Voilà une petite synthèse pour connaître, dans les grandes lignes, l’altermondialisme : ses débuts, ses buts, ses moyens, ses évolutions, ses critiques, et ses pannes…
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Les origines de l’altermondialisme
En 1972, pendant les Trente Glorieuses, le « Club de Rome » publie le rapport Meadows intitulé « Halte à la croissance ». Les auteurs de ce rapport dénonçaient déjà le gaspillage des ressources naturelles et les atteintes à l’environnement.
Dans les années 1980, les mouvements écologistes se renforcent dans les pays développés (affaire du camp militaire du Larzac. . .).
Dans les manifestations, on trouve des associations (ATTAC…), des ONG (OXFAM, WWF, Greenpeace, Handicap International. . .), des organisations de défense des droits de l’homme, des syndicats.
Depuis 2011, le mouvement des « Indignés » parti d’Espagne dénonce les mesures d’austérité et le creusement des inégalités.
Ces acteurs très différents les uns des autres, se définissent d’abord comme des « antimondialisation ». Puis, ils prennent conscience de l’irréversibilité de ce phénomène et ils deviennent les « altermondialistes » (« l’autre monde » en quelque sorte).
Mais la diversité des profils militants qui se revendiquent de cette idéologie ainsi que les diverses situations géographiques, interdisent de parler d’un seul altermondialisme. Communistes, antilibéraux, écologistes, localistes … prônent tous leurs propres convictions bien différentes mais se reconnaissent dans le mot d’ordre : « Un autre monde est possible ».
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Son idéologie et les moyens d’action
L’altermondialisme est un courant de pensée selon lequel une autre mondialisation (fondée sur les droits fondamentaux, la justice sociale et la protection de l’environnement) est possible.
Les altermondialistes refusent la mondialisation libérale et ses excès. Ils dénoncent:
- l’accroissement des inégalités locales et mondiales,
- la dégradation de notre environnement,
- l’injustice sociale,
- la domination des grandes instances internationales libérales comme l’OMC et le FMI,
- la domination des pays riches et de leurs firmes transnationales (FTN) sur le monde et notamment sur les pays pauvres.
Ils réclament une meilleure répartition des richesses et refusent aussi la marchandisation du monde. Ils veulent défendre les services publics et permettre à tous d’accéder aux biens communs (l’eau, la nourriture, la santé. . .).
Les mouvements altermondialistes sont capables de participer aux débats les plus complexes et de contredire, avec des arguments sérieux, les discours des économistes libéraux car beaucoup de leurs membres ont fait de longues études et sont des experts reconnus.
Ils utilisent massivement les médias et les nouvelles technologies pour s’organiser face aux États ou aux organisations internationales. Certains de leurs leaders ont acquis une audience planétaire comme le président brésilien « Lula », le paysan français José Bové, le réalisateur américain Michael Moore. . .
Les altermondialistes organisent des campagnes contre les entreprises qui font travailler les enfants (Nike en 1997). Ils défendent les petits paysans contre les FTN agroalimentaires qui produisent les OGM et qui veulent priver les États les plus pauvres de leur souveraineté alimentaire. Ils réclament une taxe sur les flux financiers pour éviter les crises financières.
Lors des grands sommets, ils organisent des rassemblements spectaculaires qui obligent parfois les chefs d’État à se barricader. En 1999, ils font échouer le sommet de l’OMC de Seattle.
A partir de 2001, face au Forum Économique Mondial de Davos (Suisse), ils organisent le Forum Social Mondial de Porto-Alegre (Brésil). Des forums sont aussi organisés sur chaque continent.
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Les acteurs principaux
Les acteurs de l’altermondialisme représentent souvent une « nébuleuse », car seuls les groupes dont l’activité principale est la critique altermondialiste constituent les mouvements altermondialistes à proprement parler, identifiables à leur date de création (1994/1995). Les autres participent de la mouvance parce que leurs activités les y conduisent, mais ne se revendiquent pas nécessairement comme membre à part entière, ce qui est le cas de beaucoup d’ONG.
On distingue 4 types d’acteurs :
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Les groupes radicaux
Ils ne représentent aucune population en particulier et luttent contre certaines activités par le biais d’action de désobéissance civile. Ils appartiennent à la gauche radicale et rejettent le système capitaliste en tant que tel, ce qui les conduit à critiquer les autres membres jugés réformistes. Le plus connu est le réseau Action mondiale des peuples.
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Les mouvements sociaux
Ils estiment que les intérêts des populations qu’ils défendent sont menacés par les effets de la mondialisation libérale. Ils regroupent beaucoup de mouvements des pays du Sud et ont développé des pratiques en rupture avec le militantisme traditionnel (actions non-violentes hors la loi, marches) souvent médiatisées. Le Mouvement brésilien des sans-terres et la Confédération paysanne sont les plus représentatifs.
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Les associations et organisations non gouvernementales
Elles se sont investies considérant que la mondialisation constituait un facteur aggravant pour les populations en difficulté qu’elles défendent. Proches des critiques formulées par l’altermondialisme, auxquelles nombre de leurs sympathisants adhèrent, elles participent au mouvement mais peuvent garder leur distance en vue de préserver leur indépendance. Elles ont apporté une crédibilité morale et internationale au mouvement. L’implication première des ONG de solidarité internationale tiers-mondiste a été suivie par les ONG de droits de l’homme et environnementalistes.
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Les organisations de vigilance citoyenne
Observatoires spécialisés ou généralistes sur la mondialisation, ils sont des créations pures du mouvement. Composés d’experts qui évaluent et informent, ils se concentrent sur les activités des institutions financières internationales ou des entreprises de certains secteurs (pétrole, habillement). Fifty Years is Enough, Global Trade Watch, International Forum on Globalization sontparmi les principaux. Quand s’ajoute à cet objectif la volonté de former un mouvement tourné vers l’action, elles deviennent un autre type d’organisation au sein de la catégorie dont l’association Attac est la plus représentative.
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Les limites du mouvement
La grosse problématique de ces mouvements est qu’ils sont divisés sur les solutions à apporter aux désordres de la mondialisation. Ils éprouvent de grandes difficultés à se fédérer et à proposer des solutions concrètes et réalisables. Ceci est renforcé par l’absence de structure centralisatrice.
Cette hétérogénéité entraîne une impossibilité d’accord des divers courants altermondialistes sur des projets d’action concrète. C’est pourquoi la Charte des Principes du Forum Social Mondial affirme, dans son article 6: «
Depuis l’éclatement de la crise de 2008, ils sont inaudibles car les populations sont plus sensibles aux discours sur la croissance (et la création d’emplois) qu’aux initiatives pour la préservation de l’environnement.
De nombreux hommes politiques appellent même à la « démondialisation », et au retour à une certaine forme de protectionnisme, ce qui amenuise leurs audiences.
Certaines de leurs critiques sont souvent sources de nombreuses incohérences et de propositions partiellement biaisées. Par exemple, certains détracteurs du mouvement l’accusent de vouloir blâmer par tous les moyens le capitalisme source d’injustice.
Sur le plan géographique, le manque de moyens des militants des pays du Sud conduit à leur sous-représentation dans les forums et manifestations. Sur le plan social, les catégories populaires les plus exposées aux effets de la mondialisation sont minoritaires, plus acquises à l’extrême droite et au populisme.
Des tentatives pour structurer le phénomène ou pour porter au pouvoir la gauche altermondialiste ne se fait pas sans heurts. Ainsi, de vives critiques émergèrent contre le Parti socialiste français qui était présent au FSE (Forum social économique) de 2004, alors qu’il était accusé d’avoir propagé cette mondialisation libérale. De même, l’accord signé entre la Troïka et Alexis Tsiprás a sévèrement décrédibilisé son parti SYRIZA, incapable a priori de tenir tête aux grandes instances internationales qu’il critique sans cesse.
Les altermondialistes veulent créer une démocratie mondiale et imposer une gouvernance mondiale. Ils appellent à un renforcement de l’ONU et à une meilleure représentation pour les pays émergents à l’ONU, au FMI, et à l’OMC.
Cependant, ils se heurtent aux égoïsmes des États qui préfèrent défendre certains intérêts propres que de promouvoir une véritable paix et la démocratie. Les EU ont refusé en 1997 de signer le Protocole de Kyoto car les pays émergents étaient dispensés d’efforts pour réduire les gaz à effet de serre (GES). En 2009, au sommet de Copenhague, l’Europe a proposé un programme très ambitieux qui a été rejeté par les EU et les BRICS.
En revanche, au niveau des États et des collectivités locales (communes, régions) les initiatives se multiplient : essor du commerce équitable, du mouvement des « locavores », des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), de la consommation collaborative (autopartage…), du recyclage des déchets qui se généralise pratiquement partout. Les populations, après les crises alimentaires (« vache folle », grippe aviaire. . .), sont sensibles à la qualité et à traçabilité des produits.
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Rappel historique
Cette contestation de la mondialisation a connu divers visages au fil des années, dont le premier apparaît au milieu des années 1971 mais le mouvement s’accélère dans les années 1990. La fin de l’ère communiste engendre un vide dans le monde de la critique du capitalisme, qui sera comblé par la naissance de l’antimondialisme. Cette première forme radicale se traduira par des contestations violentes (1994 : révolte armée au Mexique sous les ordres du sous-commandant Marcos, 1999 manifestations à Seattle contre un sommet de l’OMC). Puis le phénomène devient plus pacifique et se structure : c’est le temps des grands forums. Enfin, après la crise de 2008, une branche de l’altermondialisme se radicalise de nouveau via des grands mouvements comme les Indignés, ou encore via des élections qui consacrent le succès de politiciens comme Alexis Tsiprás ou Pablo Iglesias.
Quelques dates en référence :
1971 – Le « Forum européen de management » est créé à Davos en Suisse.
1987 – Le « Forum européen de management » devient le « Forum économique mondial », que l’on connaît sous sa forme actuelle.
1994 – Marcos mène une révolte armée au Mexique, notamment contre l’ALENA.
1997 – Éditorial du Monde Diplomatique par Ignacio Ramonet : « Désarmer les marchés »
1998 – Création de l’Association pour une taxe Tobin d’aide aux citoyens (ATTAC)
– Victoire contre le projet d’Accord multilatéral sur les investissements. (AMI)
1999 – Manifestations violentes en marge d’un sommet de l’OMC
– Campagne internationale pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde.
2001 – Premier Forum social mondial (FSM) à Porto Alegre au Brésil (puis 2002 et 2003)
2002 – Création du premier Forum social européen, à Florence.
2003 – « Larzac 2003 » est organisé pour fêter les 30 ans de la lutte de Larzac, l’un des premiers grands évènements altermondialistes en France. Environ 200 000 personnes.
– L’élection de Lula au Brésil suscite beaucoup d’espoirs de justice et d’égalité.
2004 – Le FSM se délocalise et a lieu à Bombay (internationalisation)
– Parution de « La manif en éclats » de Danielle Tartakowsky, qui fait le constat d’un passage d’un antimondialisme des rues à un altermondialisme des forums.
2006 – Le Forum social mondial (FSM) se décentralise et a lieu à Caracas, Bamako puis Karachi.
2010 – Parution de « Indignez-vous » de Stéphane Hessel
– Naissance du mouvement des Indignados en Espagne.
– Parution de « Triomphe de la cupidité » de Joseph Stiglitz.
2011 – Naissance du mouvement « Occupy Wall Street », qui sera présent dans 80 pays.
2014 – Le parti espagnol d’extrême-gauche Podemos est créé, et recueillera, en 2016, 20% des voix.
– Le parti grec d’extrême gauche SYRIZA est créé et atteint le pouvoir en 2015.
2016 – Forum social mondial (FSM) de Montréal, le premier à avoir lieu dans un pays du Nord.
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Références littéraires
Pour mieux cerner ce mouvement complexe, et pour avoir des références passionnantes ou ludiques, voilà une brève sélection d’œuvres sur les effets néfastes de la mondialisation et de l’impérialisme américain.
» d’IcíarBollaín, sur la guerre de l’eau en Bolivie au début des années 2000, entre des paysans désabusés et les autorités soucieuses de privatiser leur bien le plus précieux.
de Michael Moore, sur les excès de George W.Bush
,A Love Story, de Michael Moore, sur les ravages de la dernière grande crise.
», quand quatre jeunes essaient de survivre avec un dollar par jour au Guatemala.
», sur les conditions de travail des employés du textile du monde entier.
,comment changer le monde et sur l’histoire de Greenpeace.
», avec Noam Chomsky sur les déboires du rêve américain.
avecRobert Reich sur les inégalités croissantes aux EU.