Nous clôturons la série des 3 principaux articles dédiés à la préparation du concours commun de sciences Po relatif au thème de LA SECURITE. Ces trois articles vous donneront un aperçu assez exhaustif des acteurs de notre pays dans le cadre de la mise en œuvre de la sécurité. Place aux acteurs principaux de la sécurité intérieure: l’Etat et ses forces de sécurité.
I. LES DYNAMIQUES DE L’ETAT DANS LA CONSTRUCTION DE LA SECURITE DE SA POPULATION
Le rôle de l’Etat face au besoin des populations
Il était important d’identifier les domaines de l’action de l’Etat, et corrélativement, d’analyser le type de relation qu’entendent nouer avec lui sa population.
Comment l’Etat peut-il répondre aux besoins de la population en termes de sécurité physique, économique, environnementale et psychologique ?
- Premièrement, sécurité n’est pas synonyme de stabilité et il faut alors distinguer la stabilité de l’Etat et la légitimité du pouvoir.
- Deuxièmement, le pouvoir fondé sur la force ne peut pas durer sur le long terme ; il est nécessairement instable si on prend en compte le concept du temps.
- Troisièmement, une combinaison de stabilité et de légitimité n’est pas forcément liée au mécanisme électoral mais dépend d’un équilibre entre la demande de démocratie par la population et l’offre de démocratie par le régime.
- Quatrièmement, la vie normale d’une société est de rencontrer des conflits. Les relations au pouvoir sont dynamiques, cause des conflits d’intérêts économiques, sociaux et environnementaux des acteurs. Le rôle de l’Etat est de les identifier et de les résoudre pour empêcher le recours à la violence.
3 concepts analytiques seront évoqués : souveraineté, identité, légitimité. Ils cristalliseront quelques-uns des enjeux principaux de la relation Etat/population.
L’Etat peut se définir par son champ d’action, soit ses domaines d’intervention. Dans un mode harmonieux, l’Etat intervient dans tous les domaines où la population s’attend à ce qu’il le fasse. Ce champ d’action, corrélé aux besoins et aux attentes des populations, permet donc d’établir la nature de la relation Etat/population. Elle peut être celle de la confiance dans le meilleur des cas. Mais quand l’Etat intervient trop – là où la population ne s’attend pas à ce qu’il le fasse – ou pas assez – par manque de capacité ou de volonté cette relation peut prendre la forme de la distanciation, de la défiance, du contournement voire du rejet qui alimente la protestation. Quand les mécanismes de gestion des conflits ne sont pas disponibles, elle peut aboutir à la contestation violente.
Si la relation Etat-population est déterminée par les attentes et les besoins de la population dans un contexte géostratégique, il faut reconnaître que celles-ci ne sont pas identiques ni homogènes. Elles peuvent même être contradictoires. Il est donc nécessaire de connaître les lignes de fracture et poser la question de l’opportunité ou pas d’une éventuelle institutionnalisation.
La relation à l’Etat et au pouvoir est très variable d’une culture politique à une autre. Il ne s’agit ni de lister les modes relationnels recensés ni d’établir une typologie mais d’adopter cette hypothèse comme structurant l’approche qui permet de reconsidérer la place de l’Etat, son champ d’action et la relation qu’il établit avec la population. Cette approche nous paraît particulièrement pertinente concernant les Etats post-crise dans la mesure où ils se trouvent dans une dynamique de reconstruction. Elle devrait permettre de ne pas répéter les erreurs du passé (plaquer des modèles exogènes qui ne marchent pas) et poser les bases d’Etat viable (sans contradiction avec la culture politique locale). A ce titre, les concepts autour desquels s’articule notre recherche– Souveraineté, Identité, Légitimité – offrent cette possibilité. Un Etat garantissant la paix alors est souverain, incarné par un gouvernement légitime et offre une identité inclusive. Dans un effort de définition nous expliquerons pourquoi nous avons choisi ces concepts, étant entendu que nous les concevons comme connectés les uns aux autres et s’interpénétrant.
I. Souveraineté
Notre objet n’est pas de remettre en cause la souveraineté comme principe fondateur du système international. Nous l’acceptons avec ses limites, à savoir lorsque le principe de souveraineté entre en contradiction avec d’autres principes tels que la libre détermination des peuples ou la pratique plus récente de l’ingérence fondée notamment sur les analyses de la sécurité humaine et de la responsabilité de protéger.
Au niveau international, les dynamiques de l’ingérence, voire la substitution temporaire (administration internationale en Bosnie Herzégovine, Timor Leste ou encore Kosovo), nous intéressent à double titre :
- Le rétrécissement, voire la remise en cause provisoire, de la souveraineté nationale ;
- Les transferts de modèles politiques (de l’Occident vers le reste du monde).
Ces dynamiques ne sont pas exclusivement externes aux Etats dans la mesure où elles nourrissent les canaux de la légitimité politique, ou de son absence. Comment analyser la légitimité politique interne de Hamid Karzaï sans intégrer ses relations avec les organisations internationales et la dépendance de son gouvernement de l’aide internationale ?
La souveraineté nationale nous intéresse également pour sa fonction de proposer un collectif – une identité -, à l’échelle nationale, à une population. Le sentiment d’appartenance à une identité collective de niveau national est-il pertinent et nécessaire à une population pour répondre à ses besoins en termes d’affirmation identitaire ?
Des exemples de sociétés très diversifiées – où sont prégnantes des identités infra-étatiques – montrent que ce niveau national de l’identité correspond à un besoin et à une réalité :Afghanistan, Bosnie Herzégovine. D’autres, au contraire, témoignent que ce niveau de l’identité collective est absent. Cela signifie-t-il pour autant qu’il n’est pas un besoin ? Le vote ethnique, comme au Kenya pour donner un exemple récent, ne signifie pas forcément qu’il n’existe pas une identité collective dans l’inconscient collectif de la population mais il peut s’expliquer par la méfiance à l’égard des institutions étatiques qui ne l’incarneraient pas.
L’existence d’identités infra-étatiques ne suppose pas systématiquement qu’elles entrent en concurrence avec le collectif national. Il peut exister plusieurs niveaux de collectif, qui s’articulent harmonieusement. La concurrence dénote un conflit latent ou ouvert. Le principe de subsidiarité, tel que développé pour l’action politique et administrative, peut ici aussi s’appliquer pour combiner harmonieusement les différents niveaux d’identités collectives. Chaque niveau correspond à des besoins dans l’affirmation identitaire des individus, mais chacun d’eux n’est pas pertinent en toute circonstance. Ces niveaux se superposent et sont activés lorsqu’ils se révèlent nécessaires.
II. Identité
Ces analyses de l’articulation des différents niveaux d’identités collectives reposent sur une conception dynamique de l’identité. Chaque individu est porteur de plusieurs niveaux d’identité qui s’affirment dans différentes circonstances, en fonction du contexte et de son interlocuteur, par exemple. Les besoins de l’affirmation identitaire varient selon la personne à qui on parle et l’environnement dans lequel on parle. C’est donc une matière mouvante.
Par ailleurs, l’identité ne se définit pas par une substance donnée, une sorte d’essence (conceptions substantialiste ou essentialiste, dépassées, qui ont pu fonder les théories de l’ethnogenèse par exemple dans l’ethnographie soviétique), mais par les frontières du groupe qu’elle constitue. Ainsi l’identité ne se définit pas par un contenu précis et donné car ce contenu varie dans le temps. L’identité se définit par les frontières du groupe : où commence le groupe, où il finit. Qui appartient au groupe ? Qui n’y appartient pas ? Cette conception intègre donc la mouvance de l’identité, sa variabilité et son caractère conjoncturel.
Les identités collectives se situent donc à différents niveaux de collectivités. Quelle relation entretient la collectivité nationale avec les autres collectifs existants ? le collectif national est-il une réalité ? un besoin ?
A l’échelle de la population d’un Etat, cette variabilité de l’identité se traduit par l’existence de groupes de loyauté et de solidarité qui seraient comme des cercles qui s’interpénètrent, sans forcément de hiérarchie ou de relation d’exclusivité. La famille, le clan, la tribu, le territoire, la religion, la langue, la corporation sont quelques exemples de ces groupes. Ils répondent aux besoins des populations en termes économiques (solidarité, entraide), politiques (pouvoir, appui, piston, travail), sociaux (identité, reconnaissance, statut social). Mais ils ne répondent pas à tous les besoins, certains ne pouvant être pourvu que par l’Etat.
Dans quelle mesure ces groupes de solidarité ont besoin de la dimension nationale pour trouver leur raison d’être ?
Enfin, l’identité nationale remplit un besoin en terme de projection au niveau de la population nationale et de l’espace au-delà des frontières, l’étranger.
Les modes relationnels entre le pouvoir politique et les niveaux de l’identité peuvent être de plusieurs ordres : reconnaissance, instrumentalisation, interdiction etc. L’enjeu de la diversité culturelle d’une société réside dans la reconnaissance, en terme de respect de ces appartenances, plus à notre sens que dans celui de la représentation et de l’institutionnalisation.
III. Légitimité
En démocratie, la légitimité provient essentiellement des élections. Or ce modèle de démocratie représentative reposant sur le suffrage universel doit, dans les contextes que nous étudions, cohabiter avec des modèles de légitimation traditionnels. La superposition de ces différentes pratiques donne ainsi lieu à des systèmes singuliers. L’Histoire et l’ethnologie fournissent des explications à l’émergence ou au maintien des acteurs au pouvoir et nous aident à déterminer les sources de la légitimité politique et les processus de légitimation.
Les processus de légitimité sont diversifiés et articulent plusieurs sources de légitimation, qu’elles puisent dans les institutions modernes, comme les élections démocratiques, ou les légitimités traditionnelles, mutées et adaptées aux systèmes parfois exogènes comme l’idéologie communiste. La négation de ces processus de légitimation et l’apparition d’un pouvoir autoritaire donne généralement lieu à une forte personnalisation du pouvoir.
LES FORCES DE SECURITE INTERIEURE :LA POLICE ET LA GENDARMERIE
Le ministre de l’Intérieur est responsable non seulement de la police nationale, mais aussi en concertation avec le ministre de la Défense, de « l’emploi des services de la gendarmerie nationale ».
- LA POLICE NATIONALE
Le directeur général de la police nationale a autorité sur différentes directions: la Direction centrale de la police judiciaire, la Direction centrale de la sécurité publique, la Direction centrale de la police des frontières, la Direction de la surveillance du territoire, la Direction centrale des renseignements généraux, le SCCRS (Service central des compagnies républicaines de sécurité).
La police reçoit des missions qui sont organisées au niveau central comme au niveau territorial:
- des missions de sécurité publique exercées dans le respect des droits de l’homme sous l’autorité du ministre de l’Intérieur ou de son représentant (lepréfet);
- des missions de police judiciaire, exercées en liaison avec l’autorité judiciaire (les procureurs de la République);
- des missions de renseignement et l’information, permettant d’assurer l’information des autorités gouvernementales, de déceler et de prévenir toute menace susceptible de porter atteinte à l’ordre public, aux institutions, aux intérêts fondamentaux de la nation ou à la souveraineté nationale.
Les missions assignées à la police nationale mettent en œuvre l’ensemble de ses composantes. Aucune n’est l’apanage d’une direction et toutes les directions sont concernées, à titre principal ou accessoire, au premier chef ou en soutien, par les trois missions.
Le gouvernement envisage de renforcer les pouvoirs de police par une réforme de la loi de 1955 portant sur l’état d’urgence. Elle devrait élargir les moyens en matière de perquisitions extrajudiciaires.
Le gouvernement tire les leçons des deux premiers mois de mise œuvre des assignations à résidence et perquisitions administratives que permet l’état d’urgence. Pour étendre et améliorer ces dispositifs de police administrative, une nouvelle réforme de la loi de 1955 sur l’état d’urgence est envisagée. Indépendamment de la loi de prolongation de trois mois de ce régime d’exception au-delà du 26 février et du projet de réforme constitutionnelle introduisant l’état d’urgence dans la Loi fondamentale.
A l’occasion de la loi du 20 novembre prolongeant une première fois pour trois mois l’état d’urgence, le Parlement avait toiletté et surtout renforcé un texte qui datait de la guerre d’Algérie. Ce nouveau projet va encore plus loin, en particulier sur les pouvoirs de police en matière de perquisitions.
La loi du 20 novembre avait permis à la police, lors d’une perquisition, de copier les données présentes sur un ordinateur ou un autre terminal numérique. Une possibilité que le législateur de 1955 ne pouvait, bien sûr, pas anticiper. La nouvelle réforme permettra de saisir tout bonnement le matériel. Une prérogative jusqu’ici exclusivement réservée à la justice.
Cette saisie extrajudiciaire ne pourrait pas excéder quinze jours, et la personne devraavoir été prévenue de son droit de recours devant la justice administrative.
Alors que parmi les plus de 3 000 perquisitions ordonnées par les préfets, l’objectif a parfois pu paraître confus (terrorisme, criminalité ou stupéfiants), les ordres de perquisition devront désormais préciser » la nature de la menace pour la sécurité et l’ordre publics justifiant cette mesure « . En revanche, si au cours de leur intervention, les policiers estiment qu’un autre lieu, non prévu, mérite d’être perquisitionné, ils pourront s’y rendre, l’autorisation étant régularisée après la perquisition.
- LA GENDARMERIE NATIONALE
La gendarmerie relève du ministère de la Défense, et les gendarmes sont donc des militaires.La direction générale est un organe qui participe au bon fonctionnement de l’Institution. Elle travaille pour les unités du terrain et à leur profit et aussi comme un organe d’aide à la décision politique pour tout ce qui concerne la gendarmerie en administration centrale (budget, emploi…).
La direction générale de la gendarmerie nationale comprend:
- un cabinet, articulé en bureaux et services;
- une inspection de la gendarmerie chargée par le directeur général de missions d’études, d’information et de contrôle;
- trois services comprenant chacun des sous-directions: le service des ressources humaines, le service des plans et moyens, le service des opérations et de l’emploi.
La gendarmerie départementale contribue à la sécurité publique générale en privilégiant le contact avec la population, de jour comme de nuit. Elle consacre plus de 54% de son activité à cette mission de protection des personnes et des biens, alors que 40% sont consacrés à l’exercice de la police judiciaire.
- LA COORDINATION ENTRE CES FORCES
La loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 et celle pour le renseignement pour la sécurité intérieure a sensiblement renforcé les prérogatives de la police nationale et de la gendarmerie nationale dans leurs missions de police judiciaire tout comme elle étend les compétences de certains services municipaux ou de police rurale.
Cette loi traduit une volonté de plus grande coordination des missions sur le terrain en associant l’ensemble des acteurs de la société civile. Cette volonté s’exprime par la mise en œuvre des GIR (groupes d’interventions et de recherche), réunissant les différents services: gendarmerie, police nationale, administration fiscale et douanes.
Le vote par le Parlement du projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure en juillet 2002, s’est traduit par la mise en œuvre de nouvelles mesures permettant une redéfinition des rapports entre police et gendarmerie, en vue d’une meilleure coordination de leur action:
- les attributions du ministre de l’Intérieur sont élargies: celui-ci est désormais responsable, en concertation avec le ministre de la Défense, de « l’emploi des services de la gendarmerie nationale pour l’exercice de ses missions de sécurité intérieure »;
- le Conseil de sécurité intérieure est désormais présidé par le président de la République, et relayé au plan local par des conférences départementales et des conseils locaux de sécurité;
- des groupements régionaux d’intervention (au nombre de 28), associent désormais policiers, gendarmes, douaniers et agents du fisc.