Nous allons développer un grand nombre d’articles dédiés aux différentes facettes de la guerre froide. Des causes de la bipolarité, aux tensions et apaisement tout en passant par ses paroxysmes, la guerre froide est une longue épreuve de force qui s’est engagée, au lendemain de la capitulation de l’Allemagne hitlérienne, entre les États-Unis et l’Union soviétique. Ces différentes parties montrent les faits principaux qui doivent figurer dans un sujet qui lui est dédié.
Introduction générale
En 1941, l’agression nazie contre l’URSS faisait du régime soviétique un associé des démocraties occidentales. Mais dans l’organisation du monde d’après-guerre, des points de vue de plus en plus divergents opposent les alliés d’hier.
Progressivement, les États-Unis et l’URSS se construisent leurs zones d’influence respectives et divisent le monde en deux camps antagonistes. La guerre froide n’est donc pas exclusivement une affaire américano-soviétique, c’est un conflit global qui touche de nombreux pays, dont notamment le continent européen. Celui-ci, divisé en deux blocs, devient en effet l’un des théâtres majeurs de l’affrontement. En Europe de l’Ouest, le processus de l’intégration européenne s’amorce avec le soutien des États-Unis, tandis que les pays de l’Europe de l’Est deviennent des satellites de l’URSS.
À partir de 1947, les deux adversaires, utilisant toutes les ressources de l’intimidation et de la subversion, s’opposent dans un long conflit stratégique et idéologique ponctué de crises plus ou moins violentes. Même si les deux Grands ne s’affrontent jamais directement, ils amènent le monde à plusieurs reprises au bord de la guerre atomique. Seule la dissuasion nucléaire empêche un affrontement militaire. Paradoxalement, cet « équilibre de la terreur » stimule tout de même la course aux armements. Les phases de tensions alternent avec des périodes de détente ou d’échauffement des relations entre les deux camps. Le politologue Raymond Aron a parfaitement défini le système de la guerre froide dans une formule qui fait mouche : « paix impossible, guerre improbable ».
La guerre froide s’achève finalement de fait en 1989 avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement des régimes communistes en Europe de l’Est.
I. Les causes d’un monde bipolaire (1945-1948)
La fin de la Seconde Guerre mondiale ne conduit pas à un retour à la normale mais annonce au contraire l’émergence d’un nouveau conflit. Tandis que les grandes puissances européennes, maîtresses de la scène internationale dans les années 1930, sont épuisées et ruinées par la guerre, deux nouvelles superpuissances dominent la scène internationale. Deux blocs se constituent autour d’une part, l’Union soviétique, et d’autre part, les États-Unis. Les autres pays sont désormais obligés de se ranger dans un des deux camps.
Agrandie sur le plan territorial, l’URSS sort de la guerre auréolée du prestige de la lutte contre l’Allemagne hitlérienne. Elle est galvanisée par sa résistance héroïque à l’ennemi dont témoigne la victoire de Stalingrad. L’URSS offre aussi le visage d’un modèle idéologique, économique et social qui rayonne comme jamais avant en Europe. De plus, contrairement à l’armée américaine, l’Armée rouge n’est pas démobilisée à la fin de la guerre. L’Union soviétique dispose de ce fait d’une réelle supériorité numérique en hommes et en armement lourd.
Les États-Unis sont les grands vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale. Leurs pertes humaines et matérielles sont relativement faibles et même si l’armée américaine est presque entièrement démobilisée quelques mois après la fin des hostilités, les États-Unis restent la première puissance militaire. Leur flotte de guerre et leur aviation n’ont pas d’égal et ils ont jusqu’en 1949 le monopole de l’arme atomique. Ils peuvent en outre s’affirmer comme la première puissance économique mondiale, tant en ce qui concerne le volume des échanges commerciaux que la production industrielle et agricole. Les Américains possèdent désormais les deux tiers du stock d’or monétaire mondial et le dollar devient la monnaie d’échange internationale de référence.
Peu à peu, les conflits d’intérêts entre les nouvelles puissances mondiales se multiplient et une atmosphère de méfiance et de peur s’installe. Chacun des deux redoute la nouvelle puissance de l’autre. Les Soviétiques se sentent encerclés et menacés par les Occidentaux et accusent les États-Unis de mener une « expansion impérialiste ». De leur côté, les Américains s’inquiètent de l’expansion communiste et reprochent à Staline de ne pas respecter l’accord de Yalta sur le droit des peuples libérés à disposer d’eux-mêmes. Il en résulte une longue période de tensions internationales, ponctuée de crises aiguës débouchant parfois sur des conflits militaires locaux sans pourtant déclencher une guerre ouverte entre les États-Unis et l’URSS. À partir de 1947, l’Europe, divisée en deux blocs, se trouve au centre de l’affrontement indirect entre les deux superpuissances. La guerre froide atteint son premier moment fort lors du blocus de Berlin. L’explosion de la première bombe atomique soviétique, en été 1949, vient conforter l’URSS dans son rang de puissance mondiale.
Cette situation confirme les prédictions de Winston Churchill qui, en mars 1946, est le premier homme d’État occidental à parler publiquement d’un « rideau de fer » qui coupe désormais l’Europe en deux.
A. La paix manquée
La Seconde Guerre mondiale a bouleversé la carte du monde. Le bilan humain et matériel est le plus grave que l’humanité n’ait jamais connu. L’Europe, exsangue et à bout de souffle, est en ruine et en proie à la confusion la plus totale : usines et voies de communication détruites, échanges commerciaux traditionnels rompus, pénuries de matières premières et de biens de consommation.
Même avant la capitulation des pays de l’Axe, les trois Grands, Américains, Anglais et Russes, s’efforcent de régler le sort du monde d’après-guerre. Du 28 novembre au 2 décembre 1943, la conférence de Téhéran est la première rencontre au sommet entre Winston Churchill, Joseph Staline et Franklin D. Roosevelt. Elle trace les grandes lignes de la politique internationale de l’après-guerre.
Les dirigeants parlent notamment du débarquement en Normandie, alors fixé au 1 mai 1944, du sort de l’Allemagne et de son éventuel démembrement ainsi que de l’organisation du monde au lendemain du conflit. Ils décident de confier l’étude de la question allemande à une commission consultative européenne. Deux autres conférences interalliées vont suivre, l’une à Yalta (du 4 au 11 février 1945), l’autre à Potsdam (du 17 juillet au 2 août 1945).
Mais très vite, l’étroite alliance de la guerre fait place à la méfiance. Lors des conférences de paix, les trois Grands s’aperçoivent rapidement que des points de vue de plus en plus divergents opposent Occidentaux et Soviétiques. Les anciens antagonismes que la guerre a fait taire resurgissent et les puissances alliées ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un traité de paix.
1. La conférence de Yalta
Du 4 au 11 février 1945, Winston Churchill, Joseph Staline et Franklin D. Roosevelt se réunissent à Yalta, au bord de la mer Noire, en Crimée, afin de régler les problèmes posés par la défaite inéluctable des Allemands. Roosevelt est surtout soucieux d’obtenir la collaboration de Staline, tandis que Churchill redoute la puissance soviétique. Il voudrait éviter une trop grande prise d’influence de l’Armée rouge en Europe centrale. Or, à cette époque, les troupes soviétiques se trouvent déjà au cœur de l’Europe, alors que les Anglo-américains n’ont pas encore franchi le Rhin.
Les trois Grands s’entendent tout d’abord sur les modalités d’occupation de l’Allemagne : l’Allemagne serait divisée en quatre zones d’occupation, la France recevant une zone d’occupation en partie prélevée sur celles du Royaume-Uni et des États-Unis. Berlin, placé en zone soviétique, serait également partagé en quatre secteurs.
L’URSS obtient le déplacement de la frontière orientale de l’Allemagne jusqu’à la ligne Oder-Neisse, plaçant en Pologne presque toute la Silésie, une partie de la Poméranie, une partie du Brandebourg oriental et une petite région de Saxe. Le nord de la Prusse orientale, autour de la ville de Königsberg (rebaptisée Kaliningrad) est incorporé à l’URSS. Comme frontière orientale de la Pologne, Staline impose «la ligne Curzon » qui maintient dans l’orbite de Moscou tous les territoires ukrainiens et biélorussiens. Les trois chefs d’État signent également une « déclaration sur la politique à suivre dans les régions libérées », texte qui prévoit l’organisation d’élections libres et la mise en place de gouvernements démocratiques.
Les États-Unis obtiennent de l’URSS son entrée en guerre contre le Japon et Roosevelt voit aboutir le projet de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui sera créée le 25 avril 1945.
Yalta apparaît comme l’ultime tentative d’organiser le monde sur une base de coopération et d’entente. Le monde n’est pas encore partagé en deux hémisphères d’influence, mais les Occidentaux sont contraints d’accepter le rôle de Staline dans les territoires libérés par les chars soviétiques.
L’Europe centrale et orientale est désormais sous l’influence exclusive de l’Armée rouge.
2. La conférence de Potsdam
La dernière des grandes conférences interalliées se déroule du 17 juillet au 2 août 1945 à Potsdam, près de Berlin. Six mois plus tôt, en Crimée, Churchill, Roosevelt et Staline avaient préparé l’après-guerre, mais les promesses de Yalta ne vont pas résister aux rapports de force sur le terrain. Le climat s’est profondément modifié entre-temps : L’Allemagne a capitulé le 8 mai 1945 et la guerre est finie en Europe. Le Japon résiste avec opiniâtreté aux bombardements américains, mais les États-Unis disposent d’un atout de taille : le 16 juillet a lieu dans un désert du Nouveau-Mexique le premier essai de la bombe atomique. À Potsdam, Harry Truman remplace Franklin D. Roosevelt, décédé le 12 avril 1945, et Clément Attlee prend la tête de la délégation britannique après la défaite de Winston Churchill aux élections législatives du 26 juillet. Seul Joseph Staline participe en personne à toutes les conférences interalliées.
L’atmosphère est beaucoup moins cordiale qu’à Yalta. Quelques semaines avant la capitulation du Reich, l’Armée rouge a réussi à occuper à grande vitesse la partie orientale de l’Allemagne, une partie de l’Autriche ainsi que toute l’Europe centrale. Conscient de cet avantage sur le terrain, Staline en profite pour mettre en place dans les pays libérés par les Soviétiques des gouvernements communistes. Tandis que les Occidentaux se plaignent de leur impossibilité de contrôler les élections organisées dans les pays occupés par l’Armée rouge, Staline impose un profond remodelage de la carte de l’Europe orientale. Dans l’attente des traités de paix, les Anglais et les Américains acceptent provisoirement les annexions soviétiques ainsi que les nouvelles frontières fixées à la ligne Oder-Neisse. Les accords de Potsdam entérinent aussi les gigantesques transferts de populations.
Les trois chefs d’État se mettent cependant d’accord sur des modalités pratiques du désarmement complet de l’Allemagne, de la destruction du parti national-socialiste, de l’épuration et du jugement des criminels de guerre et du montant des réparations. Les négociations concluent aussi à la nécessité d’une décartellisation des industries allemandes et à la mise sous séquestre des puissants Konzern qui doivent être éclatés en plus petites sociétés indépendantes. Les accords intervenus précédemment sur le régime d’occupation de l’Allemagne et de l’Autriche sont confirmés.
À Potsdam, des points de vue de plus en plus contradictoires opposent les trois Grands. Il ne s’agit désormais plus de s’unir pour vaincre le nazisme, mais de préparer l’après-guerre et à se diviser le « butin ». Ainsi, quelques mois seulement après le communiqué si confiant de Yalta, des divergences profondes se creusent entre Occidentaux et Soviétiques.
B. Les États-Unis et le bloc de l’Ouest
À partir de 1947, les Occidentaux s’inquiètent de plus en plus de la progression du communisme : dans plusieurs pays européens, les communistes participent activement aux gouvernements de coalition (Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Pologne, France, Belgique et Italie) et réussissent même parfois à écarter les autres partis du pouvoir. La Grèce est en proie à une guerre civile depuis l’automne 1946 et la Turquie est à son tour menacée.
1. La doctrine Truman
Dans cette atmosphère internationale tendue, le président américain Harry S. Truman rompt avec la politique de son prédécesseur Franklin D. Roosevelt et redéfinit les grandes lignes de la politique extérieure des États-Unis. Le 12 mars 1947, le président présente devant le Congrès américain sa doctrine du containment, qui vise à fournir une aide financière et militaire aux pays menacés par l’expansion soviétique. Visant explicitement l’endiguement de la progression communiste, la doctrine Truman pose les États-Unis en défenseurs d’un monde libre face à l’agression de l’URSS.
Des crédits d’environ 400 millions de dollars seront ainsi accordés à la Grèce et la Turquie. Cette nouvelle doctrine légitimera l’activisme des États-Unis pendant la guerre froide.
En appliquant la doctrine d’endiguement, les Américains encouragent, entre autres, la Turquie à rejeter les revendications soviétiques concernant la cession de bases navales au détroit du Bosphore et ils obtiennent le retrait des troupes russes d’Iran. Entre-temps, depuis mars 1947, la lutte contre l’espionnage soviétique s’organise et la Central Intelligence Agency (CIA) devient le service de renseignements américain. Ces changements de la politique extérieure marquent un véritable tournant dans l’histoire des États-Unis, qui jusqu’ici voulaient rester à l’écart des querelles européennes. Dorénavant, il n’est plus question pour eux de jouer la carte de l’isolationnisme.
2. Le plan Marshall et la création de l’OECE
En même temps, le secrétaire d’État américain, George C. Marshall, s’inquiète de la mauvaise situation économique de l’Europe. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les échanges commerciaux intereuropéens sont en effet ralentis par le manque de devises et souffrent de l’absence d’une organisation économique internationale capable d’organiser efficacement le commerce mondial.
Les États-Unis, qui ont le plus grand intérêt à favoriser ces échanges pour gonfler leurs exportations, envisagent dès lors de relever l’économie européenne via un programme structurel d’envergure. Pour eux, il s’agit de protéger la prospérité américaine et d’éloigner le spectre de la surproduction nationale. Mais la volonté des États-Unis d’accorder une aide économique massive à l’Europe trouve également son origine dans des préoccupations politiques. La peur de l’expansion communiste en Europe occidentale est sans doute un facteur décisif tout aussi important que la conquête de marchés nouveaux. Les Américains proposent donc de lutter contre la misère et la faim en Europe qui, selon eux, entretiennent le communisme.
Ainsi, dans un discours qu’il prononce le 5 juin 1947 à l’Université Harvard de Cambridge, le général Marshall propose à tous les pays d’Europe une assistance économique et financière conditionnée par une coopération européenne plus étroite. C’est le plan Marshall ou le European Recovery Program (ERP).
Très intéressées, la France et la Grande-Bretagne convoquent trois semaines plus tard à Paris une conférence à laquelle ils convient aussi l’URSS dans le but d’élaborer un programme commun en réponse à l’offre du général Marshall. Mais Viatcheslav Molotov, ministre russe des Affaires étrangères, refuse catégoriquement le moindre contrôle international et s’oppose au relèvement économique de l’Allemagne.
L’Union soviétique rejette définitivement l’offre Marshall et dissuade ses pays satellites et la Finlande voisine de solliciter l’aide américaine. Ceux qui étaient intéressés, comme la Pologne et la Tchécoslovaquie, doivent s’incliner. Ce refus approfondit la coupure entre l’Est et l’Ouest de l’Europe.
Finalement, seize pays s’empressent d’accepter le plan Marshall : Autriche, Belgique, Danemark (avec les îles Féroé et le Groenland), France, Grèce, Irlande, Islande, Italie (et Saint-Marin), Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal (avec Madère et les Açores), Royaume-Uni, Suède, Suisse (avec le Liechtenstein) et Turquie. Ils mettent immédiatement sur pied un Comité de coopération économique européenne (CCEE) qui dresse un rapport fixant les tâches prioritaires de l’économie européenne. Mais les Américains exigent que ces pays assurent eux-mêmes la gestion et la redistribution des fonds. Le CCEE prévoit alors la création d’un organisme permanent de coopération. Le 16 avril 1948, les seize pays signent à Paris la Convention qui y établit l’Organisation européenne de coopération économique (OECE). L’Allemagne de l’Ouest et le territoire de Trieste les rejoignent en 1949. Les colonies et les territoires extra européens des pays de l’OECE y sont représentés par les métropoles, les États-Unis et le Canada. Bien qu’ils ne soient pas membres de l’Organisation, ils participent aussi à tous ses travaux. L’OECE est donc de facto une organisation à vocation mondiale. En 1960, après l’adhésion effective des États-Unis et du Canada, elle devient d’ailleurs l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui connaît par la suite de nouveaux élargissements.
Les États-Unis adoptent en avril 1948 une loi d’assistance étrangère qui crée l’Administration de coopération économique, l’Economic Cooperation Administration (ECA) qui gère le plan Marshall.
Ils décident d’envoyer un représentant permanent en Europe et d’établir des missions spéciales auprès de chacun des pays bénéficiaires. Des accords bilatéraux sont passés entre chaque pays et les États-Unis.
Le programme de relèvement européen se répartit à la fois en subsides et en prêts pour un montant global d’environ 13 milliards de dollars distribués entre avril 1948 et juin 1951. Au-delà des investissements de modernisation, l’aide américaine est avant tout utilisée pour acheter les marchandises indispensables aux économies européennes : produits alimentaires et agricoles, matières premières, outillages et équipements industriels. Les États-Unis affectent également des dollars au développement de la production de matériaux stratégiques dans les colonies européennes où les Américains veulent barrer la route au communisme. En octobre 1948, l’OECE met d’ailleurs sur pied un Comité des territoires d’outre-mer (CTO) qui, à travers un fonds spécial TOM, incite les pays européens à coopérer avec les États-Unis pour le développement de l’Afrique.
L’importance politique du plan Marshall ne doit pas être sous-estimée. Par ce soutien, le président américain Harry Truman veut aider les peuples libres d’Europe à résoudre leurs problèmes économiques. Mais il s’agit aussi de faire barrage au communisme qui semble menacer des pays tels que la France et l’Italie. Cette stratégie se révèle payante puisqu’aux élections d’avril 1948, la démocratie chrétienne l’emporte nettement sur le Parti communiste italien jusque-là si influent. Le plan Marshall s’accompagne d’ailleurs d’une intense propagande. C’est ainsi qu’un «train pour l’Europe», rempli de vivres et de denrées alimentaires, sillonne les pays bénéficiaires pour y exposer les projets entrepris et les résultats engrangés. La presse et les médias audiovisuels sont également mis à contribution. Car le plan de relèvement européen est bien une arme de la guerre froide. Mais le plan Marshall marque aussi l’entrée de l’Europe occidentale dans la société de consommation, symbolisée, par exemple, par le Coca Cola et les films hollywoodiens. Dès 1948, l’OECE négocie un accord multilatéral de paiements intereuropéens suivi, en 1949, d’un code de libération des échanges.
De juillet 1950 à décembre 1958, une Union européenne des paiements (UEP) rétablit la convertibilité des monnaies européennes et lève les restrictions quantitatives des échanges. L’OECE favorise également la productivité économique en Europe via l’Agence européenne de productivité qu’elle institue en 1953 pour étudier et diffuser les nouvelles avancées techniques applicables au secteur industriel. En rassemblant initialement les pays démocratiques européens dotés d’une économie de marché, l’OECE constitue une première étape importante sur la voie de l’unification européenne. Elle demeure toutefois un organe de coopération intergouvernementale qui ne parvient pas à créer une union douanière.
C. L’URSS et le bloc de l’Est
En août 1949, l’URSS fait exploser sa première bombe atomique puis, en 1953, sa première bombe thermonucléaire. Désormais, son titre de puissance mondiale ne peut plus lui être contesté. En Union soviétique, Staline continue à gouverner seul. Les tendances de libéralisation du régime parues pendant la guerre disparaissent à nouveau et le culte de la personnalité de Staline atteint son paroxysme. Une nouvelle vague de répression est néanmoins interrompue par la mort de Staline le 5 mars 1953.
1. La constitution du glacis soviétique
Agrandie sur le plan territorial, l’URSS sort de la guerre auréolée du prestige de la lutte contre l’Allemagne. Si le monde communiste se limite à l’Union soviétique en 1945, il s’étend ensuite rapidement à l’Europe centrale et orientale, qui forme un glacis, espace-tampon protégeant l’URSS.
La propagande communiste est grandement facilitée par la présence de l’armée soviétique dans les pays d’Europe centrale et orientale qu’elle a libérés.
Progressivement, les leaders des partis non-communistes sont écartés, soit par discréditation ou intimidation, soit par des procès politiques suivis d’emprisonnement voire d’exécution. Trois ans suffisent à l’URSS pour mettre en place des démocraties populaires dirigées par les partis communistes. Aussi bien la Pologne que la Hongrie, la Roumanie ou encore la Tchécoslovaquie tombent ainsi, de manière plus ou moins brutale, dans le giron soviétique. Néanmoins, le refus, à partir de 1948, des communistes yougoslaves de s’aligner sur les thèses du Kominform témoigne des difficultés de l’URSS à maintenir son emprise sur l’ensemble des pays situés dans son orbite.
2. La doctrine Jdanov et le Kominform
Le 22 septembre 1947, les délégués des partis communistes d’Union soviétique, de Pologne, de Yougoslavie, de Bulgarie, de Roumanie, de Hongrie, de Tchécoslovaquie, d’Italie et de France se réunissent près de Varsovie et créent le Kominform, bureau d’information installé à Belgrade et qui devient rapidement l’organe de coordination idéologique du mouvement communiste via l’intermédiaire de son journal Pour une paix durable, pour une démocratie populaire. Présenté comme une reconstitution du Komintern, le Kominform est en réalité pour l’URSS un instrument pour contrôler étroitement les partis communistes occidentaux. Il s’agit de resserrer les rangs autour de Moscou et de vérifier que les communistes européens s’alignent bien sur la politique soviétique.
Ainsi, la Yougoslavie de Tito, accusée de déviationnisme, sera bientôt exclue du Kominform. Le délégué soviétique, idéologue du PCUS et bras droit de Staline, Andreï Jdanov fait approuver par les participants de la réunion la thèse selon laquelle le monde est désormais divisé en deux camps irréductibles : un camp « impérialiste et anti-démocratique » dirigé par les États-Unis et un camp «anti-impérialiste et démocratique» dirigé par l’URSS. Cette doctrine constitue la réponse soviétique à la doctrine Truman. Jdanov condamne l’impérialisme et la colonisation mais prône la démocratie nouvelle. Il souligne que le bloc anti-impérialiste s’appuie partout dans le monde sur le mouvement ouvrier démocratique, sur les partis communistes ainsi que sur les combattants des mouvements de libération dans les pays coloniaux. En 1947, le monde est donc devenu bipolaire, divisé en deux blocs inconciliables.
Puis, en réaction au programme Marshall, l’URSS institue, en janvier 1949, une coopération économique avec les pays du bloc soviétique dans le cadre du Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM ou Comecon).