Charles-Edouard Jeanneret dit Le Corbusier, suisse naturalisé français, est un artiste complet : architecte, urbaniste, peintre, sculpteur ou encore designer !
Né en 1887 à La-Chaux-de-Fonds en Suisse, Charles-Edouard Jeanneret arbore l’architecture classique à travers de nombreux voyages. Il découvre les bases solides de l’architecture classique mais également la curiosité des autres cultures. Tout au long de son parcours, il n’aura de cesse de mêler héritage et modernité. On retrouve ses édifices dans 12 pays et sur 4 continents.
Après 60 ans de carrière, il décède accidentellement le 27 août 1965. Son œuvre est aujourd’hui considérée comme l’emblème international du Mouvement moderne en architecture.
-
Le principe des cinq points
L’architecte développe très tôt le principe des cinq points pour une architecture nouvelle :
- un bâtiment surélevé sur des pilotis,
- une ossature autoporteuse formée de piliers et de poutres,
- des façades vitrées,
- un plan libre modulable (sans murs porteurs) selon les fonctions des bâtiments et leur évolution,
- un toit-terrasse servant de jardin suspendu.
2. Espace et couleurs
Le Corbusier couple l’organisation de l’espace à l’utilisation de couleurs. Choisies avec soin, elles reflètent ses grands axes de réflexion. Le vert pour adapter l’architecture à son environnement, garder un contact permanent avec la nature. Le jaune pour une architecture évoluant avec la lumière. Le bleu pour un contact permanent avec l’espace, le ciel puis le rouge pour l’Homme qui est le moteur de sa création.
3. Ses œuvres célèbres
Parmi ses œuvres les plus emblématiques :
- La Villa Stotzer (La Chaux de Fonds, Suisse, 1907)
- La Villa Savoye (Poissy, France, 1928)
- La Cité Radieuse (Marseille, France, 1945-1952)
- Le Musée National d’Art Occidental (Tokyo, Japon, 1957)
- La Chapelle Notre-Dame du Haut (Ronchamp, France, 1950-1955)
- Le Palais de l’assemblée (Chandigarh, Inde, 1955)
4. Le paradoxe de l’architecte
Le Corbusier, portait toujours l’idée de Ville « radieuse », comme un projet d’une ville parfaitement réglée. Ce projet qu’il portait, cette vision personnelle qu’il entendait appliquer de manière autoritaire à la société, voilà probablement le socle du malaise et du malentendu.
Célèbre en 1935, lors de son voyage à New York et à Chicago, il est invité à expliquer aux élites américaines ses conceptions architecturales. Mais ses conceptions trop systématiques comme la séparation des voitures et des piétons, des fonctions de la ville – endroits où l’on vit, endroits où l’on se fortifie en faisant du sport, etc. –, toute cette organisation urbaine, se sont heurtées à l’American way of life. Ce fût un échec.
Le Corbusier, a toujours voulu réinventer l’individu et la ville. Greffer un homme nouveau dans une ville nouvelle. Son concept a fini par faire peur et son utopie grandiose est apparue comme déraisonnable.
Lors de la conception et la construction du Palais de l’assemblée (Chandigarh, Inde, 1955) son rêve est devenu réalité. L’Inde accédant à l’indépendance, Nehru a eu envie de manifester la modernité de son pays par la création d’une ville nouvelle. Il a demandé à dessiner la capitale du Pendjab. Mais aujourd’hui, il reste le spectacle d’un territoire orthonormé, une suite de rectangles et de carrés dont la plupart ne sont pas construits. Dans cette trame, il n’y a aujourd’hui pratiquement pas d’habitants, la végétation a gagné, des arbres ont fini par pousser. Le temps a fusillé la Ville radieuse et devant ce squelette urbain, le désarroi s’insinue quand soudain surgit un bâtiment sublime.
Alors se dresse le grand Le Corbusier : le plasticien, l’inventeur de formes, le poète. Celui qui dessine sa main, paume tendue, pouce vers la droite, l’index et le majeur liés, distincts de l’annulaire et de l’auriculaire également liés. La forme d’une colombe, le signe de paix absolu. Sa sculpture, posée simplement sur un socle devant l’Assemblée nationale, avec l’Himalaya en arrière-plan, devient œuvre d’art. C’est le génie du petit rien qui change tout. Et l’idée s’impose, qu’un grand artiste comme lui n’est pas forcément un grand architecte.
Il a inventé la ville des années 1950-1960. Qui oserait aujourd’hui prétendre, à lui tout seul, écrire un modèle de ville ? Nous avons compris que le territoire est une matrice complexe, un système. Nous avons conscience de la complexité du tissu urbain liée à la densification de la ville quand vous aviez toute l’Inde pour construire… Les choses ont changé. Notre génération a l’expérience de la finitude des choses. Les matières, l’air, l’espace, tout cela est limite. Notre travail s’exerce sur la limite. Il faut essayer de la repousser, d’aller au-delà mais la limite est toujours là. La fabrication de la ville s’inscrit dans ce cadre.
Réunir cinq ou dix architectes pour dessiner le Grand Paris, comme on l’a fait au départ, n’a pas grand sens. Le grand projet a accouché d’un nouveau réseau ferré de transports publics sans provoquer d’enthousiasme. C’était mal parti. Et voilà qu’à partir de ces lignes de métro, de ces stations et des nouvelles gares prévues, on retrouve une énergie. Des quartiers surgissent. Un métabolisme précieux recrée du tissu urbain.
Telle est la grande leçon avec un architecte tel que lui : la ville ne peut pas être uniforme. Elle est par définition inattendue, imprévisible. Or il est le porteur d’une ville prévisible, strictement conforme à votre idée. La ville vit dans la transformation, se recrée perpétuellement, pour ne pas dire qu’elle se régénère. Elle se déploie sans cesse à partir de ce qu’elle est déjà. C’est son paradoxe : il n’est pas nécessaire de la démolir pour la refaire. Elle part toujours de son épaisseur historique.
A Alger, il veut raser une partie de la ville pour créer, dans un geste superbe, un bâtiment offrant une façade de plusieurs kilomètres de long. De quoi couper le souffle… Alger a très raisonnablement refusé ce geste de déraison ! Il avait cédé, encore une fois, à son vertige de la page blanche, à ce démon de l’utopie urbaine.
Le Corbusier à l’intuition, l’audace, le cran. Il est le premier moderne à proposer une vision urbaine et architecturale liée. Voilà notre dette ! Nous avons tous quelque chose à vous rendre. Mais votre vision exclusive, simpliste, vous a aveuglé. Votre volonté de séparation, d’organisation géométrique, voire mathématique, vous a conduit à rêver d’une ville fonctionnelle, selon votre expression, dont je ne rêve nullement…
Cher Corbu, si tant de nos contemporains choisissent de vivre en ville aujourd’hui, c’est dans l’espoir d’y vivre mieux. Ce n’est pas seulement pour se loger. La ville propose une dimension supérieure. Elle est un lieu de jouissance. À votre ville fonctionnelle, laissez-moi préférer une ville jouisseuse.
-
Le Corbusier et Paris
Classée au patrimoine mondial de l’Unesco en juillet 2016, l’œuvre architecturale de Le Corbusier est célébrée comme une contribution exceptionnelle au mouvement moderne. Mégalomane, fasciné par l’ordre, l’architecte suisse était aussi un urbaniste doctrinaire qui rêvait de réduire la taille des appartements et de raser le centre des villes. Paris échappa au projet qu’il avait conçu à son intention.
L’exemple du plan voisin en 1925 l’illustre bien :
Le plan Voisin de Paris comprend la création de deux éléments neufs essentiels : une cité d’affaires et une cité de résidence. La cité d’affaires fait une emprise de 240 hectares sur une zone particulièrement vétuste et malsaine de Paris — de la place de la République à la rue du Louvre, de la gare de l’Est à la rue de Rivoli. La cité de résidence s’étend de la rue des Pyramides au rond-point des Champs-Élysées et de la gare Saint-Lazare à la rue de Rivoli, entraînant la démolition de quartiers en grande partie saturés et couverts d’habitations bourgeoises abritant aujourd’hui des bureaux.
Au centre, Le Corbusier implante une place monumentale : initialement une gare, surmontée d’un aéroport, car « le représentant de l’aviation française » a déclaré que « les avions atterriront verticalement sans aucun danger ». L’axe principal du projet va d’est en ouest : « C’est une artère principale de grande circulation, large de cent vingt mètres, munie d’un autodrome, surélevé pour circulation à sens unique, sans recoupement. » Contre toute attente, « la densité trop forte des anciens quartiers sacrifiés par le plan Voisin n’est pas diminuée. Elle est quadruplée » : 3 500 habitants à l’hectare. « Les quartiers du “Marais”, des “Archives”, du “Temple”, etc. seraient détruits. Mais les églises anciennes sont sauvegardées », précise-t-il.
Sur cette immense emprise, détruite donc à l’exception des bâtiments remarquables comme les portes Saint-Denis et Saint-Martin, sont implantées des tours cruciformes de deux cents mètres de hauteur à usage de bureaux, identiques et équidistantes, de part et d’autre du boulevard de Sébastopol, selon une composition symétrique et formaliste ; puis au milieu d’espaces verts sont édifiés des immeubles d’habitation à redents, d’environ cinquante mètres de haut, entraînant une densité de mille habitants à l’hectare. La ville corbuséenne n’est pas radioconcentrique, mais linéaire. Ce plan, qui glorifie la bureaucratisation totale de la vie communautaire, sera reproduit constamment par l’auteur dans ses différents ouvrages.
Le plan Voisin constitue aussi la base de recherches urbanistiques ultérieures que Le Corbusier va développer mois après mois, entre janvier 1931 et décembre 1934, dans des articles de revues compilés ensuite dans La Ville radieuse, sous-titré Éléments d’une doctrine d’urbanisme pour l’équipement de la civilisation machiniste. Ce texte de 345 pages, central dans l’œuvre de l’urbaniste et qu’il a publié à compte d’auteur aux Éditions de l’Architecture d’aujourd’hui, s’ouvre ainsi : « Cet ouvrage est dédié à l’AUTORITÉ, Paris, mai 1933. » Le Corbusier y déroule son idéologie planiste, totalitaire, et formalise la ville de l’avenir.
Dans le premier chapitre, intitulé « Invite à l’action », il constate d’abord que « le monde est malade », tandis que « la Russie, l’Italie construisent des régimes nouveaux ». Des régimes totalitaires. Et en France : « L’effondrement est imminent. » Une photographie de barricade, légendée « Le 6 février 1934 à Paris : le réveil de la propreté », évoque sans doute pour Le Corbusier la première étape de la révolution (fasciste). Fortement impressionné par l’économie dirigée soviétique et son corollaire, la « discipline » imposée d’en haut, il souhaite la « disparition du prolétariat » et veut créer la « ville sans classes » grâce à la « mobilisation du sol pour cause de salut public ». L’exemple là-bas est à suivre : « Les terrains libres de l’URSS apportent le plan libre. » Cette suppression de la propriété privée doit cependant coexister avec « la pierre angulaire de toute organisation de la civilisation machiniste, le respect de la liberté individuelle ». Comment ? « La maison de l’homme moderne (et la ville), machine magnifiquement disciplinée, apportera la liberté individuelle — aujourd’hui abolie —, la restituera à chacun. »
D’autre part, dans « le cycle de vingt-quatre heures », il faut intégrer les loisirs, puisque le machinisme réduira le temps de travail. Le Corbusier, lui-même très sportif, prône le sport comme « valeur », car il « contient des éléments divers bien faits pour capter l’intérêt : la bellicité d’abord, la performance, le match ; la force, la décision, la souplesse et la rapidité ; l’intervention individuelle et la collaboration en équipe ; une discipline librement consentie ». Donc « le sport doit être quotidien et IL DOIT ÊTRE AU PIED DES MAISONS ». Loin d’être une démonstration, la doctrine corbuséenne relève de l’assénement de slogans : « Autorité ! Établir un programme : travailler sur un programme. Réaliser un programme. Répandre les bénédictions de l’ordre. » Et enfin, « par l’ordre, rétablir le jeu harmonieux du travail aimé : le bonheur ! ».
Comment peut-on en arriver là ? La solution s’ouvre par : « LE PLAN : DICTATEUR » (…). Le plan d’aménagement de la « ville radieuse » intègre des techniques innovatrices appliquées à des équipements modernisés. Sont invoqués le béton armé, bien entendu, mais aussi le montage « à sec » d’éléments préfabriqués et standardisés ou l’air conditionné. Il n’est pas anodin de relever qu’à côté de la photo du général pronunciamentiste José Sanjurjo (choisi pour diriger le soulèvement des nationalistes ouvrant la guerre civile espagnole) Le Corbusier commente : « Été : l’air irrespirable fait mal juger les juges, fait mal travailler les ouvriers, assomme les commissions, les assemblées, les parlements. Déficit partout. »
Le Corbusier, lui, aimait rouler vite. Il possédait une berline Voisin (bien sûr) de quatorze chevaux, qu’il mettait en scène régulièrement, garée devant ses réalisations franciliennes — sorte de renvoi d’ascenseur à l’industriel qui soutenait L’Esprit nouveau et Plans par l’insertion de pages de publicité.
Le Corbusier évoque l’organisation interne des immeubles radieux : « L’intervention architecturale pourrait se concentrer sur l’équipement de l’intérieur de la maison. Suivant le problème (contenance), suivant l’importance du ménage, la qualité de l’habitant (mode de vivre), suivant l’insolation, les vents, la situation topographique (urbanisme), l’architecte d’équipement pourra inventer des groupements biologiques dans un cadre statique standard. » Ce qui en soi est déjà inquiétant. Puis il décrète la surface minimum nécessaire par habitant, mais les appartements ont une pièce de séjour identique, qu’ils accueillent deux ou quatre personnes. De même, la taille de la cuisine d’un studio est similaire à celle destinée à une famille avec quatre, voire sept enfants.
Dans la ville radieuse, les façades sont lisses, totalement vitrées et hermétiques, c’est la « respiration exacte » qui conditionnera l’ambiance. (L’architecte s’obstine, sans tenir compte des échecs, au Centrosoyus de Moscou comme à la Cité de Refuge à Paris.) Ces façades sont dépourvues de balcon ou de loggia, peut-être pour des raisons esthétiques, car, écrit-il, « une maison est un prisme géométrique debout ».
Le Corbusier applique ensuite sa doctrine à divers plans, plus ou moins détaillés : Genève, Rio de Janeiro, São Paulo, Montevideo, Buenos Aires, Alger, Moscou, Anvers, Barcelone, Stockholm, Nemours (aujourd’hui Ghazaouet, en Algérie), Piacé (village de la Sarthe où vivait un fanatique du maître, lequel conçut alors pour lui la « ferme radieuse »). Mais, lorsqu’il revient sur le cas de Paris, la ville est décrite comme si sa transformation était accomplie : « Paris s’est resserrée sur elle-même, en “ville radieuse”. Paris revit sa biologie fondamentale, Paris est sauvée. »
Le Corbusier veut abolir le centre historique de Paris, mais il ne déteste pas du tout la capitale : il résidera dix-sept ans rue Jacob, puis vivra jusqu’à la fin de ses jours dans l’immeuble qu’il a construit rue Nungesser-et-Coli, entre le stade de Roland-Garros et le Parc des Princes. Il convainc deux de ses meilleurs amis, François de Pierrefeu et Pierre Winter, de l’y rejoindre, tandis qu’il se réserve l’emplacement « le mieux situé » : les deux niveaux supérieurs. Ironie du sort, c’est donc l’architecte lui-même qui subira l’été la chaleur suffocante sous les coques de béton non isolées et les désagréments du toit-terrasse fuyard (c’est encore le cas aujourd’hui), comme sa propre mère au bord du lac Léman.
Le Corbusier publiera enfin Les Plans de Paris : 1956-1922, où sont répertoriés, selon une chronologie inversée, ses multiples projets urbanistiques parisiens avortés. Le texte de ce livre, dont la mise en pages et la jaquette sont comme d’habitude de son cru, est jalonné d’aphorismes en script, imprimés sur de larges aplats de couleur verte en référence à sa « ville verte », à son discours hygiéniste où l’on pratique un sport dans le parc tout en faisant référence à son univers d’artiste peintre. « La Ville Verte devient le garage où l’on révise la voiture (huilage, graissage, vérification des organes, révision, entretien de la voiture). »
Source : fondation le Corbusier, le monde diplomatique