Voici une lecture sans doute intéressante pour un thème transverse qui regroupe #numérique et #secret…Sous la direction d’Éric DENÉCÉ, Collection « CF2R », Ellipses, cet ouvrage nous propose une façon de comprendre les liens entre le renseignement, les médias d’aujourd’hui et le rapport avec notre société démocratique.
1. L’auteur
Eric DENÉCÉ, 46 ans, docteur ès
Science Politique, a été successivement :
– Analyste à la direction de
l’Evaluation et de la Documentation Stratégique du Secrétariat Général de la
Défense Nationale (SGDN).
– Ingénieur commercial export
chez Matra Défense. Responsable de la communication de la société NAVFCO,
filiale du groupe DCI (Défense Conseil International).
– Directeur des études du Centre
d’Etudes et de Prospective Stratégiques (CEPS).
– Fondateur et
directeur général du
cabinet d’intelligence économique
Argos Engineering & Consulting SA.
– Créateur et directeur du
département d’intelligence économique du groupe GEOS.
Il a notamment opéré au Cambodge,
aux côtés de la résistance anticommuniste, et en Birmanie, pour la protection des
intérêts de Total
contre la guérilla
locale. Parallèlement, il
a été consultant
pour le ministère de la Défense
concernant l’avenir des forces spéciales. Au printemps 1999, il
crée la revue Renseignement et
opérations spéciales et la collection Culture du renseignement (éditions
L’Harmattan), puis en
2000 le Centre
Français de Recherche
sur le Renseignement (CF2R), dont
il assure la direction.
Parallèlement, il
est Professeur associé
à l’université Montesquieu
Bordeaux IV et
enseigne le renseignement ou
l’intelligence économique dans
diverses autres institutions
(Collège interarmées de Défense,
ENA, Centre d’Etudes
Supérieures Aérospatiales, IHEDN,
Bordeaux Ecole de
Management, Université NDU de Beyrouth, etc.).
Il est l’auteur d’une centaine d’articles, d’une dizaine de travaux de recherche consacrés à l’intelligence économique, au renseignement et aux opérations spéciales – qui lui ont valu d’être lauréat du Prix 1996 de la Fondation pour les Etudes de Défense (FED) – et de onze ouvrages.
2. Principaux ouvrages
– Les services secrets français
sont-ils nuls ? , Ellipses, Paris, 2012.
– Commandos et forces spéciales ,
Ouest France éditions, Rennes, 2011.
– Les services secrets ,
collection « Tout comprendre », EPA éditions, Paris, 2008.
– Renseignement et contre-espionnage
, collection « Toutes les clés », Hachette pratique, Paris, 2008.
– Histoire secrète des forces
spéciales (de 1939 à nos jours) , Nouveau monde, Paris, 2007.
– Forces spéciales, l’avenir de
la guerre , collection « L’art de la guerre », éditions du Rocher,
Paris, 2002.
– Le nouveau contexte des échanges et ses règles cachées. Information, stratégie et guerre économique , L’Harmattan, Paris, 2001.
3. Synthèse de l’ouvrage
Cet ouvrage
est le recueil
des diverses interventions ayant
eu lieu au
cours d’une conférence présidée par Eric DENÉCÉ en 2009
au centre français de recherche sur le renseignement (CF2R).
Dans une première
partie est abordée
la médiatisation du renseignement, à
savoir comment les médias parlent du renseignement et
comment les agences spécialisées communiquent. (9 articles)
Dans une seconde partie est abordée la politisation du
renseignement et les moyens mis en œuvre pour éviter que le renseignement ne
soit utilisé pour justifier l’action politique. (7 articles). La problématique
de départ est l’opposition entre le nécessaire secret entourant le
renseignement d’un côté et le besoin de transparence démocratique dans nos
sociétés de l’autre.
1ère partie : médiatisation et
communication
Les auteurs
partent du constat
qu’en France règne
une grande méconnaissance du
monde du renseignement par les
médias.
En effet, l’augmentation de la médiatisation du monde du renseignement et,
notamment de ses agences depuis les attentats de 2001, a fait ressortir
la grande méconnaissance des médias en matière de renseignement ceux-ci ne
disposant pas de spécialistes en la matière. Ceci s’explique par le nécessaire secret entourant
les activités entourant
les services de
renseignement et leur
clair manque de communication. Cette situation est
préjudiciable car une connaissance mutuelle serait un gain réciproque.
Les services
de renseignement pourraient alors
informer correctement le public et, les médias
seraient alors capables de présenter des informations correctement
analysées. Ceux-ci ne se contenteraient plus seulement de couvrir des scandales
ou les échecs des agences.
Les auteurs
ensuite s’intéressent à la mise
en place d’une
communication
gouvernementale en réponse à la
surmédiatisation de la menace terroriste.
La menace terroriste générant un sentiment d’insécurité grandissant, les
autorités ont dû mettre en place une logique de communication pour faire face à
la surmédiatisation du phénomène terroriste, ceci afin d’expliquer la situation
et de rassurer la population. En effet, l’annonce de la connaissance d’une menace renvoie
l’image d’une maîtrise
de la situation.
Le rapprochement nécessaire
entre le pouvoir politique et
les services de
renseignement qui s’ensuit
a vu une
implication plus importante
des responsables des agences de renseignement dans la communication
gouvernementale, domaine jusque là réservé aux politiques, afin de renforcer la
crédibilité du discours.
Ils exposent ensuite le rôle de
la communication et le but qu’elle cherche à atteindre. La communication pour
les services de renseignement a une triple action, à savoir, l’explication de l’utilisation
de l’argent public et la démonstration
de l’efficacité de cet investissement, l’établissement d’un lien avec la
population et enfin, la favorisation du recrutement. Le but est bien d’établir
un dialogue avec la société civile afin que la population comprenne le rôle et
l’intérêt des services de renseignement et que le citoyen une fois informé
devienne lui aussi un acteur de la sécurité collective. Ce dialogue se fait par des
biais très variés :
de l’Internet aux
conférences universitaires en
passant par des
publications spécialisées.
Enfin, les
auteurs insistent sur
la nécessaire responsabilité des
médias et le
rôle de la communication gouvernementale.
Les médias ont là une grande
responsabilité afin qu’ils ne soient pas des vecteurs de diffusion de la peur
mais qu’ils participent
bien à l’acquisition
d’un réflexe citoyen.
Face aux risques
de dérives médiatiques (risque de
fuites, manipulation par certains politiques, jugement hâtif…), la
communication officielle est là pour recadrer le réel, pour délivrer une
information véridique sans préjudice à l’action gouvernementale (confidentialité des
opérations). Toutefois, il
existe un réel
risque que le
discours agences officielles entretienne
le sentiment d’insécurité
au sein de
la population et
serve donc de justification à l’existence de ces mêmes
agences (exemple pris des Pays-Bas).
2ème partie : politisation et
contrôle du renseignement
Dans un premier temps, les auteurs
s’intéressent, au travers du système américain, à l’utilisation du
renseignement et montrent comment celui-ci peut être détourné à des fins
politiques.
L’exemple de la guerre en Irak permet de constater que le renseignement a été utilisé afin de servir la propagande politique faite pour l’entrée en guerre (faux rapports, symbole de la CIA utilisé pour apporter de la crédibilité). S’en est suivie une discorde entre les politiques d’un côté et, les agences de renseignement dont le travail était détourné de l’autre. La méfiance du politique envers les agences de renseignement « historiques » a entraîné la création d’autres structures plus à même à fournir du renseignement pouvant appuyer la propagande politique. La frontière est donc mince entre l’analyse objective du renseignement par le politique et la volonté de le manipuler. D’autant plus que le renseignement a bien pour but d’orienter une politique de sécurité nationale. La multiplicité des agences de renseignement présente un réel danger de concurrence et non d’entraide entre elles, ainsi qu’un réel danger de sélection de la part des politiques qui seraient tentés de ne prendre en compte que ce qui justifie leur action.
Les auteurs étudient ensuite
l’évolution du contrôle des services de renseignement dans différents pays à
partir de la fin du XXème siècle.
Dans les années 1980, un contrôle des services de renseignement s’est progressivement mis en place dans plusieurs pays occidentaux notamment à cause de scandales et d’abus concernant des affaires d’espionnage. Un dilemme apparaît alors entre la nécessaire discrétion entourant les services de renseignement d’un côté et, le besoin de transparence des activités de ces mêmes services répondant à une attente démocratique de l’autre. La mise en place d’un système de contrôle complétant celui de l’exécutif permet de répondre en partie à ce problème. En premier lieu, l’implication du parlement et l’accréditation de certains de ses membres permet d’assurer la protection de la constitution. Vient ensuite le pouvoir judiciaire qui est quant à lui garant du respect des droits et libertés individuelles et ce, notamment dans un contexte de coopération internationale. Celui-ci peut être appuyé par un système de plaintes révélant les défauts du système de contrôle et participant ainsi à son amélioration. Enfin, l’audit financier qui est un bon moyen de s’assurer de la bonne utilisation du budget.
Les auteurs illustrent alors ce
contrôle parlementaire à travers deux exemples très différents que sont la
France et les Etats-Unis.
Les Etats-Unis ont
depuis la fin
de la seconde
guerre mondiale mis
en place des
commissions parlementaires chargées de mener des enquêtes sur l’activité
des agences de renseignement. Il ressort très clairement que l’influence des
partis politiques sur ces commissions est un frein conséquent à la bonne utilisation du
système. Les ambitions
et rivalités politiques
prennent souvent le
pas sur l’efficacité
du contrôle. C’est dans
ce cadre là
que les médias
apparaissent comme un
palliatif à la
défaillance du Congrès américain
car ils permettent l’expression des points de vue minoritaires et révèlent
nombre de scandales politiques.
La France quant à elle est
une des dernières démocraties à instaurer un contrôle parlementaire. Avant
2007, seul un contrôle gouvernemental avait lieu notamment par le biais de la
cour des comptes. Ceci s’explique par
l’absence de cadre
juridique pour les
services de renseignement
en France mais également par la mauvaise image que ces
services véhiculent associée à l’idée que seul l’exécutif serait concerné par
ce domaine.
Enfin, les auteurs prennent deux
exemples européens que sont la Belgique et l’Italie avec leurs particularités.
La Belgique assez absente du monde du renseignement jusqu’à la fin
du XX ème siècle s’est doté d’un
organisme chargé de
centraliser la production
des services de
renseignement et d’en
réaliser la fusion afin de
réaliser des évaluations globales de menaces.
L’Italie est montré comme étant un bel exemple de politisation du renseignement. L’approche historique montre comment les agences italiennes ont été sous la coupe des services américains et ce pendant toute la guerre froide. En effet, elles ont été largement utilisées en Italie pour contrer l’influence de l’URSS afin d’assurer un régime favorable aux États-Unis.
4. Analyse et avis
Cet ouvrage permet de mieux
cerner les enjeux auxquels le monde du renseignement doit faire face en
France et ce
notamment par l’étude
de cas concrets
sur nos plus
proches voisins. Ces comparaisons mettent
bien en lumière
le retard dans
le domaine de
la communication sur le
renseignement existant en France,
ceci s’expliquant notamment par
la mauvaise image dont souffre le
renseignement dans notre
pays. Cette nécessité
de communication étant
de plus en
plus pressante car répondant
un besoin de
transparence démocratique croissant
dans notre société.
Cet ouvrage permet également, à l’étude des dérives
actuelles ou passées, de fournir des pistes pour établir un système de contrôle
efficace qui éviterait une certaine politisation du renseignement.
Cet ouvrage étant un recueil
d’interventions lors d’une conférence, la qualité des parties n’est pas égale
selon les intervenants mais leurs développements respectifs se complètent bien
et cernent assez bien les deux sujets
(médiatisation et politisation).
La 1ère partie (médiatisation) est
assez fluide, la 2
(politisation) est quant à elle plus lourde à lire car plus technique.
Pour la
partie médiatisation, l’intervention de
Nathalie CETTINA intitulée
« communication et gestion du
risque terroriste » me
semble la plus
intéressante car elle
aborde la question
de la communication sous l’angle
du terrorisme abordant ainsi la plupart des idées développées dans
l’ouvrage et ce de façon assez
synthétique.