant l’intelligence artificielle et ses enjeux…